Octobre 2015 • Analyse •
Dans les pays en développement, émergents ou moins avancés, moins de 20% de la population dispose de couvertures assurancielles contre les risques (accident, maladie, décès dans la famille, dommages aux biens,…). Comment dès lors développer des assurances adaptées aux besoins, demandes et niveaux de risques des populations à faibles et moyens revenus ? Tel est l’objet de cette contribution, publié dans la Revue luxembourgeoise de Bancassurfinance, N°2015-02.
Alors que dans nos sociétés post-industrielles, l’univers de l’assurance semble envelopper les citoyens du berceau à la tombe et « relève de cette forme d’évidence qui paraît décourager la curiosité », ailleurs, la réalité est tout autre, puisque 84 % des cotisations d’assurance seraient uniquement payées par 20 % de la population mondiale, celle des « pays riches » (Amérique du Nord, Europe occidentale, Japon, Océanie). Ainsi, dans les pays en développement, qu’ils soient émergents ou moins avancés, seulement 5 à 20 % de la population du pays disposerait d’une protection formelle contre les aléas de la vie, que cette protection vienne de l’Etat ou du marché.
Ce vide assuranciel se traduit par des anxiétés quotidiennes et des dépressions bien moins médiatisées et spectaculaires que les catastrophes naturelles, les famines ou les guerres. « Dans mon pays, la plupart des maladies sont liées au stress », nous explique une comptable d’un hôpital de Nairobi (Kenya) ; « cela nous donne des maladies, le stress et l’anxiété. On vit avec mais on dort mal » regrette un sociétaire de la Coopérative d’épargne et de crédit de Konafla (Côte d’Ivoire).
Autant de témoignages qui nous éloignent de l’image superficielle d’une nonchalance généralisée face aux risques. Le niveau de stress extrêmement élevé est tel que « les pauvres sont au contraire beaucoup plus sujets à la dépression que les plus riches (aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches) » note, à juste titre, Esther Duflo. Une analyse qui peut s’extrapoler aux « classes populaires et moyennes » des pays en développement insuffisamment protégées. Le poids de la dépression, seconde cause d’invalidité dans le monde juste derrière le mal de dos, tend, ainsi, à être plus élevé dans les pays à revenus faibles ou moyens, et plus faible dans les pays à hauts revenus.
C’est, d’ailleurs, moins le drame de la pauvreté qui nous intéresse que la vulnérabilité du plus grand nombre comme « cause et conséquence de la pauvreté ». Non que ce drame de la pauvreté soit à minimiser, loin s’en faut, mais parce que « tenter de réduire la pauvreté collective sans s’attaquer à la vulnérabilité des personnes, c’est s’exposer à recommencer sa tâche tous les matins. En visant d’abord la vulnérabilité, on inscrit le recul de la pauvreté dans la durée ».
Si nous parlons de vulnérabilité tout au long de cet article, ce n’est pas par fausse pudeur, ce n’est pas pour éviter le mot « pauvreté » : nous pensons sincèrement que la vulnérabilité est la notion clé. Elle renvoie non pas à une classe objet statique, généralement éloignée de nous : « les pauvres ». Elle renvoie, au contraire, à des trajectoires de vie, dynamiques, individuelles et susceptibles de concerner un plus grand nombre.
Les deux économistes Dercon et Krishnan observent ainsi que, pendant plusieurs années, la pauvreté en zone rurale était restée stable, alors que 40 % des pauvres étaient des ménages différents chaque année. Elle est également présente au Pérou, en Afrique du Sud ou dans le Sud de l’Inde, où sur une période de 9 ans, 20 % des ménages furent constamment pauvres, tandis que 12 % ne le furent jamais, la grande majorité connaissant épisodiquement des périodes de pauvreté.
Les sociologues Catherine Pollack et Bernard Gazier notent que sur cinq ans, un tiers environ de la population européenne fait l’expérience de la pauvreté : « La pauvreté est surtout transitoire et la majorité de ses épisodes sont de courte durée : les études montrent en général qu’un tiers des personnes qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté n’y sont plus l’année suivante ». Et réciproquement, puisque « certaines périodes (chômage, naissance d’un enfant, maladie,…) peuvent être des occasions soudaines d’entrée dans la pauvreté ».
Aussi faut-il saluer les analyses des économistes Jean-Michel Servet et Eveline Baumann sur la nécessité de penser la pauvreté en termes de processus où l’inégalité face à la gestion de la vulnérabilité et l’irrégularité des ressources jouent un rôle central : « Approche qui se justifie d’autant plus que la proportion des populations vulnérables est généralement plus grande que celle des populations à faible revenu ».
Cette dépression devrait devenir de plus en plus importante dans nos pays post industriels marqués par le chômage de masse et une aggravation des Affections longues durées éprouvantes pour les malades et leur famille.
La prise en compte de la vulnérabilité revêt d’ailleurs, depuis quelques années, une importance nouvelle dans le monde de la microfinance, de l’économie de développement, et plus globalement de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion.