La diplomatie française et la guerre en Syrie · Une inflexion stratégique mais pas de revirement politique

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

6 octobre 2015 • Analyse •


Depuis la fin septembre, l’aviation française a étendu ses opérations à la Syrie. L’inflexion stratégique est réelle mais Paris, tout comme ses alliés demande toujours le départ de Bachar Al-Assad. Version française d’un article publié par l’Istituto per gli Studi di Politica Internazionale (ISPI, Milan).


Le 7 septembre 2015, François Hollande faisait savoir que l’aviation française frapperait désormais des cibles sur le territoire syrien. Quant au départ de Bachar Al-Assad, il n’est plus le préalable à une transition politique en Syrie. L’inflexion diplomatique et stratégique est réelle, mais on ne saurait parler de bouleversement politique. Vu de Paris, le règlement politique du conflit syrien exclut le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad.

La politique syrienne de la France doit d’abord être mise en perspective. Longtemps, Paris aura entretenu des relations ambigües avec le régime baathiste et son chef, Hafez Al-Assad, à la tête du principal clan alaouite. A l’époque du mandat français sur le Levant, des relations étroites avaient été nouées avec cette minorité ethnico-confessionnelle. Par la suite, l’occupation syrienne du Liban et la volonté de la France de conserver un rôle dans la région auront aussi joué en ce sens. En 2000, lorsque Bachar Al-Assad succéda à son père, Jacques Chirac se posa en mentor et prétendit, sans succès aucun, encourager la libéralisation du régime. La rupture entre Paris et Damas intervient en 2004, bientôt aggravée par l’assassinat de Rafic Hariri, premier ministre du Liban et ami personnel du président français.  De concert, Jacques Chirac et George Bush obtiennent, le départ des troupes syriennes du Liban. Elu en 2008, Nicolas Sarkozy tente bien une ouverture vis-à-vis de Bachar Al-Assad, mais pour détacher Damas de Téhéran et briser l’« arc chiite », sur fond de crise nucléaire iranienne.

Le « Printemps arabe » vient bouleverser la scène régionale. En mars 2011, le soulèvement pacifique d’une partie de la population syrienne est sauvagement réprimé. Le gouvernement français condamne fermement cette sanglante répression et, en étroite concertation avec Washington, l’Union européenne et les Etats sunnites de la région, il exige le départ de Bachar Al-Assad. La chute du régime semble alors imminente et il apparaît plus sage de ne pas intervenir militairement dans ce conflit. Soucieuses d’éviter l’effondrement de l’Etat syrien et la répétition du scénario irakien, les capitales occidentales se concentrent sur l’après-Assad. Après l’élection de François Hollande, en mai 2012, cette ligne politique est maintenue: le départ de Bachar Al-Assad est vu comme la condition sine qua non d’une transition politique. Après l’emploi d’armes chimiques, Paris était prêt à frapper le régime de Damas, mais Barack Obama a préféré la voie d’un désarmement sous contrôle de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques). Aussi, lorsque la France a intégré la coalition mise sur pied pour combattre l’Etat islamique, en septembre 2014, François Hollande a exclu les bombardements en Syrie, afin de ne pas consolider  le pouvoir de Bachar Al-Assad.

Cette politique du « ni-ni » (« Ni l’Etat islamique, ni Bachar Al-Assad ») est désormais remise en question. Le 7 septembre dernier, François Hollande a annoncé l’intervention des avions français dans l’espace aérien de la Syrie, et les premières frappes ont eu lieu à la veille de l’Assemblée générale de l’ONU. Dans l’intervalle, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense et proche du président français, est revenu sur cette inflexion de la stratégie française (Le Figaro, 19 septembre 2015). Il l’explique par la progression de l’Etat islamique sur le territoire syrien et l’existence de centres terroristes où se préparent des attentats contre la France. Enfin, les forces de Damas sont repliées sur le Nord-Ouest de la Syrie (le « réduit alaouite ») et l’axe Homs-Damas. Frapper dans l’Etat islamique dans l’Est de la Syrie ne favorise donc plus automatiquement le régime de Damas. Pourtant, si la démission de Bachar Al-Assad n’est plus le point de départ d’un règlement politique, son départ demeure le point d’arrivée. Ainsi, Paris a lancé une enquête sur les crimes contre l’humanité commis par le régime de Damas.

In fine, le maintien de cette exigence n’est en rien une singularité de la France qui l’isolerait de ses alliés. Depuis, Londres et Washington ont rappelé leur position: Bachar Al-Assad est un tyran et il ne peut être considéré comme le dirigeant légitime de la Syrie. Ce « point dur » exclut toute vraie alliance entre la coalition occidentale et le front russo-chiite qui prend forme sur le terrain.