Porter un signe distinctif religieux, du communautarisme ?

Charles Beigbeder, Président de Gravitation Group et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

Causeur-transparent

20 janvier 2016 • Opinion •


Après l’agression d’un enseignant juif portant la kippa, par un adolescent fanatique se revendiquant de l’État islamique, il convient de se demander en quoi l’affirmation publique d’une identité religieuse relèverait-elle du communautarisme ? En quoi le port de signes distinctifs religieux serait-il une atteinte à l’unité de la nation ?


Dans sa chronique donnée jeudi 14 janvier à RTL, Éric Zemmour réagissait au sujet de l’agression scandaleuse d’un enseignant juif portant la kippa, par un adolescent fanatique se revendiquant de l’État islamique, et appelait de ses vœux un monde où tous les hommes se dépouilleraient de leur identité religieuse dans l’espace public : « La liberté, c’est l’indifférenciation. La laïcité, c’est la séparation… du privé et du public. Porter une kippa dans la rue, c’est afficher sa religion, l’imposer au regard des autres ». Et de conclure : « l’appartenance religieuse ne concerne que la conscience », sans quoi l’on verserait dans le communautarisme. Le propos a de quoi surprendre. En quoi l’affirmation publique d’une identité religieuse relèverait-elle du communautarisme ? En quoi le port de signes distinctifs religieux serait-il une atteinte à l’unité de la nation ?

Rappelons ce qu’est le communautarisme : une partition de la nation en plusieurs communautés qui ont pris le pas sur le sentiment national. Le communautarisme, c’est lorsque les communautés (ethniques, sociales ou religieuses) deviennent l’unique critère d’identification des personnes dans l’espace public, au détriment de la nation. Il signe en général la mort de celle-ci, comme ce fut le cas lorsque Serbes, Croates, Kosovars et Slovènes cessèrent de se revendiquer de la Yougoslavie. Autrement dit, est communautariste une identité qui tend à devenir exclusive de tout autre pour constituer l’unique moyen par lequel se définit une personne.

Tel n’est pas le cas de l’identité religieuse des Juifs, issus d’une diaspora qui a essaimé aux quatre coins du monde il y a 2000 ans. Dans un discours resté célèbre à l’Assemblée constituante, le comte de Clermont-Tonnerre prônait en ces termes l’émancipation des Juifs de France : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus ». La proposition, pour radicale qu’elle soit, eut le mérite d’accélérer l’assimilation des Juifs qui donnèrent à la France de grands patriotes, parmi lesquelles il est impossible de ne pas citer Moïse de Camondo – dont le fils devait tragiquement mourir au combat en 1917 et qui légua toutes ses collections d’art à la France –, ainsi que Marc Bloch, qui, malgré ses 53 ans et une santé défaillante, demanda à servir dans l’armée française en 1940 et se surnommait lui-même « le plus vieux capitaine de l’armée française ».

Dans ces conditions, il n’est pas pertinent de soutenir que le port de signes distinctifs religieux par un enseignant juif le marginaliserait d’une nation à laquelle ses coreligionnaires adhèrent sans aucune forme de retenue depuis déjà bien longtemps. Le sentiment national auquel est attaché à juste titre Éric Zemmour ne postule pas la disparition des communautés au bénéfice d’un moule indifférencié d’individus sous la coupe d’un État jacobin, mais exige que leur développement s’effectue en harmonie avec les autres composantes de la société française, sans exclusive aucune et dans la continuité de nos traditions. Or, le Judaïsme, dont est issu le Christianisme, occupe une place de choix dans l’histoire de notre pays qu’il a contribué à forger.

La nation ne peut jamais être, sous peine de mourir, cet appauvrissement collectif qui consisterait à se dépouiller dans l’espace public de ce qui nous constitue au plus intime de lui-même. C’est vrai pour l’identité religieuse mais c’est aussi vrai pour l’identité régionale ou toute autre forme d’identification à une communauté ou un milieu social. Car, au fond, une nation n’est pas un ensemble atomisé d’individus isolés sous la férule omnipotente d’un État pouvant mieux contrôler des masses anonymes. Elle n’est pas un alignement indifférencié d’individus qui ont renoncé à faire valoir leur identité.

Les communautés sont parfaitement légitimes quand elles ne prétendent pas au monopole de représentation de l’individu et n’entrent pas en concurrence de l’identité nationale. C’est une vision individualiste de la société digne de Hobbes qui conduit certains hommes politiques à refuser l’existence des communautés sous prétexte de lutter contre le communautarisme. « Je ferai inscrire dans la Constitution que “la République ne reconnaît aucune communauté” »affirmait Marine Le Pen en 2012.