La puissance de la France corrélée avec son histoire démographique

Gérard-François Dumont, professeur à l’Université Paris 4-Sorbonne, président de Population & Avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

Le Figaro

22 janvier 2016 • Opinion •


La démographie conditionne la puissance politique. Cette vérité se vérifie sur l’histoire longue de la France. Avec la mise à bas, en 2014-2015, des principes qui avaient régi sa politique familiale pendant trois quarts de siècle, la France risque de s’aligner à la baisse sur l’intense hiver démographique que connaît l’Europe, avec d’inévitables conséquences…


Pendant des siècles, la France, en tant que pays le plus peuplé d’Europe, dépassant même la Russie à certaines périodes, exerce en Europe une influence considérable. La force démographique de la France explique son influence culturelle : les différentes monarchies européennes choisissent des précepteurs français pour leurs enfants. La langue française domine la diplomatie en Europe au point qu’elle donne valeur juridique aux traités. De même, l’armée de Louis XIV parvient seule à résister à une vaste coalition européenne.

Après des siècles de suprématie démographique, la France possède en 1800 une population supérieure d’un tiers à celle de l’Allemagne et des deux tiers à celle de l’Italie, les deux grands pays européens non encore unifiés, et plus de deux fois et demie supérieure à celles de l’Espagne et du Royaume-Uni.

Puis le XIXe siècle ravale progressivement la place primatiale de la France en Europe, sous l’effet très mortifère des guerres napoléoniennes et le fléchissement, débuté dès le XVIIIe siècle. En conséquence, la population correspondant au territoire allemand actuel dépasse celle de la France vers 1865, quelques années avant la guerre de 1870, et celle du Royaume-Uni en fait de même en 1900.

Dans la seule période allant de 1890 à 1913, la France enregistre sept années avec un nombre de naissances inférieur à celui des décès, une véritable novation démographique en période où la guerre, la disette ou encore l’épidémie ne sévissent pas.

Du coup, en 1913, le Parlement français vote la loi, très impopulaire, des trois ans : les jeunes Français devront effectuer trois ans de service militaire pour que la France puisse aligner une armée capable de tenir tête à celle de l’Allemagne. Mais cela ne suffit pas à compenser la faiblesse démographique française, qui a certainement joué un rôle dans la genèse du conflit : la jeune Allemagne de 67 millions d’habitants pouvait croire qu’elle viendrait aisément à bout d’une France de 39 millions, vieillie, de surcroît. Parallèlement, la France voit la prééminence diplomatique de sa langue disparaître dans les années 1910.

Avec les pertes considérables de la Première Guerre mondiale, soit 1 350 000 morts (militaires), c’est au tour de l’Italie de dépasser la France vers 1930. Pendant toute la première moitié du XXe siècle, la France se trouve non seulement réduite à une petite France de 40 millions d’habitants, situation d’un pays moyen par rapport aux deux plus « grands » que sont l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais aussi beaucoup plus vieillie. Les effets indirects se font sentir : asthénie économique, état d’esprit frileux, politique extérieure et stratégie timorées.

Sous l’effet d’une politique de la famille trans-politique mise en place dans les derniers mois du Front populaire, poursuivie par la IVe République, tant par le général de Gaulle que par ses successeurs, la France connaît, après la Seconde Guerre mondiale, un renouveau démographique qui lui permet de rattraper en nombre d’habitants le Royaume-Uni et l’Italie. Et comme l’Allemagne s’est trouvée divisée par l’occupation soviétique de 1945, la France peut se targuer d’avoir une population comparable à celle de l’Allemagne de l’Ouest. Dans les instances des Communautés européennes qui se mettent en place à compter des années 1950, la France peut obtenir la parité avec l’Allemagne.

Par la suite, notamment grâce à une politique familiale qui reste exemplaire en Europe, la France y bénéficie d’une dynamique sans équivalent, l’Irlande exceptée. Sa fécondité est d’un quart supérieure à la moyenne d’une Europe qui s’enfonce dans ce que j’ai dénommé un « hiver démographique ». Certes, la fécondité française évolue à la hausse ou à la baisse en fonction des décisions positives ou négatives en matière de politique familiale. Par ailleurs, la place de la France dans le monde se trouve relativisée par l’importance des croissances démographiques caractérisant les pays du Sud, qui parcourent à leur tour la transition démographique. Mais elle est aussi stimulée du fait que cette croissance du Sud accroît l’importance de la diffusion de la langue française.

Avec la mise à bas, en 2014-2015, des principes qui avaient régi sa politique familiale pendant trois quarts de siècle, la France risque de s’aligner à la baisse sur l’intense hiver démographique que connaît l’Europe, avec d’inévitables conséquences pour sa puissance dans les institutions internationales comme dans le monde.