En Chine, le pape François pourra-t-il éviter un schisme ?

Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Causeur-transparent

25 février 2016 • Opinion •


La pression exercée sur le clergé chinois pour qu’il fasse allégeance aux autorités de Pékin plutôt qu’au Vatican n’a jamais été aussi forte. Malgré ou à cause de toute leur bonne volonté, le pape François et la diplomatie vaticane sous-estiment sans doute les forces qui poussent au schisme aujourd’hui en Chine.


Quelques jours avant qu’il ne rencontre à La Havane le patriarche Cyrille de Moscou, le pape François avait donné une interview à Asia Times consacrée à la Chine. Dans les deux cas, c’est la recherche de l’unité de tous les chrétiens qui anime l’action pontificale. Mais, tandis que la rencontre de La Havane marque une avancée spectaculaire dans le processus de réconciliation des Églises catholique et orthodoxe, le geste d’ouverture du pape n’a guère trouvé d’écho à Pékin. La perspective d’un schisme en Chine, qui revêt des enjeux dépassant largement le cadre purement religieux, est loin d’être écartée.

Ces dernières années ont été marquées en Chine par une inquiétante régression de la liberté religieuse. Au nom de la lutte contre « le terrorisme séparatiste », la pratique de l’islam au Xinjiang est strictement limitée. Les chrétiens, partout en Chine, subissent vexations et persécutions diverses. Selon l’association China Aid, ce ne serait pas moins d’un millier de protestants qui auraient été arrêtés et emprisonnés durant la seule année 2014. Les catholiques sont aussi très surveillés car suspectés de pratiquer leur religion sous l’autorité d’une puissance étrangère, le Vatican. Donnons le seul exemple du père Pedro Yu Heping, membre très actif de cette « église souterraine » qui vit sa foi loin de la tutelle étouffante de la très officielle Association patriotique catholique. Le cadavre du père Pedro a été retrouvé au mois de novembre dernier. La police chinoise parle de suicide, mais des photos de son corps martyrisé circulent et il ne fait guère de doute que ce prêtre charismatique a été torturé à mort par des sbires quelconques, au service du pouvoir.

Ne pas raidir le pouvoir chinois

Dans son interview, le pape a choisi de ne pas évoquer les persécutions subies par les chrétiens en Chine, usant d’une stratégie vaticane traditionnelle de conciliation à l’égard des pouvoirs autoritaires, dans le but d’éviter tout raidissement susceptible d’accroître l’intensité des persécutions. Le souverain pontife a même engagé le monde à ne pas craindre le pouvoir de la Chine, une déclaration audacieuse dans le contexte de la montée des tensions géopolitiques dans la région Asie-Pacifique, et de l’explosion des dépenses militaires de Pékin. Mais ces déclarations sont restées lettre morte à Pékin. Les églises chrétiennes semblent être considérées par le pouvoir chinois comme une des principales forces subversives du pays. Ce n’est sans doute pas un hasard si le dissident chinois le plus connu, Liu Xiaobo, qui dans sa poésie déclarait « lever les yeux vers Jésus », et moquait les « dieux plaqué or » des Chinois, a été condamné à onze ans de prison pour subversion un 25 décembre.

Malgré ou à cause de toute leur bonne volonté, le pape François et la diplomatie vaticane sous-estiment sans doute les forces qui poussent au schisme aujourd’hui en Chine. Pour comprendre l’attitude des autorités chinoises à l’égard de la religion catholique, il faut la situer dans le cadre plus large de la politique nationaliste de « revitalisation de la nation chinoise » menée par Xi Jinping. L’influence de l’Eglise est comprise par Pékin comme une ingérence étrangère qu’une nation puissante doit pouvoir réduire à néant. Le parti communiste cherche à neutraliser « les superstitions » qu’il n’a pu faire disparaître, et qui sont même aujourd’hui, diabolique surprise pour le pouvoir, en pleine essor. Après des années de crise, l’Eglise et Pékin sont semble-t-il parvenus ces dernières semaines à un fragile compromis sur les ordinations épiscopales qui pourraient dorénavant être décidées conjointement par Rome et Pékin, alors qu’une quarantaine d’évêchés chinois sont actuellement sans titulaires. Cependant, il est difficile de savoir si du point de vue de Pékin, cet accord sera considéré comme autre chose qu’une victoire dans la lutte que mène le pouvoir pour transformer l’Eglise catholique en Chine en une église purement nationale.

Pression sur le clergé chinois

En effet, la pression exercée sur le clergé chinois pour qu’il fasse allégeance aux autorités de Pékin plutôt qu’au Vatican n’a jamais été aussi forte. L’Etat chinois est actuellement engagé dans une lutte sans merci pour renforcer son emprise sur l’ensemble de la société, alors même qu’une bonne partie de celle-ci, entre sortie massive de capitaux, études à l’étranger et émigration, et au-delà des apparences d’un nationalisme parfois tapageur, semble tentée par une sécession protéiforme d’avec le pouvoir central, sécession dont la conversion au christianisme est un des aspects les plus radicaux. De ce point de vue, le schisme auquel paraît être prête l’Association patriotique catholique chinoise n’est qu’une réponse radicale à la sécession spirituelle loin de son emprise idéologique que constitue, selon Pékin, la conversion de plus en plus massive de sa population au christianisme – car, de fait, selon le chercheur Fenggang Yang de l’Université Purdue aux Etats-Unis, la Chine pourrait être dès 2025 le premier pays chrétien au monde, avec 160 millions de fidèles, devant les Etats-Unis…