L’aveuglement de la droite face à la politique de Poutine en Syrie

Hervé Mariton, ancien ministre, député et maire de Crest, vice-président du groupe d’amitié « France-Russie » à l’Assemblée nationale et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

28 février 2016 • Opinion •


Une petite musique dérangeante monte à droite depuis plusieurs mois, celle du poutinisme, mélange d’autoritarisme, d’antiaméricanisme et d’antilibéralisme. Pour certains, Vladimir Poutine fait figure d’homme providentiel, il s’agirait d’un homme d’État défendant légitimement les intérêts de son pays et de son peuple, à la fois contre une agression supposée d’un Occident cherchant à l’encercler et contre la montée du djihadisme au Moyen-Orient. La crise ukrainienne et la crise syrienne seraient des illustrations du retour de la Russie sur la scène internationale et de sa capacité à remettre de l’ordre, après l’échec flagrant de l’Europe et des États-Unis.

Les propagandistes du Kremlin ne doivent pas en croire leurs yeux, de voir avec quelle facilité leurs thèses sont épousées par bon nombre de responsables politiques européens, singulièrement au sein d’une partie de la droite française. Qu’est-il advenu de notre combat pour la liberté ?

Nombreux sont ceux qui ont salué l’engagement militaire du Kremlin auprès du régime de Bachar Al-Assad, du Hezbollah et de l’Iran, y voyant une manière de résoudre enfin l’interminable crise syrienne. Je n’ai jamais partagé cette vision et ne puis que constater aujourd’hui que les faits me donnent tragiquement raison.

La stratégie de Poutine vouée à l’échec

N’en déplaise aux cyniques et aux machiavels aux petits pieds, je ne pense pas que la raison d’État puisse conduire des hommes politiques responsables à soutenir de la sorte un tyran, dont les mains sont pleines du sang de son propre peuple, ni une organisation terroriste (le Hezbollah) qui menace directement l’un de nos amis dans la région, Israël. De telles positions diplomatiques devraient suffire à discréditer leurs auteurs. Surtout que le déshonneur s’accompagne ici d’une profonde erreur d’analyse, car la politique de Poutine en Syrie est à la fois inefficace et totalement incompatible avec nos propres intérêts.

Tout d’abord, comment croire que l’on pourra mettre fin à la guerre civile en Syrie en s’appuyant exclusivement sur un arc chiite et, dans une moindre mesure, sur les forces kurdes quand on sait que la majorité de la population de ce pays est arabe sunnite ? Sauf à considérer, comme le fait Vladimir Poutine, qu’il n’y a aucune différence entre les djihadistes et les opposants au régime d’Assad et que la seule stratégie qui vaille est celle du tapis de bombe contre les groupes rebelles et les populations civiles environnantes, on voit bien qu’il y a là une impasse politique totale.

Ensuite, on confond deux menaces distinctes pour l’Europe à travers cette crise : celui du flux de réfugiés qui fuient la guerre civile pour rejoindre les pays voisins (Turquie, Liban, Jordanie) et l’Europe, et celui de base arrière du terrorisme en Irak et en Syrie qui nous menace directement, comme l’ont rappelé les événements tragiques du 13 novembre. La fable véhiculée par certains est de faire de Daech la cause unique de ces deux phénomènes. Il n’en est rien : si cette organisation est à l’évidence à détruire pour diminuer la menace terroriste, elle n’est pas la cause première de la crise des réfugiés. Ce sont avant tout les exactions du régime syrien et aujourd’hui les bombardements aveugles russes, notamment dans la région d’Alep, qui viennent grossir les rangs des réfugiés syriens et qui fait donc peser une menace majeure pour toute l’Europe.

Dénoncer les doubles jeux

En frappant très majoritairement les groupes rebelles sunnites, pour lesquels je n’ai pas de sympathie particulière mais que je ne confonds pas pour autant avec les barbares djihadistes, plutôt que de frapper Daech, la Russie joue un jeu totalement pervers en Syrie qui accentue la déstabilisation du pays, éloigne la perspective d’un règlement politique et accentue le problème des réfugiés auquel l’Europe est confrontée.

La droite française n’a rien à gagner à s’aligner sur la vision diplomatique de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, pour qui « Vladimir Poutine va régler le problème [en Syrie] ». Elle se discrédite également quand certains prônent une intervention militaire occidentale au sol, qui ne ferait qu’exacerber la crise. Elle doit plutôt dénoncer les doubles jeux intolérables et l’absence de prise de responsabilité des puissances régionales, qu’il s’agisse de la Russie, de l’Iran, de la Turquie ou de l’Arabie saoudite, dont aucune ne s’applique réellement à combattre Daech. La France, l’Europe et les États-Unis doivent renforcer leur alliance pour obtenir un cessez-le-feu des différentes forces en présence, à l’exclusion de Daech.

C’est un ami de la Russie, de son peuple, de sa culture et de sa langue, qui tient ces propos. Je ne me résigne pas à ce que les Russes soient condamnés à l’autoritarisme et à la dégradation vertigineuse de leur économie que l’aventurisme militaire de Vladimir Poutine ne parviendra pas à cacher bien longtemps, comme j’ai pu le rappeler lors de mon dernier déplacement à Moscou. Le dialogue entre l’Europe et la Russie est une nécessité pour construire un avenir partagé, mais ce n’est pas en adoptant une posture couchée et en légitimant les coups de force de son président que nous y parviendrons durablement.