Pourquoi une transition au 100% électrique d’ici 2050 est strictement impossible

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, président du pôle Energie, Climat & Environnement de l’Institut Thomas More

Atlantico

27 mars 2016 • Entretien •


La transition au tout électrique en 2050, comme le désire Greenpeace, est-elle possible?

Il est impossible d’atteindre cet objectif, à cet horizon, tant pour des raisons économiques que sociales. Une telle politique ne pourrait, en effet, pas assurer la sécurité d’approvisionnement électrique à des prix compétitifs. Elle nécessiterait des investissements énormes en production d’électricité, dans les réseaux électriques haute et basse tension (qui devraient être restructurés, c’est-à-dire renforcés et étendus vu la dispersion géographique de la production et l’intermittence de celle-ci, le renouvelable restant très largement éolien et photovoltaïque à cette date) ainsi que dans le « stockage » d’électricité indispensable pour la stabilité du système. Outre le fait que dans ce dernier cas, la technologie n’est pas encore disponible, elle est extrêmement chère.

Les prix d’électricité très élevés qui en résultent, affectent gravement les exportations des entreprises européennes énergivores et provoquent la fuite des investissements industriels vers les pays concurrents de l’Union européenne (carbon leakage) et pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages.

D’autre part, une politique du renouvelable intermittent ne conduit pas à une création nette d’emplois, contrairement à ce que prétendent les associations qui promeuvent ce type de production d’électricité. En effet, les emplois dans les secteurs de la fabrication ou de l’assemblage et de l’installation ne sont pas nécessairement nouveaux, mais résultent également de transferts d’autres secteurs d’activités vers l’industrie du renouvelable. Ils sont, en outre, plus que compensés par la destruction d’emplois résultant des licenciements, voire des faillites comme ce fut le cas en Allemagne, entre autres, avec la faillite de Q-Cell, principal fabricant de panneaux photovoltaïques ; au Danemark, avec le licenciement de milliers de personnes en 2012/2013 chez Vestas ; en Espagne, chez Gamesa, etc.

En outre, une opposition de plus en plus grande des populations à l’installation d’éoliennes (en raison des nuisances qu’elles occasionnent : sonore, visuelle, dévalorisation des propriétés avoisinantes, dangers qu’elles présentent tels que bris de pales qui peuvent être projetées à des dizaines, voire des centaines de mètres dans les cas extrêmes, incendie, etc.) devient un obstacle à son développement.

Quelle est votre solution de transition énergétique ?

Deux remarques préliminaires : l’électricité nucléaire n’émet pas plus de gaz à effet de serre que l’éolien sur terre onshore(terrestre) ou que le photovoltaïque, et moins que l’éolien offshore (maritime) ; une production d’électricité thermique est indispensable pour compenser l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque, et ainsi assurer la sécurité d’approvisionnement électrique.

Dès lors, et en tenant compte du coût global du renouvelable (incluant les coûts de compensation précités, de la restructuration des réseaux électriques et du stockage d’électricité), une alternative plus réaliste au tout renouvelable consisterait :

  • au plafonnement du renouvelable intermittent à un niveau permettant d’éviter, en grande partie, les lourds investissements rappelés ci-dessus et le déploiement du renouvelable non-intermittent ;
  • un prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires existantes moyennant les investissements requis, accordant ainsi le temps nécessaire pour permettre leur remplacement par des centrales de troisième génération, la construction de centrales de quatrième génération (régénérant leur combustible et « brûlant » une grande partie des déchets hautement radioactifs) ne pouvant être envisagée qu’à partir de 2035/2040 ;
  • un recours aux centrales au gaz, dont la technologie est bien maîtrisée et performante, et dont les coûts de production sont relativement bas (pour autant que le marché ne soit pas biaisé), pour compenser l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque. Ces centrales thermiques seraient remplacées par du renouvelable non-intermittent, en temps voulu, pour autant que des progrès technologiques en permettent une exploitation économiquement et socialement acceptable.

Le nucléaire n’émettant pas plus de gaz à effet de serre que l’éolien ou que le photovoltaïque, pourquoi est-il tant diabolisé ?

Ceux qui sont opposés au nucléaire considèrent que cette forme de production d’électricité est dangereuse, d’une part, en raison du caractère radioactif du combustible et, d’autre part, des déchets radioactifs résultant de sa fission. Les accidents de Tchernobyl et du Fukushima sont cités en exemple.

Il faut d’abord souligner que ces deux exemples ne sont pas transposables en Europe.

La conception des réacteurs européens est incomparablement plus sûre que celle des réacteurs soviétiques de l’époque. En outre, sans entrer dans les détails, il est essentiel de rappeler que les manipulations des opérateurs soviétiques seraient inconcevables dans nos pays occidentaux. Enfin, les « liquidateurs » envoyés sur place pour arrêter les émissions radioactives étaient excessivement mal protégés contre les radiations ce qui a été de loin la principale cause de décès. Quant à Fukushima, il ne s’agit pas d’un accident nucléaire en tant que tel, mais d’un phénomène naturel, un tsunami, dont l’ampleur, non prévue, a noyé les pompes de refroidissement des réacteurs. Par contre, les réacteurs avaient bien résisté au tremblement de terre. Il y a lieu également de remarquer qu’il ne faut déplorer aucun décès d’origine nucléaire et qu’ils sont tous dus au tsunami. Quant aux cancers éventuellement causés par les radiations, l’avenir nous dira ce qu’il en est.

Dans l’Union européenne, aucun réacteur n’est construit au voisinage d’une zone sismique. Les décisions qui ont été prises dans certains pays européens à la suite de Fukushima sont essentiellement émotionnelles, de pareilles circonstances ne pouvant se reproduire en Europe. De telles décisions précipitées sont d’autant plus dommageables que la production nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre et que les centrales européennes sont sûres et amorties et donc produisent une électricité bon marché.

Reste la question du stockage des déchets radioactifs. C’est un problème politique. Le stockage souterrain apparaît comme une solution adéquate. Elle a été adoptée en Finlande après les tests requis sur une période suffisamment longue. Le site d’Olkiluoto a été choisi par les autorités finlandaises et les travaux de construction des installations de stockage ont commencé. Les autorités suédoises ont également choisi un site. Toutefois, les travaux n’y ont pas encore commencé. Dans ces deux pays, un travail pédagogique important a été entrepris auprès de la population. Un consensus a été obtenu.

Quelles leçons tirer de la conversion accélérée de l’Allemagne au renouvelable ?

Il faut rappeler qu’avant Fukushima, c’est-à-dire avant 2011, l’Allemagne avait envisagé une « renaissance » du nucléaire, celui-ci permettant de produire de l’électricité bon marché, non intermittente et suffisamment sûre. L’émotion provoquée par Fukushima a conduit le gouvernement Merkel à décider la fermeture immédiate d’environ la moitié des centrales nucléaires allemandes, les autres devant être mises hors service d’ici à 2022.

Cette décision en plus de la loi EEG (Erneuerbare Energien Gesetz) mise en vigueur en 2000 dans le cadre de l’Energie Wende, ont fait flamber les prix de l’électricité qui sont devenus les plus chers de l’Union européenne avec ceux du Danemark et de l’Irlande, trois pays connaissant la plus forte pénétration du renouvelable intermittent.

Au vu de l’impact négatif sur les grandes entreprises énergivores exportatrices, le gouvernement a dû exempter ces dernières du surcoût dû aux renouvelables, reportant ces coûts principalement sur les ménages et les pme et diminuant, par conséquent, le pouvoir d’achat des premiers et le compétitivité des seconds.

Cerise sur le gâteau, la politique « verte allemande » n’a pas atteint son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, bien au contraire, les émissions ont augmenté et sont parmi les plus élevées de l’Union par tête d’habitant. En effet, pour compenser l’intermittence de la production éolienne et photovoltaïque, les électriciens allemands ont eu recours aux centrales thermiques et, plus particulièrement, aux centrales au charbon en plus de celles au lignite et non aux centrales au gaz vu que le prix du charbon est nettement meilleur marché que celui du gaz en raison de la grande quantité de charbon disponible. Cette abondance est le résultat du remplacement du charbon par du gaz de schiste très bon marché aux Etats-Unis, comme combustible pour les centrales thermiques américaines.