La République et ses valeurs · Idoles ou rempart ?

Synthèse de la Rencontre du 18 février 2016, à Paris, avec Frédéric Rouvillois, professeur de droit public à l’Université Paris-Descartes, auteur de Être (ou ne pas être) républicain (éditions du Cerf, 2015), et Pierre Manent, ancien directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur de Situation de la France (Desclée de Brouwer,‎ 2015)

Mars 2016 • Working Paper 29 •


Le sujet de cette Rencontre se présente à nous à la fois comme une évidence et comme un tabou. Une évidence parce que l’invocation de la République et de ses valeurs est omniprésente dans le débat public, le saturent en quelque sorte, que l’on parle des attentats tragiques qui ont touché la France, de la montée du FN aux élections ou de l’actualité sociale (à l’hôpital comme à l’école ou ailleurs). Les responsables politiques discourent et débattent à l’infini de la République, du respect de ses valeurs, de la défense du « pacte républicain », devant des Français qui y adhèrent de moins en moins – puisque 65% d’entre eux disent ne plus y croire. La défense de la République et la promotion de ses valeurs semblent agir, en outre, comme un substitut à un discours sur la France : n’osant plus trop ou ne sachant plus parler de la France, de son identité, de sa culture, de son avenir, les responsables politiques surinvestissent le thème républicain.

Mais la question républicaine relève en même temps de plus en plus du tabou. Expliquer que notre modèle politique ne fonctionne plus, montrer ce qu’il a d’étouffant et d’uniformisateur, explorer la généalogie de ses fameuses valeurs et de ses fondements idéologiques, comme le fait Frédéric Rouvillois dans son livre, simplement rappeler que l’histoire de France ne se confond pas avec celle de la République : tout cela n’est certes pas impossible, ni interdit bien sûr, mais à tout le moins mal vu et un brin suspect. La réception des livres de nos deux orateurs en a fait la démonstration : chacun a, dans sa démarche et sa singularité, gêné, étonné, voire heurté.

C’est peu dire pourtant que les questions que nous avons à affronter réclament qu’on ait ce courage. Le « problème de l’islam », que pose le beau livre de Pierre Manent, est peut-être la principale. Il y montre combien « l’État républicain n’a plus de force » et y affirme qu’il « nous faudra construire communauté et amitié sur d’autres bases que la République laïque ». Le pourrons-nous encore, bloqués comme nous le sommes entre de fausses évidences vides de sens et des tabous paralysants ?

On se le demande quand on lit le livre de Frédéric Rouvillois, dans lequel il montre que depuis deux cents ans toutes les idées, toutes les valeurs, tous les partis, ont pu être qualifiés à un moment ou à un autre de « républicains ». Il en conclue que ce mot « est un piège », qu’il ne dit à peu près rien et qu’il vide le débat public de son contenu. Il le regarde comme le « degré zéro » de la politique. Et l’on s’inquiète lorsque Pierre Manent s’interroge sur la manière dont notre pays, caractérisé à la fois par un État impérieux mais faible, un processus de dépolitisation général et une foi laïque qui tourne à vide, peut et doit apporter des réponses au « problème de l’islam ». Cette réflexion profonde et sans concession, qui a déplu à certains (à droite notamment), l’amène à traiter, non pas de la République comme objet d’étude en soi, mais de notre modèle politique, de ses fondements idéologiques, de leur épuisement et de leur inefficacité.