Assez de dénis, de renoncements, d’immobilisme · La France se meurt du manque de courage de ses élites

Philippe Maze-Sencier, Senior Director, McLarty Associates (Washington), membre du Conseil d’administration de l’Institut Thomas More

Revue Parlementaire

1er avril 2016 • Opinion •


Pas une semaine ne s’écoule sans que de nouveaux chiffres, implacables, ne soulignent un peu plus l’évidence du déclassement de la France. Et pourtant, si l’on écoute nos responsables politiques, on se croirait presque sur le pont du Titanic, l’orchestre jouant « tout va bien, madame la marquise »


La France est-elle épinglée par la Commission européenne pour ses déséquilibres« excessifs », sa dette publique qui « continue d’augmenter » alors même que sa compétitivité et sa productivité « ne se redressent pas clairement » ? M. Sapin répond en critiquant la « contre-pédagogie de Bruxelles », assurant même sans vergogne que « Paris fait partie des bons élèves européens ». Une semaine plus tôt, l’Office des statistiques allemand annonce que les États-Unis ont détrôné la France comme principal partenaire commercial de l’Allemagne en 2015, une première depuis le milieu des années 1970. Mais à Paris, pas un politique pour s’alarmer de cette nouvelle, pour essayer de comprendre et proposer des mesures à même de renverser la vapeur. Officiellement, le gouvernement ne voit qu’un effet ponctuel dans ces résultats. Et si, d’après la chambre de commerce allemande DIHK, non seulement la France n’est pas près de revoir ses lauriers mais elle pourrait même très bientôt se faire doubler par la Chine et le Royaume-Uni, celle-ci ne peut être qu’une Cassandre.

Le nombre de chômeurs bat un nouveau record alors que la jeunesse, frappée par une entrée sur le marché du travail particulièrement difficile et un futur incertain, descend dans la rue pour s’opposer au projet de loi sur le droit du travail. Pour autant, aucun leader politique ne s’interroge sérieusement sur notre politique éducative, sur l’échec à 60 milliards d’euros par an de l’Éducation nationale ou sur les insuffisances et l’inefficacité de la formation professionnelle qui, à 32 milliards d’euros par an, est incapable d’affecter l’un des taux de chômage, et notamment de chômage de longue durée, les plus élevé d’Europe.

L’indice DESI de la Commission européenne classe la performance des pays de l’UE en termes d’économie et de société numériques. En 2016, la France se classe seizième, perdant deux places en un an. Notre pays se retrouve avec un indice DESI inférieur à la moyenne de l’UE, dans le groupe des pays « à la traine », alors que les pays du nord de l’Europe continuent à occuper les premières places du classement et que les Pays-Bas, l’Estonie et l’Allemagne enregistrent la plus forte progression de leurs résultats. Enfin, selon Trading Economics, un site internet américain établissant des prévisions sur la base des données officielles fournies par plus de 200 pays, le PIB de la France devrait doubler d’ici à 2050. Sauf que la France aurait à cette date un PIB moitié moindre que celui de l’Allemagne, alors que le différentiel, à l’avantage de l’Allemagne, n’était que de 15% en 2013.

La France recule, la France régresse, parce que ses élites sont incapables d’imaginer comment réformer un système qui depuis trente ans a fait la preuve de son inefficacité – chômage record, impôts records, déficit qui s’accumulent, dette qui ne cesse de croître, etc. Une incapacité d’une irresponsabilité coupable. Ce modèle social « à la française », dont aucun de nos partenaires européens ne veut, a pour résultat un pays dont le déclassement est de plus en plus difficile à cacher, comme en attestent les chiffres précédemment évoqués. Il est temps de regarder la vérité en face et d’appeler les choses par leur nom. Mais quand François Fillon eut le courage de dire qu’il était « à la tête d’un État en faillite », il se retrouva cloué au pilori par une classe politique unanime dans le déni, le renoncement et l’immobilisme.

Pourtant, le déclassement et le déclin ne sont pas inéluctables et la France a de rares atouts pour ne pas subir les transformations qui découlent de la révolution technologique actuelle, mais pour se les approprier, les adapter et en tirer les moyens pour à nouveau offrir à sa jeunesse un avenir à la hauteur de ses espérances. La France peut remonter la pente, mais encore faut-il avoir le courage de dire la vérité aux Français et d’enfin mener les réformes dont le pays a besoin – et que de plus en plus de Français attendent. Car ils sont conscients du déclassement qui touche notre pays, du manque de perspectives qui affecte notre jeunesse, du manque de vitalité de notre économie, des limites que posent à l’action de l’État nos déficits. La France a besoin de réformes d’ampleur pour retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi, pour libérer les énergies, redonner de la compétitivité à ses entreprises, redonner des marges de manœuvre à l’État et refocaliser son système éducatif sur sa vocation à former des citoyens confiant dans leur avenir, car ils auront été préparés à être des membres actifs de la res publica mais auront aussi été formés pour répondre aux besoins d’un monde du travail en profonde mutation. Des réformes pour recentrer l’action de l’État sur ses fonctions régaliennes comme l’ont fait nos partenaires et non pour qu’il s’emploie (avec le succès que l’on sait…) à la gestion d’entreprises.

L’Allemagne bénéficie à plein de réformes Harz menées par un gouvernement social-démocrate, avec un taux de chômage inférieur à 5% et une croissance solide. Même la Suède, ce parangon bien connu du capitalisme débridé et de l’ultra-libéralisme, a su adapter son économie aux changements en cours malgré un coût salarial élevé et un système social généreux. Les Suédois y sont parvenus grâce à la solidité de leurs fondamentaux macroéconomiques, leur sérieux budgétaire, la compétitivité et la diversification de leur secteur privé et leur investissement dans le capital humain. Allons, Mesdames et Messieurs les politiques, enfin un peu de courage pour redonner un avenir à la France et à sa jeunesse.