Où sont passés ces quarante économistes qui soutenaient Hollande en 2012 ?

Gérard Dusssillol, président du Pôle Finances publiques de l’Institut Thomas More

6 mai 2016 • Opinion •


Quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2012, un groupe de 40 économistes, se fondant sur la rigueur de ses analyses de scientifiques, était sorti de sa réserve universitaire pour publier dans le journal Le Monde un « appel » à voter pour le candidat Hollande.

L’appel débutait comme suit : « Nous sommes économistes et suivons avec attention les débats en cours et les annonces faites par les candidats à la présidence. Nous jugeons leur ambition économique à la pertinence des options qu’ils proposent, en particulier pour ce qui concerne la reprise de la croissance et de l’emploi, le redressement de notre compétitivité, la régulation financière et la vision des politiques économiques européennes. Mais nous jugeons aussi de la crédibilité de leur projet, notamment la cohérence d’ensemble des propositions, leur impact sur la cohésion sociale de notre pays, la constance et la fiabilité des engagements et leur compatibilité avec les contraintes budgétaires. Un candidat se dégage à nos yeux, le plus apte à redresser la France et rassembler les Français. Ce candidat, c’est François Hollande ».

Et se concluait par : « Pour toutes ces raisons nous appelons à voter pour François Hollande. […] François Hollande a présenté un agenda de réformes qui dessinent à nos yeux la voie souhaitable. La crédibilité, l’ambition et la cohérence sont de son côté ».

On connait la suite : les mêmes économistes, sans la moindre pudeur, ont critiqué vertement M. Hollande pour ses échecs et continué sans sourciller à nous prodiguer leurs conseils… pour redresser la France. Comment peut-on les croire encore ?

Comment croire aussi, qu’ils aient pu totalement oublier leur manifeste ? Mais non pas du tout, si les résultats sont aussi catastrophiques, nous disent-ils, c’est que le président n’a pas appliqué les politiques… que eux préconisaient.

Quelle farce, pourrait-on penser ! Mais si l’on s’y arrête un instant, on voit que cette affaire n’est pas du tout risible, on est même ici au cœur du « problème français » : c’est l’irresponsabilité de notre intelligentsia qui, par son conservatisme chevronné, bloque toute évolution des idées dominantes, donc les réformes nécessaires pour nous adapter à un monde en pleine mutation.

On notera à ce titre que certains des signataires jouissent d’une grande renommée. Que tous occupent des positions importantes voire prestigieuses dans notre appareil éducatif. Qu’ils publient beaucoup. De sorte que non seulement ces professeurs assurent la formation des élites de notre pays, mais influencent aussi largement le débat public donc l’opinion… donc les politiques économiques susceptibles d’être comprises et acceptées par nos compatriotes. C’est ainsi que nos universitaires portent une large responsabilité dans les échecs que ces politiques ont engendrés depuis 40 ans (nous ne sommes descendus qu’une fois sous les 8% de chômage depuis 1983). Et il apparaît un peu « facile » de s’exonérer ainsi de ses responsabilités en se défaussant de la sorte sur le politique.

Dans les faits, certains signataires de l’appel ont pris une part significative à la conception du programme de M. Hollande. Et nonobstant leur système de défense, ce programme a été en grande partie… appliqué. S’il n’a pas marché c’est qu’ils s’étaient trompés, une fois de plus. Mais pris la main dans le sac avec ce manifeste inconscient, ils s’en sortent par une pirouette, se gardant bien de reconnaître leurs erreurs.

Et même s’il était vrai que leur programme n’ait pas été appliqué, ils prêtent aussi le flanc à la critique, puisqu’ils nous avaient garanti et la « fiabilité des engagements » du candidat Hollande et « la cohérence d’ensemble » dudit programme.

Comment peut-on leur accorder encore quelque crédit, tant sur le fond c’est-à-dire sur leur intelligence des mécanismes économiques, que sur leur honnêteté intellectuelle quand on voit leur réaction face aux échecs des politiques qu’ils avaient conçues ? On peut alors se demander si ce manifeste n’avait pas aussi pour objet de flatter le futur prince pour en retirer ensuite quelque avantage ou position. D’ailleurs l‘un des signataires — coïncidence ? — a été nommé (en octobre 2015) titulaire de la prestigieuse chaire « Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance » au Collège de France.

« Il faut accepter l’inévitable pour en faire de l’utilisable », disait Talleyrand. L’inévitable, c’est ce manifeste douteux. Il est là, il existe, on ne peut revenir dessus, alors essayons de voir comment on pourrait l’utiliser aujourd’hui dans l’intérêt de tous ; utilisons-le, en demandant aujourd’hui aux mêmes 40 économistes de le « mettre à jour » : qu’ils le reprennent point par point, et qu’avec une intégrité non partisane cette fois, et des mots aussi savamment pesés qu’en 2012, ils fassent le bilan de ces 4 ans, et nous expliquent pourquoi les mesures qu’ils ont fait mettre en œuvre, ont créé 600 000 chômeurs de plus qu’en 2012 en France, quand le chômage baissait significativement partout autour de nous.

Ce serait en effet faire une œuvre salutaire : comme un tel aggiornamento serait une grande première, il bénéficierait d’une large couverture médiatique, ce qui lui conférerait un effet pédagogique majeur facilitant grandement ensuite la réforme. Par nature une telle réflexion se situerait au-dessus du clivage gauche-droite, l’objectif de la baisse structurelle de notre sur-chômage étant devenu une priorité commune à tous les Français : la peur du chômage et du déclassement hante notre société. Cela représenterait la victoire du pragmatisme sur l’idéologie, pragmatisme qui nous a tant fait défaut depuis tant d’années. Ce serait redonner de l’oxygène au débat d’idées, ouvrir de nouvelles perspectives, prendre à revers notre système politique figé, rebattre les cartes. Ce pourrait marquer le début d’une autre époque.

Tout le monde se trompe… et l’objet n’est pas de jeter l’opprobre sur qui que ce soit. Mais on en sort grandi et beaucoup plus crédible, quand on est capable de reconnaître ses erreurs.

Note •

(1) En réaction à cet appel, nous avions publié dans Le Figaro du 25 avril 2012 un article intitulé « Réponse aux 40 économistes qui soutiennent Hollande ». L’article commençait par ces mots : « On retrouve dans ce manifeste tous les marqueurs, les clichés, les fausses représentations, d’un système de pensée qui nous a déjà valu tant d’échecs. Il est grave de voir ainsi d’éminents spécialistes cautionner des propositions irréalistes et dangereuses pour notre pays ». Et il se concluait ainsi : « Si un tel programme se met en place, la sanction va tomber très vite. Comment vont réagir les Français face à de telles désillusions ? ».