Nos politiques doivent réhabiliter le capital, sauf à nous rendre tous plus pauvres !

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More, auteur de Capital et Prospérité (ed. Alternative démocratique, 2016)

L'Opinion

6 septembre 2016 • Opinion •


Aujourd’hui, et plus que jamais en France, il nous faut redécouvrir l’importance du capital dans l’origine de la croissance, de la prospérité et de l’emploi.


Jean-Marc Daniel, en parlant des quarante dernières années de politiques économiques, a pu parler de « gâchis français », en mettant en exergue le manque de constance de nos dirigeants en matière de choix économiques, l’absence de ligne directrice claire et de vision de long terme. Les majorités successives ont parlé de juguler l’inflation, de lutter contre le chômage, de relancer la consommation des ménages mais ont le plus souvent passé sous silence la notion de capital. Or relire certains classiques en économie et leurs disciples modernes, ou tout simplement faire preuve de pragmatisme en écoutant les entrepreneurs, auraient permis à ces mêmes dirigeants de comprendre l’indigence et l’ineptie de la plupart des politiques économiques mises en place. Cela reste vrai au niveau des politiques nationales – fiscalité, cout du travail, régulation bancaire – mais aussi et surtout au niveau des politiques monétaires, désormais maladroitement déléguées à l’échelon européen.

Alors que nos sociétés européennes ne cessent de s’interroger sur notre échec collectif en matière de croissance et d’emploi, la science économique qui traite de la question du capital parait à nouveau cruciale et d’actualité. Les Economistes libéraux dits de l’Ecole Autrichienne (Bohm Bawerk, Von Mises, Hayek) plaçaient le capital (à savoir l’accumulation de connaissances ou de ressources- le capital peut être matériel, financier ou humain) au cœur de nos économies. Cette pierre angulaire de la pensée économique a cependant progressivement sombré dans l’oubli, occulté par une certaine vulgate keynésienne qui ne souciait que de dépense publique et de consommation des ménages. Aujourd’hui, et plus que jamais en France, il nous faut redécouvrir l’importance du capital dans l’origine de la croissance, de la prospérité et de l’emploi.

Notre échec patent doit nous conduire à nous interroger- à nouveau- sur le rôle du capital dans la croissance, alors que nous allons sortir l’an prochain d’un trio successif de Ministres de l’Economie (Moscovici, Montebourg et Macron, les 3M de la Médiocrité) parmi les plus incompétents de la Veme République. Pour avoir fréquenté les conseillers ministériels des trois ministres, notamment le traditionnel conseiller technique en charge du financement de l’économie (en général, un énarque de trente ans qui n’a jamais mis les pieds dans une entreprise…), je peux personnellement attester de l’incompréhension des mécanismes basiques de nos économies qui règne à Bercy. Un spoil system comme aux États-Unis avec un renouvellement total des équipes est à souhaiter dès 2017.

Mon dernier ouvrage Capital et Prospérité propose une relecture de nos économies et des échecs des politiques économiques, à l’aune des courants d’idées qui placent au cœur de leur analyse le capital humain et financier. Il faut comprendre que la plupart des dirigeants occidentaux n’ont toujours pas saisi la nature de la crise de 2008 et par conséquent ne peuvent prendre les décisions économiques adéquates. La crise de 2008 a marqué la fin d’un super cycle de crédit et d’endettement. Comme en 1929, cet épuisement du système du crédit a inauguré une période de désendettement ; ces périodes, consécutives à une période d’au moins cinquante ans d’augmentation des encours du crédit, durent en moyenne dix ans. La France y est rentrée probablement plus tardivement que les États-Unis. Ces périodes de désendettement peuvent être modérément déflationnistes et ordonnées si la politique monétaire est expansive au plus fort de la crise puis progressivement un peu plus restrictive: si les États-Unis paraissent suivre cette séquence, la BCE est complètement à contrecourant puisqu’elle a tardivement commencé sa politique monétaire accommodante : il en résulte un long et chaotique désendettement avec des crises à répétition à prévoir…A dire le vrai, les responsables français ne se soucient même plus de la politique monétaire et des conditions de crédit : Macron n’a rien à dire sur la question, et se contente d’en déférer à la BCE. Or cette dernière a choisi la pire des politiques : intervenir trop tard, dans un contexte déjà déflationniste depuis de longues années, où ses interventions multiplient les bulles spéculatives et les distorsions de marché sans aider l’économie réelle. La BCE aurait dû intervenir en 2012… ou ne rien faire. Mais il semblerait que personne ne s’en soucie à Bercy.

Ces politiques monétaires expansionnistes sont en train de détruire tout rendement pour l’épargne ou l’investissement ; et ce alors que les pouvoirs politiques successifs se sont déjà acharnés sur le plan fiscal à détruire toute incitation à investir dans nos entreprises et la croissance. Le président Sarkozy et son successeur Hollande ont convergé sur des réformes fiscales aberrantes en fusionnant l’imposition sur les revenus d’activité et celle sur le capital. Si on passe sur le problème même de philosophie fiscale (l’essentiel du capital est tout de même du revenu d’activité initialement qui a déjà été taxé), cette fusion a entrainé des taux d’imposition sur le capital et l’investissement tellement dirimant que seul le jeu des niches fiscales et des petits arrangements fiscalo-comptables justifient encore les derniers investissements sur le sol français…L’hémorragie de nos entrepreneurs et de nos cerveaux se poursuivra inéluctablement sans grande réforme de la fiscalité du capital. Pour nos hommes politiques, ces questions semblent être de simples ajustements budgétaires – ou électoralistes dans le pire des cas – alors même que la science économique moderne leur enseigne l’importance de ces sujets. Sans reprendre notre Prix Nobel si adulé que personne ne l’écoute – Jean Tirole –, je reprends dans mon ouvrage la pensée de Roger Garrison, un économiste américain qui propose une macro économie du capital. Sa pensée lumineuse montre à quel point l’interférence des politiques dans la fiscalité du capital détruit les conditions de l’investissement et de la croissance.

Car à force, tantôt de se défausser sur la BCE en lui déléguant toute la politique monétaire, tantôt d’ânonner une vulgate keynésienne sur l’emploi et la consommation qui n’existe plus que dans les cours d’économie publique de l’ENA, nos dirigeants politiques ont oublié les conditions de la création et du développement de nos entreprises; notre politique économique devrait s’attacher, pour toute décision, loi ou règlementation, à évaluer les conséquences pour les entrepreneurs, de ce que les économistes appellent les externalités négatives.

Nous entrons dans l’âge de l’économie coopérative, désintermédiée et collaborative ; celle d’une économie dominée par les NBIC. Nous montrons dans notre ouvrage à quel point les reformes que nous appelons de nos vœux, sont cruciales non seulement pour rattraper les pays qui eux ont déjà fait ces réformes courageuses (pour simplifier, les reformes Hart-Schroder en Allemagne), mais aussi et surtout pour projeter la France dans ce nouvel âge économique ; si nous entrons dans une nouvelle grande transformation polyanesque, encore faut-il inventer la fiscalité, le droit, les politiques économiques qui vont avec… à défaut, notre décrochage économique sera définitif. A titre d’exemple, dans le domaine de l’innovation, malgré la couverture médiatique sur la French Tech, les chiffres sont éloquents : les investissements annuels mondiaux dans le capital risque s’élèvent à plus de 120 milliards d’euros, dont 70 aux États-Unis. La France, pays cinq fois plus petit que les États-Unis, n’investit chaque année que 1,5 milliards dans le secteur (cinquante fois moins)… et encore, au cours des dernières années, l’essentiel de cet argent fût public, provenant de la BPI et donc probablement relève plus de l’affichage politique que du vrai investissement…On peut dire que le secteur du capital risque est encore à créer en France, alors même que l’assurance vie draine des montants phénoménaux vers le seul immobilier dit de rendement (et non la construction qui elle créerait des emplois)…même si ces rendements sont en train de se réduire comme peau de chagrin.

Nous pourrions multiplier les exemples : que l’on déplore la faiblesse des emplois créés dans les start-ups, l’échec industriel, les rachats d’entreprises par des étrangers (où sont les fonds de pension à la française, et pour quel rendement attendu avec ces politiques monétaires et fiscales inadaptées ?), le système de retraite qui ne tient plus la route, le chômage endémique des jeunes, la persistance de la grande pauvreté en France (SDFs, familles en difficulté, etc)…la plupart des échecs de politiques économiques et sociales peuvent être attribués à des décisions politiques qui ne prennent jamais en considération l’importance du capital pour créer et développer des entreprises et des emplois, et donc instaurer de saines conditions pour la croissance. Il ne sert à rien de parler d’une économie de rente contre une économie de croissance. Encore faudrait-il identifier ce qui est une rente et ce qui ne l’est pas, et orienter notre système économique autour du capital et de la création d’entreprises. Ecoutons simplement Schumpeter : « Le profit n’est pas une rente… Il est l’expression de la valeur que crée l’entrepreneur, tout à fait de même que le salaire est l’expression de la valeur que crée le travailleur ».