Le ministre récidive aujourd’hui concernant la mixité sociale. Elle proclame haut et fort au Monde le 7 septembre dernier qu’« il faut rompre avec le mythe français de la mesure globale uniforme, du grand soir politico-technocratique » parce qu’elle « ne pense pas qu’un algorithme puisse constituer une baguette magique » pour « imposer autoritairement la mixité sociale, en supprimant au passage une partie de la liberté de choix des parents ». Le surlendemain, c’est pourtant le choix qui est fait par le recteur de l’académie de Paris qui annonce la mise en place pour la rentrée 2017 d’un algorithme qui affecte automatiquement par ordinateur les 12 000 enfants de l’enseignement public entrant en sixième, sur la base de critères parmi lesquelles l’origine sociale, l’emplacement géographique ou encore les résultats scolaires.
Intitulé Affelnet, cet algorithme m’a d’abord fait penser à un mauvais film de science-fiction, tel THX 1138 qui va jusqu’à prétendre régir les rapports sexuels entre les personnes. L’Éducation nationale n’en est pas encore là mais on y tend doucement avec cet algorithme digne de la Corée du Nord ! Concrètement, Affelnet signifie qu’à partir de la rentrée 2017, au lieu d’être affectés au collège le plus proche du domicile de leurs parents, les enfants seront regroupés au sein d’un « secteur multi-collèges » comprenant plusieurs collèges limitrophes mais hétérogènes sur le plan social et affectés ensuite à l’un d’eux selon un algorithme qui permette d’obtenir la même proportion d’élèves issus de familles défavorisées dans chaque établissement. L’idée est de mettre fin à la ségrégation sociale récemment dénoncée par Thomas Piketty dans les colonnes du Monde, selon laquelle dans certains quartiers, des collèges concentrent une forte proportion d’enfants issus de familles aux revenus modestes tandis qu’à quelques rues d’écart, un autre collège regroupe majoritairement des enfants issus de milieux aisés, notamment dans les arrondissements de l’Est parisien.
À quelle réalité renvoie une telle mesure ? Elle confirme, d’abord, s’il en était encore besoin, l’extrême disparité sociale et culturelle de la population parisienne, fruit de quinze années d’implantation, par la gauche, de logements sociaux dans le but d’y installer des populations récemment immigrées et s’attirer par-là une juteuse clientèle électorale. Ensuite, elle souligne qu’en situation de précarité culturelle, les familles préfèrent toujours se regrouper par affinité sociale et culturelle, celles qui sont aisées s’installant dans un quartier où leurs enfants peuvent fréquenter des élèves similaires, celles issues de la diversité scolarisant également leurs enfants sur la base d’une affinité sociale et culturelle, ce qui explique une telle hétérogénéité d’un quartier à un autre.
L’attrait du semblable est en effet un des ressorts les plus fondamentaux de l’être humain, surtout lorsqu’il se sent en insécurité culturelle. Et la mixité sociale ne se décrète pas arbitrairement d’un côté comme de l’autre de l’échelle sociale. Elle est le fruit d’un lent travail d’homogénéisation du corps social fondé sur des relations de confiance mutuelle qui s’établissent progressivement et qu’accompagne logiquement une politique d’assimilation à laquelle la France a malheureusement renoncé. La conséquence de tout cela, c’est précisément cette ségrégation sociale contre laquelle Najat Vallaud-Belkacem entend lutter, sans toutefois s’interroger sur les raisons qui l’ont rendue possible.
Que penser de la solution proposée ? Elle découle en droite ligne de ce « grand soir politico-technocratique » dont le ministre entend pourtant se départir. On ne remplacera en effet jamais la décision humaine par la technique parce que si puissant que puisse être un algorithme, il ne peut prendre en compte la diversité des situations humaines ainsi que l’individualité de chaque enfant. Il est absurde et irresponsable de se défausser sur un algorithme qui comporte par ailleurs bien des aléas : déjà utilisé pour le passage au lycée, Affelnet a défrayé la chronique en juillet dernier en affectant 83% d’élèves boursiers au lycée Turgot si bien qu’en classe de seconde, presque 9 élèves sur 10 sont désormais issus des milieux défavorisés aujourd’hui, provoquant ainsi la fureur des enseignants et des parents d’élèves. Une aberration technocratique conduisant certains élèves, ayant pourtant de bons résultats et habitant à proximité du lycée, à se voir refuser l’inscription pour laisser place à des boursiers venant de plus loin mais prioritaires pour intégrer cet établissement classé 3ème sur 113 à Paris l’an passé et situé au cœur du IIIème arrondissement.
Autre conséquence fâcheuse, Affelnet risque de renforcer la ségrégation sociale qu’il souhaite combattre. Dans l’Est parisien, les familles aisées qui scolarisent actuellement leurs enfants dans l’enseignement public, voudront éviter l’aléa de l’algorithme et investir massivement l’enseignement privé non soumis à ce dispositif, ce qui accentuerait le fossé entre populations. Mais cette mesure leur sera rendue difficile en raison du quota arbitraire qui limite la création d’une place dans l’enseignement privé à celle de quatre places dans l’enseignement public, maintenant ainsi artificiellement un ratio 20% / 80% entre le privé et le public. Or, à Paris, ce quota est déjà de 34% ! Alors, ces familles déménageront…
Enfin, par cette mesure, Najat Vallaud-Belkacem fait peu de cas de la liberté éducative des parents qu’elle prétend pourtant promouvoir. Pourquoi ne pas laisser aux parents le choix de décider de l’établissement dans lequel ils souhaitent inscrire leurs enfants ? La carte scolaire, qui sectorise les familles sur l’établissement le plus proche de leur domicile, est déjà une entrave à la liberté éducative. Mais les parents la contournaient en décidant de s’installer au plus proche de l’établissement dans lequel ils souhaitaient inscrire leurs enfants. Avec Affelnet, plus aucune garantie d’obtenir le collège de son choix, même si l’on habite à proximité. C’est la loterie de l’algorithme qui en décidera.
Au lieu d’une solution arbitraire et technocratique, Najat Vallaud-Belkacem ferait bien de se demander pourquoi certaines familles cherchent à éviter certains établissements pour leurs enfants. Ce n’est pas la mixité sociale qu’elles refusent, ni le « vivre-ensemble » auxquels elles seraient opposés par principe. Les parents souhaitent seulement pour leurs enfants des établissements qui leur garantissent les meilleures chances de succès scolaire, de bonnes fréquentations amicales et un cadre de vie sécurisé. Tant qu’il y a des agressions et du racket dans certains collèges, que les fréquentations y sont douteuses et que le niveau d’enseignement tire tous les élèves par le bas, il ne faudra pas s’étonner que les parents veuillent protéger leurs enfants de ce triple fléau.
La solution est éducative et politique, et non technique. Au lieu d’imposer par le haut un système rigide qui prend les familles pour des pions arbitrairement placés sur l’échiquier scolaire, notre ministre ferait mieux de rétablir l’égalité des chances en promouvant l’enseignement des savoirs fondamentaux – notamment les humanités -, en éradiquant de certains établissements scolaires la violence endémique qui les gangrène et en mettant en œuvre une politique d’assimilation fondée sur le roman national et la fierté patriotique. Alors, il n’y aura plus besoin d’Affelnet pour promouvoir la mixité sociale !