16 mars 2017 • Opinion •
Avec treize millions de bénévoles, plus d’un million d’associations actives et un peu plus de 4 500 fondations, le secteur non lucratif se porte plutôt bien dans notre pays. Les Français y assouvissent la quête de sens et d’engagement que la politique ne leur offre plus. Les prétendants à l’élection présidentielle seraient bien inspirés de comprendre ce profond mouvement et de l’accompagner.
C’est vrai du secteur des fondations qui se montre particulièrement dynamique avec une augmentation des fondations d’entreprise et abritées et surtout des fonds de dotation. Néanmoins, le nombre de fondations reconnues d’utilité publique reste faible au regard de pays comme les États-Unis ou le Danemark, par exemple. Pour pérenniser les fondations françaises, il convient d’abord de sécuriser leur financement et, sur ce point, plusieurs mesures fiscales sont possibles, que détaille l’Institut Thomas More dans sa note. Mais il faut aller plus loin. C’est pour répondre à cette ambition que nous proposons le développement du modèle de « fondation actionnaire ».
Les blocages français
Dans les dix prochaines années, 700 000 entreprises sont susceptibles d’être cédées ou transmises en France. Et de plus en plus d’entrepreneurs ne souhaitent plus intégrer leur patrimoine professionnel dans la logique de transmission familiale mais donner tout ou partie de leurs titres à une structure non lucrative (généralement de type fondation), qui pourra piloter l’entreprise à l’avenir, tout en en percevant les fruits pour financer sa finalité d’intérêt général.
Le système novateur de la « fondation actionnaire », qui inverse les rôles classiquement admis, est la solution : ce n’est plus l’entreprise qui alloue une part modeste de ses bénéfices à une fondation périphérique, mais la fondation qui détient l’entreprise, oriente sa stratégie, et finance, grâce aux dividendes qu’elle perçoit, des causes d’intérêt général. Ce système existe et fonctionne parfaitement à l’étranger : citons les cas de Bosch en Allemagne, de Novonordisk et Carlsberg au Danemark, de Saab et Ericsson en Suède ou encore de Rolex et Victorinox en Suisse (Voir Les fondations actionnaires. Première Etude européenne, Prophil, Cabinet Delsol Avocats et l’ESSEC, Paris, 2015).
Ce modèle est cependant peu connu et encore éloigné de la mentalité française, les textes restant flous en la matière. Et le Conseil d’État, « gardien » de la reconnaissance d’utilité publique, refuse de laisser aux fondateurs d’une fondation une majorité de contrôle dans l’organe de gouvernance, alors même qu’ils ont accepté de se défaire d’une part significative de leur propriété. La France ne connaît qu’une seule fondation actionnaire majoritaire d’une entreprise, la Fondation Pierre Fabre.
Quatre obstacles à lever
Afin de faciliter le développement de ce type de fondations, il serait possible d’envisager quatre modifications concrètes pour inciter plus facilement les dons ou legs d’actions à des fondations existantes ou créées à cette occasion, notamment (mais pas seulement) au moment de la transmission de l’entreprise.
Pouvoir détenir majoritairement une société. Aujourd’hui, les fondations peuvent certes être légalement propriétaires d’une majorité des actions d’une entreprise mais dans la limite de leur objet social. Le Conseil d’État interprète strictement le principe dit « de spécialité » et en déduit qu’une fondation ne pourrait détenir que des entreprises exerçant, bien que dans des finalités différentes, des activités connexes ou similaires.
On pourrait imaginer que la loi reconnaisse sans limitation la possibilité pour une fondation de posséder la majorité du capital d’une ou plusieurs sociétés, avec une dissociation claire entre capital, droit aux dividendes et droits de vote. Habituelle dans les pays nordiques, cette dissociation permettrait par exemple à une famille fondatrice de conserver une majorité de contrôle de la société (les droits de vote de la fondation étant réduits), mais la fondation restant bénéficiaire d’une majorité des dividendes versés.
Donner aux fondateurs une majorité dans l’organe de contrôle. Le Conseil d’État refuse de donner aux fondateurs d’une fondation reconnue d’utilité publique plus du tiers des sièges et des voix dans l’organe de gouvernance de la fondation. Si les donateurs potentiels acceptent, dans un geste libéral, de se défaire d’une part significative de leur patrimoine et des revenus correspondants, leur crainte, bien légitime, reste donc une perte de contrôle de la fondation et d’éventuelles dérives de gestion future.
Pourtant, en tant que créateurs, ils auraient toute légitimité à conserver, s’ils le souhaitent, la gouvernance de la fondation. C’est la raison pour laquelle certains se tournent plutôt vers la création d’un fonds de dotation, plus souple sur ce point mais moins pérenne qu’une fondation reconnue d’utilité publique. Il convient donc d’assouplir, enfin, la doctrine du Conseil d’État.
Réduire la réserve héréditaire. Le principe de la « réserve héréditaire » empêche un donateur ou testateur de donner tout ou partie de sa fortune, au-delà de la quotité disponible (le Code civil prévoit en effet qu’on ne puisse léguer plus de la moitié de ses biens à quelqu’un d’autre si on a un enfant, plus du tiers si on en a deux, plus du quart si on en a trois, etc.). Certains actionnaires donc hésitent à donner un nombre de titres important à une fondation, a fortiori lorsque l’entreprise représente une part significative de leur patrimoine.
Lorsque les enfants sont déjà suffisamment dotés (ce qui reste un montant, ou pourcentage, à apprécier), leurs parents pourraient ainsi, sans risque de remise en cause ultérieure, donner ou léguer une partie des titres de l’entreprise au-delà de leur quotité disponible, cette disposition pouvant d’ailleurs, plus largement, concerner toutes formes de libéralités consenties à des fondations reconnues d’utilité publique ou à des fonds de dotation.
Se passer des holdings intermédiaires. De nombreuses sociétés dans d’autres pays européens (Allemagne, Danemark, Suède, Suisse, etc.) sont détenues directement par une fondation. En France, certains craignent cette gestion directe de la société par la fondation actionnaire et voudraient imposer alors une société holding intermédiaire.
Cette réticence est totalement infondée dans la mesure où les administrateurs de la fondation peuvent déléguer un ou plusieurs d’entre eux pour assurer l’administration de la société – comme cela est souvent le cas dans les grandes fondations actionnaires du monde nordique ou anglo-saxon. Il n’est d’ailleurs pas rare, en sens inverse, que des dirigeants de société siègent comme administrateurs de la fondation créée par l’entreprise, avec une compétence et une indépendance parfaitement reconnues.
Pour éviter toute discussion en la matière, il suffirait d’écrire clairement qu’une fondation peut détenir une participation directe dans ses sociétés filiales, si elle le souhaite ou si cela paraît opportun, tout en conservant à ce titre, quel que soit le pourcentage de détention, une gestion patrimoniale.
Créer un nouveau statut ad hoc de « fondation d’utilité économique »
Pour aller au bout de ces propositions, une réflexion mérite d’être ouverte sur la pertinence d’un statut juridique dédié. Il y a certes déjà pléthore de statuts de fondations en France, mais il suffirait de distinguer les fondations « privées » (inspirées des fonds de dotation) des fondations « reconnues d’utilité publique » et ainsi supprimer la plupart des catégories spécifiques actuelles (fondations partenariale, universitaire, hospitalière, d’entreprise, etc.).
Cependant, aucun statut n’est aujourd’hui dédié à cet objet spécifique, ou du moins prioritaire, qu’est la transmission et la protection d’une entreprise française, de son patrimoine industriel, le maintien de son capital sur le territoire national, et donc de l’emploi, dans une perspective de long terme.
Une telle fondation « d’utilité économique », qui entrerait dans la catégorie des fondations privées, bénéficierait de façon irrévocable et inaliénable de titres de l’entreprise pour la protéger et garantir au mieux sa pérennité, et aurait aussi, nécessairement mais secondairement comme dans les pays nordiques, pour objectif de poursuivre une mission philanthropique et de bénéficier, à ce titre, d’avantages fiscaux spécifiques liés à son caractère d’intérêt général.