Elections anticipées · Pari risqué pour Theresa May

Pierre-Alain Coffinier, ancien Consul général à Edimbourg, chercheur associé à l’Institut Thomas More

19 avril 2017 • Opinion •


Après avoir rejeté des mois durant la perspective d’élections anticipées, Theresa May a annoncé le 18 avril de nouvelles élections législatives, deux ans après les dernières (mai 2015), pour le 8 juin prochain. Elle invoque les forces politiques qui l’empêcheraient de mener à bien sa tâche : le Labour, les Libdems, les nationalistes écossais, le Parlement même, en particulier la chambre non-élue des Lords, alors que le peuple se serait rallié au Brexit.

L’objectif : capitaliser sur une conjoncture favorable avant que les choses ne se gâtent

C’est aller un peu vite en besogne : ni le Labour, dirigé par un leader controversé lui-même secrètement partisan du Brexit (Jeremy Corbyn), ni les Libdems décimés ne constituent une opposition sérieuse. La Chambre des Communes n’a été qu’une chambre d’enregistrement pour la loi autorisant le Premier Ministre à invoquer l’article 50 du Traité de Lisbonne et notifier la sortie britannique. Enfin, si les Britanniques se sont en effet accoutumés au Brexit, ils sont bien moins rassurés à l’idée de quitter l’Espace économique européen (EEE). Et, entre un départ de l’Union européenne et une Ecosse menaçant de faire sécession, ils renonceraient plus volontiers au premier.

L’objectif de Theresa May est évidemment de profiter d’une conjonction propice. Les sondages lui donnent une cote de popularité exceptionnelle (+21 points), que lui vaut son écoute, nonobstant les mises en garde de l’establishment, des inquiétudes de ses compatriotes : moins d’immigration et d’immixtion de Bruxelles dans les affaires britanniques avant tout. Les premiers signes d’un essoufflement de l’économie, d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat semblent arriver… mais ne sont pas encore pleinement ressentis par la population. Enfin, les négociations ne commenceront pas avant juin : les lignes directrices des négociations par les 27 doivent être adoptées fin avril et ne seront entérinées par les ministres des Affaires étrangères que le 22 mai, après les présidentielles françaises.

Une majorité parlementaire plus confortable, qui paraît aujourd’hui dans la logique des choses, serait bien utile au Premier ministre. Après une rhétorique intransigeante, elle se rend compte qu’elle devra faire des concessions. Les études sont faites : Londres devra continuer à payer, à se plier aux arbitrages de la Cour de Justice de l’Union européenne bien plus longtemps qu’annoncé ; l’immigration communautaire ne baissera que très marginalement. Enfin, le risque d’un échec des négociations est réel dans le délai imparti de deux ans. La tâche juridique pour préparer le Royaume-Uni à se couper de l’ordre juridique européen est titanesque.

Les optimistes considèrent donc que si les élections du 8 juin s’inscrivent bien dans la trajectoire des tendances actuelles, elle pourra gouverner plus confortablement… ce qui rendra plus faciles ses incontournables concessions.

Un royaume de moins en moins uni

Mais voilà. Pas plus au Royaume-Uni qu’ailleurs les élections ne sont gagnées d’avance. Le premier risque est de voir le débat tourner bien plus autour de la sortie du marché intérieur européen, qu’autour du Brexit lui-même, effectivement plutôt admis. May n’est pas la blanche défenderesse d’un Brexit plébiscité contre un establishment qui entendrait frustrer le peuple de son choix démocratique. Le débat a changé. Par zèle démagogique, elle a opté pour une forme de Brexit extrême qui donne au contrôle de l’immigration la primauté sur l’économie. Or les études montrent qu’une telle priorité n’est pas partagée par des Britanniques, largement pragmatiques, et le serait d’autant moins si l’économie entrait dans une zone de turbulences (comme de premiers signes en apparaissent).

Dans ce contexte, si May peut en effet conforter une majorité qui n’est aujourd’hui que de 17 sièges sur 650, la campagne pourrait accélérer la recomposition du paysage politique pour ou contre les liens économiques les plus étroits avec les 27. Tel serait le cas si parmi les nouveaux députés conservateurs beaucoup était pour le maintien dans l’ EEE et si le Libdem conquérait plus de sièges sur les Tories que ceux-ci n’en gagneront sur les travaillistes. Enferrée dans une version « hard » du Brexit, elle pourrait se retrouver minoritaire alors que le Parlement doit voter d’ici deux ans le projet d’accord sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE, qui sera d’abord une facture (le solde des comptes), dans un contexte de réorganisation normative et administrative d’une rare complexité.

Par cette nouvelle manœuvre May ignore enfin, et une nouvelle fois, les entités dévolues. Elle a l’intention de conforter sa majorité tory pour mettre en application une vision du Brexit rejetée par l’Ulster – qui tient avant tout à sa continuité économique avec la République d’Irlande – comme par le Pays de Galles, qui veut aussi rester dans l’EEE. Mais le plus gros risque est écossais. On sait bien que 70% des Ecossais sont las des votes et n’ont aucune appétence pour un nouveau référendum pour une indépendance qu’ils ont rejetée en septembre 2014 à 55%. Mais la perspective, qui se rapproche, d’un gouvernement tory installé pour longtemps à Londres, auquel ils restent largement réfractaires, et pire encore la sortie de l’EEE sont deux lignes rouges qui changeront la campagne législative au nord du mur d’Hadrien en un débat pour ou contre ce deuxième référendum d’indépendance… et donc en un pré-débat pour l’indépendance sur fond de départ du Royaume-Uni du plus grand marché du monde.

Interesting times…