« PMA pour toutes » · Derrière le problème éthique, la dérive culturelle

Christian Flavigny, pédopsychiatre et psychanalyste, Elizabeth Montfort, présidente du pôle Famille et Société de l’Institut Thomas More et Chantal Delsol, philosophe, membre de l’Institut (1)

 

23 juin 2017 • Opinion •


L’avis du Comité Consultatif National d’Éthique sur l’ouverture à une « PMA sociétale » est attendu par les pouvoirs publics ; répondra-t-il aux deux questions posées : l’ouverture de la PMA aux couples de femmes sera-t-elle sans incidence préjudiciable sur les enfants et les familles ? Est-il ou non discriminatoire qu’une femme seule ou deux femmes ensemble s’en voient refuser l’accès ?

La pratique de la PMA fut calquée sur l’adoption plénière conçue comme l’enfantement affectif par le couple qui adopte ; pour cette même raison la PMA répond de seules indications médicales, palliant la stérilité d’un couple dont la relation porte l’enfantement. Car l’enfantement ancre le lien filial ; les parents, que leur union d’homme et de femme rend procréateurs, perpétuent à la génération suivante ce que firent pour eux leurs propres parents qui jadis leur donnèrent vie. Et l’enfant y fonde sa raison d’être et la logique de sa venue au monde comme leur successeur dans la lignée. Ainsi s’inscrit la procréation en une transmission gérant la dette symbolique qui fait le fil des générations.

Des vies familiales s’affranchissent de l’enfantement, excluant toute vraisemblance biologique : comme célibataire, en union de même sexe, ou en un âge dépassant celui de la fécondité. Faut-il leur reconnaître désormais un accès de droit à la PMA ? Ce serait changer la nature de celle-ci, ce que ne prennent pas en compte des études menées auprès des enfants nés dans ce contexte. Avoir deux pères ou bien deux mères, ou encore un père né fille mais qui obtint un changement de sexe à l’état civil à la raison d’être « transgenre » ou une mère née garçon, cette situation appelle pour l’enfant de se forger sa réponse intime à “pourquoi je me trouve privé d’avoir père et mère” ; elle lui deviendrait impensable si elle était légalisée, autrement dit banalisée par une prise de position collective qui alors piègerait son questionnement légitime.

Cela de plus invaliderait l’enfantement comme transmission, pourtant pivot de la vie familiale : chacun ne devient père que depuis son vécu passé en tant que fils de son père (de même chacune, depuis sa relation de fillette à sa propre mère). Ne pas légaliser, ce n’est ni entretenir une discrimination ni refuser la diversité des familles ; c’est fonder l’équilibre de toutes les vies familiales sur les bases solides du lien psychique de filiation.

Alors vient l’argument : d’autres pays ont validé le principe de la « PMA pour toutes », la France n’est-elle pas rétrograde à le refuser ? Mais ces pays ne centrent pas le principe de transmission sur la vie psychique ; ils le gèrent par la référence aux religions dont ils les font garantes. Ainsi les États-Unis leur donnent une place centrale (le Président y prête serment sur la Bible, imagine-t-on le Président français prêtant serment sur les Évangiles ?), cependant qu’une garantie filiale est requise d’une « filiation biologique » qui n’est pourtant qu’un leurre puisque jamais le fait d’être parent n’a été fondé exclusivement par le biologique (ou bien alors l’adoption ne veut plus rien dire). On voit les désarrois que cela entraîne ; ainsi le recours angoissé aux blogs de recherche de « parent biologique » omet qu’un géniteur ne suffit pas à faire un père mais qu’un père peut ne pas être le géniteur : ces tentatives cherchent à soulager d’affres affectives survenant dans un lien familial constitué avec un concours de PMA, alors que c’est d’une difficulté affective qu’il s’agit comme il en arrive dans toutes les familles. L’adoption illustre d’identiques désarrois lorsque l’open adoption américaine amène des échanges d’enfants à la raison qu’un enfant adopté n’aurait pas pu trouver sa place dans une famille et la trouverait peut-être mieux dans une autre ; pratique bien peu sécurisante. D’autant que ces mêmes pays pratiquent la sélection du donneur sur catalogue, acceptent la vente des produits de son corps propre, en particulier de gamètes (contrairement au principe français de « l’indisponibilité du corps »), pratiquent l’achat de pratiques procréatives : les questions éthiques sont aussi des questions culturelles. On notera que ces pays justifient la légalisation de la GPA pour des unions masculines à la raison de ne pas discriminer les hommes, la « PMA pour toutes » ouvrant l’aide médicale aux unions de femmes.

Alors, gare au « progressisme » qui n’est qu’une déculturation teintée d’idéalisation du modèle anglo-saxon. La validation en France d’une « PMA sociétale » accentuerait la dérive suscitée par la légalisation en 2013 du « mariage pour tous », qui changea la nature du mariage et de l’adoption. Le pouvoir politique d’alors résuma à tort la réaction populaire qui s’ensuivit à un passéisme alors qu’elle plaidait que l’épanouissement de tous les enfants demeure inscrit dans la pratique culturelle française, exempte de tout préjugé et n’excluant personne.

La légalisation de la « PMA pour toutes » ne se résume pas à une « éthique », c’est un enjeu sociétal de la plus extrême gravité. Le Président Macron choisira-il d’accentuer encore une déliquescence culturelle, au mépris de réactions taxées avec condescendance de « populistes » ? Il y a risque qu’il veuille donner des gages « de gauche », et qu’une fois de plus la famille fasse les frais du souci politique d’afficher un « progrès social » : un progressisme qui n’est qu’une déculturation. Ce serait à coup sûr fragiliser plus encore le tissu familial et social en France.

(1) Co-auteurs, avec notamment Michèle Fontanon-Missenard, Anne Gilson, Aude Mirkovic et Bénédicte Palaux-Simonnet de L’enfant oublié. Propositions pour la famille de demain, éditions du Cerf, 2016.