Un an après le référendum, les voies du Brexit sont toujours impénétrables

Pierre-Alain Coffinier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

 

23 juin 2017 • Opinion •


Il y a un an, les Britanniques votaient pour sortir de l’UE. Au mépris de la logique économique, Theresa May a privilégié un Brexit « identitaire », érigeant le contrôle de l’immigration, le rejet de la législation communautaire, de la juridiction de la Cour de Justice de l’Union Européenne, des contributions payées, en lignes rouges. Un an après, sa vision qui eût représenté un casse-tête administratif, irréaliste à négocier en deux ans pour un résultat des plus incertains, est désavouée.

Un soft Brexit dans l’Espace économique européen (EEE), qui préserve la plupart des liens économiques, paraît réunir la majorité actuelle des suffrages. Mais pour combien de temps ? Le statut d’observateur de la législation européenne qui serait le sien est-il envisageable pour la deuxième économie d’Europe ? Un passage temporaire dans cette structure, qui offrirait le délai indispensable pour la négociation d’un statut de « Grande-Bretagne globale » ouverte sur le monde que May propose toujours, serait-il possible ? Cela en vaudrait-il la peine ? Sinon en pleines turbulences économiques et politiques, tout paraît ouvert pour Londres. Y compris un retrait de la demande de sortie avant l’échéance du 30 mars 2019, date de la fin des négociations. Celui-ci préserverait le statut actuel, avec ses dérogations.

L’influence politique, économique, diplomatique et stratégique de l’Union Européenne, où le Royaume-Uni est un atout de premier plan, ne pourrait qu’en bénéficier.

A l’origine

A la stupéfaction de tous, les Britanniques votaient de justesse le 23 juin 2016 pour sortir de l’UE : 51,9% pour le départ, 48,1% pour rester.

Ce résultat était atypique. Très rarement depuis une trentaine d’années les enquêtes n’avaient en effet donné le départ gagnant. Si près des deux tiers des Britanniques estimaient bien que « l’Europe portait atteinte à l’identité britannique », autant considéraient que l’adhésion « avait été bénéfique à l’économie » de leur pays. Au total, leur véritable préférence allait vers le maintien du pays « dans une Europe avec moins de pouvoirs ».

Rassurés par la plus forte croissance de l’UE, un chômage résiduel (5%), les électeurs ont été plus attentifs à la démagogie de tribuns tels Boris Johnson ou Nigel Farage, qu’aux arguments économiques portés par le gouvernement. Le Royaume-Uni ne venait-il pas de connaître une immigration record (+ 350 000 migrants nets en 2015) ? La législation communautaire était jugée attentatoire à la souveraineté britannique. Les « Brexiteers », plus âgés, se sont mobilisés davantage.

Le plus « soft des hard Brexit » : un Himalaya de complexité par démagogie

Ambitieuse, Theresa May a voulu se démarquer de son prédécesseur David Cameron qui incarnait la classe des privilégiés. Elle a choisi d’écouter d’abord les préoccupations identitaires de la population : priorité au contrôle de l’immigration, à la souveraineté de Londres. Une sortie de l’Union européenne pour rejoindre l’Espace économique européen était écartée : le respect des quatre libertés de circulation des biens, services, capitaux et travailleurs y est incontournable. De même que l’arbitrage de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Idem pour un maintien dans l’union douanière dont les membres ne peuvent définir eux-mêmes leurs relations avec les tiers.

Son « clean Brexit » signifiait sortir des deux et reconstruire des relations aussi étroites que possible avec les Vingt-Sept grâce à un accord « extensif, hardi et ambitieux ».

Une gageure diplomatique, doublée d’un casse-tête administratif d’une ampleur inégalée. Pour partir, Londres doit solder ses engagements, une facture estimée entre 55 et 75 milliards d’euros. Comment la « vendre » à l’opinion ? La restauration d’une gouvernance britannique extirpée de son intégration européenne, le rapatriement des compétences communautaires exclusives (marché intérieur des biens, services, capitaux et travailleurs, douanes, accords commerciaux avec les pays tiers, concurrence, politique agricole et de pêche…) ou partagées (transports, énergie, environnement…) eût été une tâche considérable. Idem pour le re-façonnement d’une relation aussi étroite que possible avec l’Europe. Toute l’architecture commerciale avec le reste du monde était aussi à reconstruire.

Le tout pour des gains des plus incertains. Comment Bruxelles aurait-elle accordé à un partenaire sortant un statut plus avantageux qu’à ses Etats membres ?

Les agents économiques étaient tous inquiets d’une telle formule. Les investissements sont reportés, la livre est au plus bas depuis trente ans, la croissance au premier trimestre 2017 (0,2%) est en queue des pays développés et l’inflation (2,9% en mai) érode le pouvoir d’achat.

C’est alors que pour conforter sa majorité à la veille d’un défi sans précédent, Theresa May, au sommet de sa popularité, a convoqué de nouvelles élections surprises.

Le « hard Brexit » dans l’iceberg. Quels scénarios ?

La suite est une accélération du destin. La campagne a mis à nu plus tôt que prévu l’absence de substance de la vision de May. Ses maladresses, la série noire des attentats et incendie ont fait le reste.

Sa majorité a fondu. Ses seuls alliés possibles, les Unionistes Nord-Irlandais (DUP), sont opposés à toute frontière physique en Irlande que sa proposition supposait. Toute alliance formelle avec eux est exclue car elle met en cause l’impartialité de Londres dans les accords du Vendredi Saint.

L’opposition à sa vision du Brexit est partout : chez les travaillistes, les nationalistes écossais et dans son propre parti où la rébellion couve. Theresa May est en sursis, maintenue uniquement pour offrir une façade de stabilité pour les négociations qui débutent à Bruxelles.

Alors, vers quel Brexit ?

Une « absence d’accord plutôt qu’un mauvais accord », slogan répété hier par le Premier Ministre, est désormais écartée car elle serait catastrophique pour l’économie dont la logique reprend le dessus.

Dans la nouvelle configuration politique, avec le temps imparti, un soft Brexit dans l’Espace économique européen paraît la seule sortie réaliste. L’essentiel de la gouvernance économique et commerciale actuelle du pays serait préservé. Sur le plan des migrants, le gouvernement pourrait invoquer les limitations communautaires existantes à l’immigration des travailleurs européens.

Mais Londres n’aurait plus son mot à dire sur l’élaboration de la législation communautaire (« l’acquis »). Les entreprises ne pourraient plus compter sur leur capitale, ou leur commissaire, pour défendre leurs intérêts à Bruxelles. Ce serait inacceptable pour la City avec la poursuite engagée de l’intégration fiscale et bancaire en Europe. Les Vingt-Sept n’auraient guère ses intérêts à cœur. Sa situation hors de l’euro, détenant la première place financière mondiale dont notamment de 20 à 30% dépend précisément de la monnaie unique, paraît exorbitante.

Si les attitudes envers l’Europe ne changent pas, le pays pourrait alors se donner le temps qu’il faudrait pour négocier avec les Vingt-Sept et le reste du monde ce fameux statut de « Grande-Bretagne mondialisée » liée par des accords de libre-échange que recherche May. Mais les avantages de cette option restent très hypothétiques.

Dans la mer d’incertitudes politiques et économiques où le Royaume-Uni se trouve aujourd’hui, rien n’interdit cependant d’imaginer que les Britanniques veuillent revenir, comme les y invitent le Président Macron ou le ministre Schaüble, vers une continuité rassurante. C’est évidemment toujours pour eux l’option la plus avantageuse, celle qui donne à leur pays le plus de poids diplomatique, économique, stratégique. Ils pourraient retirer leur demande de sortie avant la fin des négociations le 30 mars 2019.  Un tel retrait est possible, tant que le pays n’est pas parti. L’Union Européenne ne saurait l’éjecter contre son gré. Londres verrait son statut inchangé, avec ses opt-out.

S’il passait par l’étape Espace économique européen avant de refaire acte de candidature à terme à l’Union Européenne, le Royaume-Uni devrait mener deux négociations successives : rejoindre l’Association européenne de Libre-Echange (AELE) puis renégocier son retour à Bruxelles. Il perdrait ses dérogations.

Mais que le Royaume-Uni finisse ou non par revenir, le Brexit pose la question de l’attractivité de l’Europe. Une bonne raison de continuer à réparer, avec un moteur franco-allemand clarifié, ses défauts de fabrication relatifs notamment à la zone monétaire, la banque, sans oublier une Europe qui protège, sur le plan social comme sécuritaire et de défense.