L’État et la quatrième révolution industrielle

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

6 juillet 2017 • Opinion •


Un conte de deux cités, aurait dit Charles Dickens. D’un côté, des thuriféraires de la technologie qui décrivent l’avènement de la quatrième révolution industrielle (la fusion des nouvelles technologies aux frontières du physique, du numérique et du biologique, excellemment décrite en France par Luc Ferry et Nicolas Bouzou), de l’autre, des États et gouvernements en dysfonctionnement évident et dépassés par ces évolutions.

Si d’aucuns, comme Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, ont mis en exergue la montée des inégalités et les bouleversements de la valeur travail induits par cette dichotomie, il est cependant permis d’espérer de nouvelles formes d’États-nations mieux adaptées à cette nouvelle donne et mieux à même d’accompagner les citoyens. Deux auteurs importants dans le monde anglo-saxon (John Micklethwait et Adrian Wooldridge, The Right Nation, The Fourth Revolution) ont montré que les gouvernements occidentaux, en particulier, avaient toujours réussi mutatis mutandis à inventer de nouvelles formes d’État pour s’adapter aux changements technologiques, mais aussi à des crises de la représentativité (d’où le défi du populisme) et de l’efficacité de l’action publique.

En réalité, le bien-être des citoyens au XXIe siècle dépendra pour beaucoup de la capacité des États-nations à se réinventer et à épouser au plus près les aspirations citoyennes : les instances internationales ou multilatérales, trop éloignées du quotidien et du principe de subsidiarité, ont peu de chances de se substituer complètement aux nouvelles formes d’États. Fractures démocratiques, élites séparées des masses populaires, déficits abyssaux, systèmes de retraite en perdition, ont rendu les États occidentaux moins efficaces, par exemple, que certaines autocraties asiatiques ; pourtant, ils n’en sont pas à leur dernière réinvention ; la première forme d’État-nation qui a émergé en Europe après les traités de Westphalie s’est enrichie au XIXe siècle des droits individuels et du parlementarisme, avant l’avènement au XXe siècle des États providence.

Pourtant, dès 1944, Hayek, dans La Route de la servitude, prédisait l’écroulement sous lui-même d’un État obèse et aux multiples fonctions. Un État adapté à la quatrième révolution industrielle devrait cesser d’identifier la sphère publique exactement à la sphère étatique. Il existe aujourd’hui nombre de missions de service public qui peuvent être exercées par la société civile, des associations, des regroupements, avec souvent de bien meilleurs résultats que l’État, entravé par des considérations bureaucratiques et la gestion du statut de la fonction publique. Déléguer, appliquer le principe de subsidiarité autant que faire se peut, s’appuyer sur les territoires et les initiatives locales, devraient être les priorités d’un État plate-forme bien différent de celui que certains de nos hommes politiques mettent en avant : un État plate-forme ne signifie pas l’ubérisation de la chose publique, mais la collaboration entre le citoyen et l’État. Il exige non seulement l’utilisation des nouvelles technologies, mais surtout une attitude modeste de la part d’un État veilleur qui encadre les meilleures initiatives et demeure seul capable d’identifier le meilleur retour social sur investissement (des fonds publics) de ces initiatives.

La France, avec sa tradition jacobine et jupitérienne, n’est malheureusement pas le pays le mieux armé pour cette révolution… sauf si des lames de fond citoyennes mettent politiquement à bas la verticalité qui règne dans notre relation à l’État et à la politique et que, près de deux cents ans plus tard, la tradition girondine triomphe enfin chez nous.