Brexit · Le Royaume-Uni dans le piège de l’Espace économique européen ?

Pierre-Alain Coffinier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

20 juillet 2017 • Analyse •


Pierre-Alain Coffinier, chercheur associé à l’Institut Thomas More, est l’auteur du rapport « Les cinq scénarios du Brexit ».


Le Royaume-Uni a entamé le 17 juillet la phase opérationnelle des négociations pour sa sortie de l’Union européenne. Mais elles n’aboutiront pas à l’objectif affiché par Theresa May d’un hard Brexit hors de l’Union européenne et du marché intérieur européen. Depuis le fiasco électoral du 8 juin, la contestation est partout. Si l’on n’évoque pas de retour sur le référendum d’il y a un an, le centre de gravité politique a rejoint un soft Brexit, dans un Espace économique européen (EEE). Cette option, qui pourrait convenir à l’opinion mais qui marginaliserait Londres diplomatiquement, est-elle réellement envisageable ?

Les négociations entre le Royaume-Uni et la Commission entamées en début de semaine portent sur les comptes dont Londres doit s’acquitter envers les Vingt-Sept, le statut des citoyens européens établis au Royaume-Uni et réciproquement et sur la frontière irlandaise. La facture pourrait se situer entre 55 et 75 milliards d’euros. Bruxelles exige que les droits des continentaux établis outre-Manche avant le Brexit restent identiques et refuse une frontière physique en Irlande qui perturberait l’île économiquement voire menacerait de la déstabiliser.

Londres conserve à ce stade l’objectif fixé par Theresa May : un hard Brexit en dehors de l’union douanière et de l’Espace économique européens. Mais depuis les élections parlementaires du 8 juin, elle n’a plus de majorité. Le fiasco électoral a délié les langues y compris au sein de son propre parti, le parti conservateur. Selon une étude du Trésor britannique, l’objectif d’un « Royaume-Uni global » (Global Britain) lié au continent et à ses partenaires mondiaux par des accords de libre-échange, lui ferait perdre autour de 17% de son commerce international. Longtemps résignée au départ, l’opinion s’interroge.

Les élections de début juin ont catalysé les oppositions tues jusque-là. Depuis qu’elle a opté à l’automne 2016 pour un Brexit « identitaire », faisant primer le contrôle de l’immigration et la restauration de la souveraineté du pays sur la préservation des équilibres économiques, on soupçonne la position de Theresa May fragile. Tôt ou tard, les immenses incertitudes d’un Royaume-Uni quittant le plus grand marché du monde à sa porte devaient se traduire en chiffres. Ils sont là : les investissements sont reportés, la livre est au plus bas depuis trente ans, la croissance au premier trimestre 2017 (0,2%) est en queue des pays développés et l’inflation (2,9% en mai) érode le pouvoir d’achat.

Les négociations sont d’une telle complexité, le Royaume-Uni si isolé face à l’équipe Barnier bien soutenue par les Vingt-Sept, qu’on ne peut anticiper qu’une série de reculades. Les premières ont lieu.

Alors vers quoi se dirige le navire britannique ? L’alternative au maximalisme de Theresa May – hors la remise en cause du référendum, inenvisageable d’un point de vue démocratique – est ce qu’elle a écarté : un maintien dans l’Espace économique européen (EEE). Ses membres, non membres de l’UE (Norvège, Islande et Liechtenstein), bénéficient de tous les avantages du marché intérieur européen avec ses 522 millions de consommateurs. Mais ils en respectent les quatre libertés de circulation (travailleurs, services, biens et capitaux) et payent leur contribution. Aucune formule hors de l’Union européenne ne serait moins perturbatrice pour l’économie du Royaume-Uni. La principale différence est que ces pays ne sont ni dans la politique agricole commune, ni dans la politique commune de pêche.

Mais le prix politique à payer est fort : ils doivent reprendre toute la législation communautaire sans être associés à sa formulation. Ils n’ont ni fonctionnaires, ni commissaire dans les instances de l’UE, ni membre au Parlement. Leur poids politique à Bruxelles est marginal.

Mais l’opinion pourrait s’y trouver bien. Qui n’a envie de devenir la riche Norvège ? De nouvelles enquêtes montrent qu’une majorité sacrifierait le contrôle des citoyens européens pour préserver l’économie. Personne en Angleterre n’est attaché à la politique agricole commune qui subventionne les agriculteurs continentaux et encore moins à la politique commune de pêche qui laisse les chalutiers espagnols et néerlandais piller ses eaux. Les grandes entreprises pourraient continuer leur lobbying à Bruxelles par les associations professionnelles. La City serait perdante… mais qui s’inquiète pour la prospérité de son banquier ? Quant à l’influence politique du gouvernement de Sa Majesté à Bruxelles, qui s’en soucie au-delà de Westminster ?

Le gouvernement britannique serait, dans ce scénario, victime de ses propres errances. A court terme, cela pourrait éclaircir le jeu européen et faciliter le rôle d’un moteur franco-allemand rajeuni. Au-delà, l’EEE a toujours été conçu comme une antichambre de l’UE. Si les Norvégiens n’ont aucun regret depuis le rejet de leur adhésion en 1994, il serait dans l’intérêt de tous, y compris de Londres et son rôle mondial à tous égards bénéfique, que les Britanniques reviennent un jour à une pleine coopération avec un continent que ne voit en eux qu’un grand allié.