Les classes moyennes, perdantes de l’ère Macron

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

17 octobre 2017 • Opinion •


La révolution fiscale macronienne profitera aux classes aisées au détriment des classes intermédiaires, sacrifiées du quinquennat…


« Les vrais conflits de classe opposent toujours des classes moyennes à des classes supérieures, le peuple servant aux premières de masse de manœuvre contre les secondes. La Révolution française de 1789 est en ce point de vue archétypale : la noblesse fut abattue par le tiers état, conçu comme la totalité de la nation, mais dirigé par des classes bourgeoises éduquées ». Ce constat d’Emmanuel Todd, dans son ouvrage de 2008, Après la démocratie, illustre l’importance des classes moyennes comme force motrice de l’histoire, et par conséquent, comme pilier de tout pouvoir.

Toute réflexion sur le sujet et sur le pouvoir en place ne peut faire fi de la définition de ces classes moyennes : à cet égard, l’Observatoire des inégalités et France Stratégie ont proposé les deux seules études sérieuses et faisant autorité sur la question au cours des cinq dernières années. Elles reprennent les critères du Pew Center aux Etats Unis : une classe moyenne dans un pays donné représente 50 % de la population totale, « encadrée » par une classe modeste ou pauvre et une classe riche atteignant respectivement environ 30 % et 20 % de cette même population. Ainsi définie, la classe moyenne en France est constituée des personnes dont le revenu disponible est compris entre 1 743 et 4 099 euros mensuels, soit un rapport de 1 à 2,35 entre les bornes inférieure et supérieure.

Si les systèmes politiques paraissent vaciller de par le monde aujourd’hui, c’est bien parce qu’ils ont perdu leur socle de soutien des classes moyennes. Or cette majorité silencieuse qui est le socle de notre démocratie est la grande perdante des réformes du quinquennat Macron, de manière directe ou relative par comparaison avec les classes riches. Examinons par exemple les réformes du marché du travail, de la formation et de l’assurance chômage, dites de flexisécurité. Peuvent-elles amortir la tendance à la polarisation de l’emploi avec une montée en puissance, d’un côté, des emplois de basse qualification et très haute qualification, et de l’autre la disparition des emplois intermédiaires (une polarisation qui a détruit l’ascenseur social pour les classes moyennes) ? L’OCDE vient d’étudier le délitement relatif des emplois intermédiaires. Deux pays justement figurent en position haute dans ce phénomène de délitement : le Danemark et la Suède, deux modèles de flexisécurité qui ont sciemment sacrifié leur classe moyenne. Force est de reconnaitre qu’il n’y a pas d’exemples probants de flexisécurité ayant profité à une classe moyenne : par ailleurs, la classe moyenne française est bien éduquée, très bien formée, et n’a pas besoin des vastes plans de formation promis par le nouveau gouvernement.

Mais le nœud gordien dans le traitement des classes moyennes se situe principalement au niveau de la fiscalité. Le remplacement des cotisations salariales par une hausse de la CSG représente un gain de pouvoir d’achat net de 1,5% jusqu’à 13 076 euros de salaire annuel brut, qui décroit ensuite pour devenir une perte nette au-delà de 33 000 euros. La classe moyenne supérieure sera donc directement perdante et le reste de la classe moyenne ne profitera guère de la mesure. S’agissant de la classe moyenne retraitée, via la hausse de la CSG elle verra son pouvoir d’achat entamée de 1,7% puisqu’au-delà de 1 198 euros de retraite mensuelle, la réforme a un impact négatif. Les haut patrimoines et classes supérieures vont bénéficier de la fin de l’ISF sur les actifs mobiliers et la simplification de la fiscalité du capital, alors que la classe moyenne, elle, ne possède pas massivement des actions comme les plus riches et au contraire souffrira du fait de la structure de son patrimoine : ce dernier est en effet massivement immobilier, comprend de l’immobilier locatif, des PEL ou de l’assurance vie. Or ces produits verront tous leur fiscalité s’alourdir l’an prochain : si la réforme du PFU est présentée comme un jeu à somme nulle, les classes moyennes sont perdantes dans les détails du fait de leur appétence pour l’immobilier. Ses revenus fonciers ne seront pas traités aussi favorablement que les actions et les risques de requalification à l’IFI ne sont pas négligeables : avec une administration fiscale désormais dédiée à l’estimation plus précise des biens immobiliers ; certains agriculteurs et ménages parisiens ayant vu la valeur de leur foncier et immobilier tripler au cours des dernières années seront victimes de cet impôt. La vision fantasmée du pouvoir, celle de classes moyennes qui réalloueraient leur épargne aux start up, est une pure vue de l’esprit du fait des rendements quasi nuls du capital risque en France.

Si la révolution fiscale macronienne privilégie la classe aisée au détriment des classes moyennes, ces dernières devraient aussi être les perdantes des modestes ajustements de l’Etat providence que ce nouveau pouvoir tente timidement de mettre en place. On notera par exemple que les fonctionnaires appartiennent presque tous à cette classe moyenne et subiront le poids des ajustements budgétaires. De même, la réorientation de la politique du logement, voire de la politique familiale, devraient préserver les plus modestes et faire porter le poids de l’ajustement sur les classes moyennes ; étant entendu que les classes aisées elles n’ont pas vraiment besoin de l’Etat providence. Toutes les réflexions sur les allocations familiales ou la dégressivité des assurance chômage sont à terme autant de menaces pour les classes moyennes.

S’il y a d’incontestables réussites financières et entrepreneuriales en France (cette France qui gagne que Macron entend défendre) il y a aussi de plus en plus de pauvres – 8,9 millions, en 2016 – et prise en étau entre les deux, la classe moyenne semble inexorablement s’amenuiser, se paupériser. Faut-il donc prévoir sa disparition sous le quinquennat Macron ? N’est-elle pas d’ailleurs dans l’intérêt du pouvoir actuel ? Le délitement de la classe moyenne, entre paupérisation et constitution d’une classe créative des centres métropolitains, créerait une géographie électorale très favorable au parti présidentiel, rejetant les classes les plus modestes aux extrêmes et brisant toute opposition. Dans le maintien courageux d’une classe moyenne forte et ambitieuse, se noue peut-être le résultat des prochaines échéances électorales, si une nouvelle force politique devait s’en faire le porte-parole.