Xi Jinping président à vie · Le triomphe posthume de Mao

Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More

1er mars 2018 • Opinion •


Une réforme constitutionnelle devrait lever la limite de deux mandats consécutifs à la tête de la RPC. Le président Xi Jinping peut devenir le nouveau Mao.


Il y a quelques mois, à l’issue d’un XIXème congrès éclatant, il s’agissait d’une méchante rumeur qui courait la presse étrangère et qu’il fallait écarter d’un revers de main. L’héritage de Deng Xiaoping était solide : non content d’avoir ouvert l’économie chinoise aux investisseurs étrangers, il avait facilité la transition au sommet du pouvoir, en inscrivant dans la constitution la limite de deux mandats pour le président et vice-président de la République populaire de Chine. Le pouvoir personnel de Mao, le culte de la personnalité sur lequel il se fondait, et les dizaines de millions de morts qu’il causa, tissaient la trame d’un cauchemar ancien que les institutions actuelles avaient vocation à exorciser. La Chine puissance responsable, montrerait l’exemple d’un pouvoir exécutif apaisé et sûr de sa force, formant un vif et heureux contraste avec le chaos trumpien. Celui qui l’incarne, Xi Jinping, ne chercherait jamais à devenir un nouveau Mao et ceux qui parlaient de lui comme d’un nouvel empereur n’utilisaient qu’une métaphore creuse, sans lien avec la réalité de la Chine contemporaine.

Xi Jinping, la « renaissance » de la nation chinoise

Un journal local, dés le mois de novembre, peu après le congrès, avait osé qualifier Xi de « grand dirigeant », un titre que seul Mao s’était vu attribuer depuis la création de la « Nouvelle Chine », en 1949. Mais l’article avait rapidement disparu des écrans, grâce à la célérité d’un système de censure d’une efficacité sans équivalent dans l’histoire humaine. Cependant, dés la fin du mois de janvier 2018, Xi Jinping était officiellement qualifié de « dirigeant du peuple », marquant ainsi un lien direct, non-institutionnel, entre Xi et le peuple chinois. Aucune opposition ne s’est ouvertement manifestée dans le Parti, malgré les inquiétudes exprimées mezzo voce par ceux qui en Chine se souviennent des horreurs des années Mao. Ce ballon d’essai confirmait l’emprise de Xi sur le Parti : aucune voix discordante n’osait s’exprimer. Il était alors possible de passer à l’étape suivante : le comité central du Parti vient d’annoncer qu’il propose, dans le cadre d’une réforme constitutionnelle à venir, de lever la limite de deux mandats consécutifs à la tête de la République Populaire de Chine, ouvrant ainsi la voie à un pouvoir à vie de Xi Jinping.

Xi Jinping est devenu l’incarnation du projet de « renaissance » de la nation chinoise (ou de la « race » comme le voudrait une traduction plus exacte). Sa taille, son allure, la confiance en soi qu’il dégage, sa « vertu » (confondue en Chine avec le charisme) plaisent semble-t-il aux Chinois -même si personne n’ose le leur demander- qui y voient une image fidèle de la toute nouvelle puissance acquise par la Chine.

La Chine ne veut pas devenir un pays occidental

Les limites données au pouvoir personnel en Chine l’avaient été alors que la Chine s’ouvrait à l’étranger. Dans les années 1980, les débats étaient vifs au sein du pouvoir et jusque dans une société civile naissante, sur l’évolution que devait prendre la Chine. Pouvait-on envisager que le Parti s’attelle à la « cinquième modernisation », la démocratisation du régime, alors même que plusieurs pays en Asie orientale étaient touchés par une vague d’ouverture politique ? Le massacre de Tian’anmen en 1989 a brutalement mis fin à ces espoirs au point que les « libéraux » chinois sont aujourd’hui complètement marginalisés.

Les pays étrangers ont mis beaucoup plus de temps à prendre acte de la fermeture chinoise. Le Parti a su entretenir auprès des hommes politiques et des hommes d’affaires occidentaux, tant qu’il pensait avoir un besoin vital de leur aide, les rêves de démocratisation du régime, sous l’effet de l’ouverture économique et de la propagation des normes économiques et même juridiques dans la société chinoise (la Chine a enfin adopté les « dispositions générales » d’un code civil en 2017). Cependant, ce que nous n’avons pas su voir, c’est que le régime n’avait aucune vocation à abandonner le pouvoir, et qu’il n’avait aucune volonté non plus de devenir un pays occidental comme les autres.

L’idiosyncrasie chinoise continue à informer puissamment l’action politique de la Chine. Les pratiques anciennes de l’Empire, confucéennes et surtout légistes (le légisme est une doctrine tyrannique fondée sur la manipulation par le pouvoir des « châtiments » et des « récompenses »), ont su progressivement se couler dans la rhétorique communiste. C’est que le légisme et le communisme partagent une vision sacrificielle de la politique qui fait de la désignation de boucs émissaires (aujourd’hui les corrompus et les individus réfractaires à l’ordre chinois, hier les déviationnistes et les droitistes) un instrument essentiel de la gouvernance avec des caractéristiques chinoises.