Formation professionnelle · Viser plus haut pour sortir du cercle vicieux de l’inefficacité

Michel Fourmy, spécialiste en management des ressources humaines, expert auprès de l’Institut Thomas More

25 avril 2018 • Opinion •


Retrouvez le détail des propositions dans la note de Michel Fourmy « Réforme de la formation professionnelle : 6 propositions pour aller plus loin »


Le gouvernement s’est lancé dans une réforme de la formation professionnelle, présentée ce vendredi 27 avril en Conseil des ministres. Réforme, il faut le dire, plus volontaire et plus ambitieuse que les précédentes – au nombre de sept avant elle depuis 2004…

Les données du problème, chacun les connait : le système engloutit 34 milliards d’euros par an, notre pays compte près de 3,5 millions de demandeurs d’emplois et 350 à 400 000 emplois vacants. Non seulement le système bénéficie beaucoup plus aux salariés qu’aux demandeurs d’emploi, et beaucoup plus aux cadres qu’aux ouvriers, mais il ne permet pas aux 15-24 ans d’accéder à l’emploi : un quart d’entre eux sont au chômage (contre 11% en Allemagne). Il alloue aux salariés des millions d’heures de formation dont 80% ne sont jamais utilisées.

La réforme n’apporte pas toutes les réponses attendues

Nous sommes donc prisonniers d’un cercle vicieux d’inefficacité. Et nous n’en sortirons qu’au prix de choix plus ambitieux encore que ceux de la réforme en cours. Car, en dépit des avancées qu’elle propose, elle n’apporte pas toutes les réponses attendues et, ce, pour au moins trois raisons. Tout d’abord, la formation professionnelle n’est pas une fin en soi. Le faire croire est une erreur qui coûte cher aux finances publiques, aux entreprises et aux salariés en mal de trouver un emploi. Tous les dispositifs existant, accumulés comme un millefeuille, trop complexes pour servir les plus démunis face aux évolutions des besoins en compétences des entreprises, ne trouvent de justification que dans le maintien d’une gouvernance et d’une organisation qui répondent plus aux besoins des partenaires sociaux qu’à ceux à qui ils sont destinés.

Ensuite, il faut rappeler que le principal enjeu de la formation professionnelle est l’employabilité. C’est donc un levier à actionner dans l’objectif prioritaire de développer celle des plus éloignés de l’emploi. Or, le système actuel sert plus et mieux les salariés ayant des profils de compétences adaptées aux besoins des entreprises que ceux dont les profils sont éloignés de l’emploi ou primo-accédants en situation de difficulté. Les investissements en matière de formation professionnelle doivent donc être recentrés sur ces populations.

Enfin, si la simplification du système de la formation professionnelle avec une transformation de ses acteurs (comme les Opcas) est nécessaire, la recentralisation des arbitrages sur les branches et une structure unique comme l’agence créée par la réforme France compétences éloignent les solutions de la réalité du terrain. Quel est le point vital pour focaliser et faire converger les investissements formation (professionnelle, continue et initiale) ? Là où les gens trouvent du travail : leur région.

Sur la base de ce triple constat, il est possible de formuler des propositions visant à muscler encore la réforme.

Confier la gouvernance du système de formation aux régions

Seuls 2% de la population salariée française (soit environ 400 000 personnes) est mobile et 80% des emplois privés sont fournis par des ETI, des PME et des TPE au rayon d’action limité. Or, les régions connaissent parfaitement leur terrain économique local. Elles financent des lycées professionnels, des formations en alternance, des contrats d’apprentissage. Elles vivent en prise directe avec leurs bassins d’emploi. Aucun autre échelon administratif n’a une telle légitimité pour cibler et accompagner les besoins prioritaires en compétences.

Aussi, il convient de confier la gouvernance de la formation professionnelle aux régions : coordination des structures publiques et des financements, mise en place de la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle des bassins d’emplois, adaptation des mesures nationales aux spécificités locales… Il suffira d’une instance paritaire par région pour gérer ce dispositif. Quant à la cohérence nationale, elle sera garantie par Régions de France qui représentera les régions auprès du nouvel établissement public quadripartite, France Compétences.

 

Laisser les entreprises financer la formation de leurs salariés

Les entreprises sont enlisées dans la lourdeur administrative du système de formation, en particulier les mécanismes d’agrément et de remboursement des formations. Il faut simplifier drastiquement le système. Pour cela, pourquoi ne pas envisager que les entreprises continuent à verser un prélèvement (1 % de la masse salariale par exemple) pour les demandeurs d’emploi, apprentis, alternants et jeunes sans qualification mais ne versent plus rien pour la formation des salariés en activité, en finançant directement la formation de leurs collaborateurs, avec une totale liberté de choix ?

Les organismes de formation qui travaillent pour les entreprises seraient dès lors dispensés de toute formalité d’agrément, puisque financés sur fonds privés. L’agrément ne serait maintenu que pour les programmes financés sur fonds publics.

Donner aux entreprises une obligation de résultat sur l’employabilité

En contrepartie de cette liberté sur leur politique formation, les entreprises auraient une obligation de résultats sur l’employabilité de leurs collaborateurs. Si elles voulaient se séparer de salariés dont elles jugeraient les compétences inadaptées, elles devraient démontrer au préalable qu’elles ont tout mis en œuvre pour améliorer leur employabilité – tout mettre en œuvre consisterait par exemple à remplacer le plan annuel de formation, trop axé sur des moyens, par un « Plan de développement de l’emploi et de l’employabilité » élaboré avec les partenaires sociaux, dans un esprit de coresponsabilité.

L’employeur et les syndicats s’attacheraient à mieux anticiper les évolutions de l’environnement économique et leur impact sur les compétences des équipes.

 

Inciter les actifs à s’approprier leur employabilité

L’emploi à vie dans la même entreprise et les parcours professionnels rectilignes sont des réalités du passé. 80% des salariés d’aujourd’hui devront changer une ou deux fois d’entreprise ou de métier pendant leur carrière, voire plus.

Il est temps de dire aux actifs que l’État et l’entreprise ne sont pas les seuls responsables de leur employabilité : cet enjeu leur appartient, et ils ont des droits et des devoirs dans ce domaine. L’objectif doit être ici donc de sensibiliser les salariés qui ont à y gagner en termes d’autonomie. L’accès aux conseils en évolution professionnelle doit être rendu plus accessible y compris financièrement : sur ce point, la réforme de 2018 va dans le bon sens.

Quant aux entreprises, elles doivent proposer un autre regard sur la formation. L’entretien professionnel instauré en 2014 doit servir à sensibiliser le salarié et l’inviter à se former de sa propre initiative, par exemple sur internet, en complément des stages proposés par l’employeur.

Assouplir et valoriser les cursus en alternance

Les régions doivent être autorisées à créer des cursus en alternance hors du carcan des formations qualifiantes définies par les branches professionnelles, pour répondre aux spécificités de leurs bassins d’emploi. Ces cursus pourraient être élargis à des éléments de savoir-être, essentiels pour des jeunes sans expérience : sens des responsabilités, capacité à travailler en équipe, respect des règles, etc.

Autre proposition : réévaluer la rémunération des alternants afin qu’un jeune de 18 ans touche au moins le SMIC. Il pourra ainsi associer accès à l’emploi et début d’accès à l’autonomie sociale.

Créer un mécanisme d’abondement défiscalisé du salarié sur son CPF

La monétisation du CPF est une avancée importante. Mais on peut pousser plus loin encore la logique en ajoutant un mécanisme d’abondement défiscalisé au CPF. Les abondements seraient déductibles du revenu imposable jusqu’à 10% du salaire annuel, soit le même taux que pour les versements sur un contrat de retraite de type Plan d’épargne retraite populaire (PERP). Ainsi, il deviendrait aussi « rentable » d’investir pour son employabilité que d’épargner pour ses vieux jours.

Un système de formation plus efficace ne résoudra pas par magie nos problèmes d’emploi et de compétitivité. En revanche, il améliorera l’employabilité des actifs : leurs carrières seront plus fluides, les entreprises trouveront les compétences dont elles ont besoin.

L’employabilité est donc l’enjeu-clé. L’État doit la promouvoir par tous les moyens. Les entreprises doivent s’en emparer et y travailler avec les partenaires sociaux. Quant aux actifs, ils doivent se l’approprier, ne pas tout attendre de l’État ou de leur employeur. Un changement de perspective qui demandera sans doute plusieurs années d’effort : autant commencer tout de suite.