Le Yémen, théâtre de la lutte contre le djihadisme

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

19 janvier 2019 • Opinion •


L’arrestation du terroriste Peter Cheri, affilié à Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), et son extradition vers la France, à la fin de l’année 2018, viennent rappeler que ce pays est également situé sur la ligne de front de la lutte contre le djihadisme global.

Le cas de ce ressortissant français souligne la chose. Criminel de droit commun endoctriné sur le sol parisien, Peter Cheri a d’abord rejoint le front irakien afin d’y combattre les Américains. Capturé, extradé vers la France, il parvient à s’enfuir au Yémen pour y intégrer AQPA. L’un des frères Kouachi le rejoint sur place et se prépare à frapper le territoire français. En janvier 2015, lesdits frères commettront l’attentat contre Charlie-Hebdo, revendiqué par AQPA.

En vérité, rappeler les origines de la famille Ben Laden ne suffit pas : le Yémen est l’une des matrices de l’islamisme. Depuis sa réunification sous la direction d’Ali Abdallah Saleh, en 1990, ce pays compartimenté, longtemps dominé par les clivages tribaux et régionaux, est pris dans la dialectique mortifère des djihadismes de type chiite et sunnite.

Proche des djihadistes hostiles à Riyad, Muqbil al-Wadi’i y mène dans les années 1990 une prédication agressive contre les Zaydites, cette minorité chiite fondant le mouvement Houthiste. D’emblée, les dirigeants iraniens y voient un « Hezbollah » local, qui sévit dans l’arrière-cour de l’Arabie Saoudite. Par ailleurs, Al-Qaïda organise en rade d’Aden un attentat-suicide contre le destroyer USS Cole (11 octobre 2000).

Dans la décennie qui suit, le Yémen devient le théâtre d’un conflit multidimensionnel. Avec continuité, les Houthistes combattent le régime en place. Parallèlement, la « Global War » de l’après « 9-11 » place ce pays aux avant-postes d’une guerre au scalpel, à coups de drones et de forces spéciales. Annoncée par Donald Trump, le 6 janvier 20182019, l’élimination de Jamal Al-Badaoui, cerveau de l’attentat contre l’USS Cole, s’inscrit dans son prolongement.

Début 2011, l’éviction de Ben Ali et de Moubarak provoque un « printemps yéménite », l’insurrection et la rupture des équilibres tribaux favorisant l’exaspération des antagonismes religieux. Pour élargir leurs appuis, les Houthistes fondent Ansar al-Sharia. Deux ans auparavant, affidés saoudiens et yéménites de Ben Laden se regroupaient au sein d’AQPA, une structure particulièrement dangereuse.

Concrètement, les circonstances qui ont mené au remplacement de Saleh par son vice-président, Abd Rabbo Mansour Hadi, début 2012, ont fragilisé l’appareil sécuritaire. Les Houthistes mettent à profit l’extension du chaos pour quitter leurs montagnes du Nord et, en septembre 2014, s’emparer militairement de Sanaa, capitale du Yémen, avant de conquérir le port d’Aden. Au sud, des groupes djihadistes organisent des attentats et prêtent allégeance à l’« Etat islamique », tout juste proclamé à Mossoul (Irak).

C’est dans ce contexte que la coalition mise sur pied par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, au printemps 2015, intervient au Yémen. Hadi, un temps en résidence surveillée, vient de fuir sa capitale pour Aden puis Riyad. Engagées contre les Houthistes, que Téhéran finance et équipe, les forces de la coalition opèrent également contre les djihadistes de type sunnite. Après Aden, ôtée aux Houthistes en juillet 2015, les Emiratis et leurs alliés locaux reprennent  Mukkala, port de la province d’Hadramout sous le contrôle d’AQPA.

Présentement, l’arrestation d’un terroriste affilié à AQPA, impliqué peut-être dans les attentats qui ont frappé la France, et l’élimination du cerveau de l’attaque contre l’USS Cole sont de bonnes nouvelles. S’y ajoute la résolution sur le cessez-le-feu à Hodeïda, votée à la fin 2018. Si les forces houthistes quittaient effectivement ce port de la mer Rouge, une négociation sur l’avenir politique du Yémen pourrait être sérieusement envisagée.

Il reste que la situation demeure extrêmement fragile, et pas seulement sur le plan humanitaire. Quand bien même la diplomatie prévaudrait-elle dans le dénouement du conflit ouvert par les Houthistes, le djihadisme de type Al-Qaida ou « Etat islamique » ne disparaîtra pas. A contrario, il se nourrit du chaos ambiant.

Dans cette longue lutte, forces spéciales et hautes technologies occidentales ne suffiront pas à la tâche. Qui plus est, un éventuel retrait aggraverait la situation. Aussi importe-il de comprendre que les monarchies du golfe Arabo-Persique, dénoncées comme impies, ont le même intérêt à combattre un djihadisme global qui, depuis les années 1990, a juré leur perte.

Sur le terrain politique, il faudrait encourager la constitution d’un front rassemblant formations séculières et forces tribales, celles qui dans le passé ont montré que le Yémen n’était pas voué de toute éternité à la guerre et au chaos. En conséquence, les observateurs suivront attentivement l’évolution des choses dans les zones libérées de l’emprise houthiste.

Au total, ce serait une grave erreur pour les puissances occidentales de penser pouvoir s’extraire de cette région, nœud gordien du monde, sans subir de graves contrecoups. L’usage de diplomatie ne se substituera pas à l’antiterrorisme, celui-là requérant une présence active et de solides alliés locaux. Dans cette affaire, les monarchies sunnites du Golfe demeurent les partenaires stratégiques de l’Occident.