A 70 ans, l’OTAN reste une force sans équivalent pour contrer la Chine

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

4 avril 2019 • Opinion •


La « Global China » déploie forces et capitaux de l’Arctique à la Méditerranée. Son comportement repose la question d’une « OTAN globale ».


La veille du 4 avril 2019, l’invitation par le Congrès des Etats-Unis de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, marquait les soixante-dix ans de l’Alliance atlantique. En vérité, il s’agit là d’un pacte hors norme, la plupart des alliances contractées dans l’histoire n’ayant pas dépassé les dix ou quinze ans d’existence. Le caractère exceptionnel de l’événement ne saurait pourtant occulter l’ampleur des défis.

L’OTAN est une alliance qui regroupe la plupart des Etats de la zone euro-atlantique.  A l’origine, l’affrontement Est-Ouest : face à l’URSS, Harry Truman, Président des Etats-Unis, énonce une doctrine de containment (12 mars 1947). L’endiguement est financier (voir le plan Marshall),  la signature du traité de l’Atlantique Nord, le 4 avril 1949, lui donnant un prolongement militaire. Dès lors, une clause d’assistance mutuelle (l’article 5) lie les destinées de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale.

Ancienne et nouvelle OTAN

L’OTAN n’est pas le simple produit de rapports de puissance circonstanciels. Conçue comme une alliance wilsonienne, elle se réfère aux principes de la sécurité collective ; ses membres sont invités à résoudre pacifiquement leurs différends et à développer des relations amicales. Surtout, cette alliance sanctionne le rôle nouveau de Washington sur la scène internationale, désormais chef de file du monde libre.

Depuis, l’OTAN constitue l’axe stratégique de l’Occident. Dans la préface du traité, les Etats membres s’affirment « déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit ». Cette profession de foi civilisationnelle ouvre sur la constitution d’un « Grand Espace », donnant forme à un espace longtemps déchiré par la guerre.

Avec la « victoire froide » sur le bloc soviétique et la dislocation de l’URSS, l’OTAN devient un vecteur de la transition vers la démocratie libérale et l’économie de marché. La résolution des conflits en ex-Yougoslavie est le banc d’essai de la « nouvelle OTAN ». Au-delà, les instances euro-atlantiques sont ouvertes aux pays centre-est européens, les élargissements de l’OTAN et de l’UE stabilisant la région et ouvrant de nouvelles perspectives.

Simultanément, le Partenariat pour la Paix de l’OTAN permet de développer des liens avec l’Ukraine, la Géorgie et d’autres Etats successeurs de l’URSS. Quant à la Russie, elle fait l’objet d’un partenariat spécifique et limité, de la propre volonté du Kremlin. L’élargissement de l’Occident s’arrête donc aux marges de la « Russie-Eurasie », et malheur aux Etats restés à l’extérieur du périmètre de sécurité.

Dans l’intervalle, la « guerre contre le terrorisme » conduit l’OTAN sur le théâtre afghan. L’élargissement du champ des opérations provoque moult discussions sur la mondialisation de l’OTAN. Les Etats-Unis soutiennent l’idée de « partenariats globaux » avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud. Ainsi, une jonction serait réalisée entre l’OTAN et l’« arc des démocraties » d’Asie-Pacifique. In fine, l’Occident se diluerait au sein d’un « Commonwealth » planétaire de démocraties de marché.

L’agressivité de la Russie, ses guerres contre la Géorgie (2008) et l’Ukraine (2014), plus encore la montée en force de la Chine populaire et le basculement des équilibres vers l’Asie ont depuis contrarié le projet d’un nouvel ordre mondial. Dans l’immédiat, les événements conduisent au recentrage sur la zone euro-atlantique. Les Alliés doivent renforcer la posture de défense et de dissuasion de l’OTAN, notamment sur l’isthme Baltique-mer Noire.

 

Vers une « OTAN globale » ?

Mutatis mutandis, la reconstitution d’une menace russe fait songer à un « retour du même ». En dépit de pronostics pessimistes, la solidarité interalliée prévaut, dans l’ordre militaire comme dans celui de la géoéconomie. De part et d’autre de l’Atlantique Nord, les Alliés se coordonnent pour infliger des sanctions économiques à Moscou. Bref, l’OTAN tient bon.

Curieusement, le doute sur la solidité de l’alliance vient non pas de la périphérie mais du coeur. Les saillies et les tweets de Donald Trump à l’encontre de l’OTAN ébranlent la confiance générale dans l’engagement américain et l’article 5. Au vrai, la plupart des alliés européens, en baissant drastiquement leurs dépenses militaires après la dislocation de l’URSS, ont aussi généré cette situation. Outre-Atlantique, ce comportement de « passager clandestin » (« free rider ») suscite amertume et ressentiment.

Il reste que l’establishment politique, diplomatique et militaire des Etats-Unis ne manque pas de réaffirmer l’importance de l’OTAN (le Congrès a voté deux résolutions en ce sens). En rupture avec les propos présidentiels, le Pentagone renforce la présence militaire américaine en Europe centrale et orientale. Plus généralement, Washington soutient la Pologne, la Roumanie et l’ensemble des pays coopérant au sein de l’Initiative des Trois Mers (Baltique-mer Noire-Adriatique). Cela ne va pas dans le sens d’un désengagement.

D’autres espaces et ordres de grandeur éprouveront la solidarité interalliée. La question du nucléaire iranien met en évidence la distance entre les Etats-Unis et leurs principaux alliés européens. La question ne concerne pas directement l’OTAN mais un conflit ouvert aurait des répercussions sur cette instance. En l’état, le danger de l’expansionnisme irano-chiite au Moyen-Orient et le programme de missiles de Téhéran font prévaloir l’unité.

Enfin, un problème géopolitique monte en force à l’intérieur de l’OTAN : l’expansionnisme global et multiforme de la Chine. Aujourd’hui, le débat se focalise sur Huawei, la 5G et d’autres enjeux économiques, mais le militaire n’est pas loin. Quand l’Administration Trump évoque l’article 2 du traité de l’Atlantique Nord, afin de coordonner les réponses économiques, bien des Européens imaginent  les ambitions de Pékin limitées à l’Asie-Pacifique.

Pourtant, la « Global China » déploie forces et capitaux sur un vaste arc de cercle qui court de l’Arctique à la Méditerranée. Elle tisse une alliance avec la Russie, investit dans nombre de ports européens et entend débaucher des Etats du Vieux Continent. Le comportement chinois et l’ampleur du défi relancent le débat sur la nécessité d’une « OTAN globale ».

Au total, il appert que l’unification technico-économique du globe n’a pas mis fin aux rivalités de puissance : la géopolitique l’emporte sur le « doux commerce ». Dans cette configuration planétaire, les Occidentaux bénéficient d’un avantage géopolitique majeur : une alliance politico-militaire sans équivalent. Encore faut-il comprendre qu’il ne s’agit pas d’un acquis irréversible. La vitalité de l’OTAN requiert conscience historique, sens des responsabilités et volonté politique.