Transition numérique · Pour un plan Marshall de la formation professionnelle

Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas More

3 juillet 2019 • Opinion •


L’intelligence artificielle et la robotisation sont en passe de transformer nos économies, nos entreprises et nos manières de travailler. La France a un besoin urgent de mettre en place un ambitieux plan de formation tout au long de la vie de ses salariés.


Une étude du cabinet britannique Oxford Economics, publiée la semaine passée, indique que d’ici 2030 environ 20 millions d’emplois industriels pourraient disparaître dans le monde car ils seraient remplacés par des robots. En avril dernier, l’OCDE nous annonçait déjà que 14% des emplois pourraient disparaitre d’ici vingt ans en raison de la robotisation de l’économie et que la France serait un peu plus exposée que la moyenne, avec 16,4% de postes menacés et 32,8% transformés par l’automatisation. Ces études ne sont que les dernières d’une longue série.

De fait l’intelligence artificielle, la robotique et la domotique sont en passe de révolutionner entièrement nos sociétés et nos économies, impactant chaque jour de nouveaux domaines et de nouvelles activités. Pas plus qu’au plan politique et social elle ne pourra avoir lieu sans les citoyens, cette révolution ne peut s’accomplir dans les entreprises sans les salariés. Cette mutation économique et sociale nécessite une incontournable réforme globale de notre système de formation.

La France mal partie

Il y a là un immense enjeu de montée en compétences que le World Economic Forum a rappelé l’an passé dans son rapport The Future of Jobs. Hélas, la France paraît bien mal partie : la durée moyenne nécessaire à former ou à perfectionner les compétences des salariés varie de 83 jours pour les entreprises suisses… à 105 jours pour les entreprises françaises (le plus mauvais score).

Il y a donc urgence, et une urgence à laquelle ni le rapport Villani du printemps 2018 ni la réforme de la formation professionnelle de Muriel Pénicaud de l’été dernier ne répondent sérieusement. Pire, la monétarisation pour tous les salariés de leurs CPF (Compte personnel Formation) à moins de quinze euros l’heure divise parfois par sept la capacité de formation de certains salariés.

Ecoles « made in Gafa »

Ce chantier est de taille et exige une mobilisation de tous les acteurs sous l’impulsion des pouvoirs publics. L’enjeu est trop important pour le laisser aux mains des GAFA. Malheureusement, c’est eux qu’Emmanuel Macron a sollicité en janvier 2018 afin d’assurer des formations gratuites auprès des salariés. Qu’il s’agisse des ateliers numériques de Google, de l’AI Business School de Microsoft ou du Facebook Business Learn, les géants du numérique se sont évidemment empressés d’accepter une opportunité inespérée de communication positive, leur permettant de se constituer une clientèle à bon compte. Demanderait-on à Mac Donald ou Burger King de dispenser des cours de nutrition dans les écoles ?…

La formation tout au long de la vie ne peut plus prendre la forme d’un simple « compte épargne temps », monétisé ou non, accessible une fois de temps en temps en fonction de critères indéterminés et d’accords d’employeurs parfois improbables. Les relations de travail hommes-machines (COBOT) ne pourront pas « bien se passer » tant que 10% de la population ne sait pas lire et que la formation professionnelle reste un système complexe et opaque, à 34 milliards d’euros dont très peu de salariés et quasi aucuns chômeurs ne bénéficient réellement.

Impérieuse nécessité

La révolution sociale engendrée par l’Intelligence Artificielle, la robotique et la domotique dans le monde du travail ne peut s’appréhender qu’en repensant globalement notre système de formation tout au long de la vie dans lequel le « travailleur » deviendra un acteur majeur de son employabilité future qu’il soit en poste ou non. Elle doit devenir une véritable garantie de l’employabilité future du salarié dont celui-ci sera pleinement acteur au travers de choix qui ne seront plus forcément en lien avec les besoins de son entreprise du moment.

Il est plus que temps de changer d’échelle et de passer à la vitesse supérieure. La formation continue devra demain devenir le prolongement naturel de la formation initiale et pas seulement un outil devant répondre à un déficit de formation immédiat dans l’entreprise. C’est une impérieuse nécessité, dans un avenir interfacé homme-machine de former les salariés à l’agilité leur permettant d’aborder la transition numérique et la disparition de certains métiers avec l’apparition de technologies qui vont impacter l’ensemble de nos économies.

Un « crédit de formation de transition technologique »

La France a besoin d’un véritable plan Marshall de la formation visant à la mutualisation des ressources et des compétences, matérialisée au niveau local, régional, national et européen au travers d’actions multi-niveaux regroupant un maximum d’acteurs afin d’apporter l’excellence dans les entreprises et auprès des personnes non-salariées (indépendants, chômeurs, auto-entrepreneurs). Ces actions sur le principe de la co-construction, avec une participation active des acteurs de la formation professionnelle, des universités, des centres de ressources, des entreprises et des collectivités publiques, devront aboutir à la mise en place de véritables plans de formations très pro-actifs afin de pallier au déficit de formation des salariés français en matière d’intelligence artificielle et de coopération homme-machine.

Pour cela il sera nécessaire dans un premier temps de créer un « crédit de formation de transition technologique » pour les salariés. Ce nouveau dispositif se calculera en fonction des évolutions techniques dans chaque secteur (par un indice) afin de permettre aux employés de rester dans la course ou de changer de domaine d’activité s’il n’y a plus aucun avenir humain dans celui-ci. Cette nouvelle possibilité devra se faire au travers des différents crédits de formation existants additionnés d’une taxe temporaire sur les robots s’ils sont insuffisants. A moyen terme, la formation professionnelle devra en outre prendre la forme d’une sorte de « contrat en alternance à vie » avec des périodes de travail et des périodes de formations successives, en entreprise (de manière mutualisée ou non en fonction de leurs tailles), dans des organismes de formations mais également dans les universités.