15 juillet 2019 • Opinion •
Le Comprehensive Economic and Trade Agreement est l’accord de libre-échange conclu entre notre partenaire canadien et l’UE ; symbole de mondialisation heureuse et bénéfique, ce traité a été approuvé par le gouvernement en Conseil des Ministres le 3 Juillet, par l’Assemblée le 10, et attend désormais sa ratification en séance plénière le 17. Or il porte en germe une mondialisation débridée, source de dumping social et environnemental, bien éloigné des arguments basiques mis en avant en France par ses thuriféraires. L’excuse de la Commission européenne, dans ses recommandations initiales au gouvernement français, était de dire que le CETA ne constituait qu’un accord entre deux continents globalement au même niveau social et environnemental.
Or, force est de constater, pour qui a lu le document (combien de parlementaires se sont astreints à cet exercice?), que ce traité permettra – dans la lignée des précédents accords multilatéraux oserions nous dire malheureusement – tous les dumpings sociaux et environnementaux, tout en érigeant la toute-puissance des multinationales et de leurs intérêts économiques dans le cadre d’arbitrages.
En effet, au-delà du ton général du document, qui s’inscrit dans un mouvement de libre échangisme non contrôlé, deux types de dispositions posent un problème.
En premier lieu, le CETA n’apporte aucune garantie car ses clauses sociales, fiscales et environnementales sont toutes facultatives et non sanctionnables ; la France pourra se contenter de généralités généreuses sans enrayer la tendance actuelle ; pourtant à l’OIT, le 11 juin 2019, le Président de la République française avait déclaré : « je ne veux plus d’accords commerciaux internationaux qui alimentent le dumping social et environnemental et, en tant que dirigeant européen, je le refuserai partout où je n’aurai pas les garanties sur ce point… » Il n’en est rien et le CETA n’empêchera pas demain une société canadienne d’importer sur son sol un produit fabriqué dans les pires conditions sociales et environnementales et de l’exporter en France sans droits de douane : aucune réciprocité entre les modèles n’est prévue sous prétexte qu’ils sont déjà très proches.
Mais alors pourquoi signer un énième accord de libre-échange si vraiment nos économies canadiennes et européennes sont déjà en osmose ? Bien évidemment elles ne le sont pas et tous les accords de libre-échange précédents signés entre pays à bon niveau social et environnemental ont au contraire favorisé ces pratiques de dumping ; avec le CETA, un nouveau palier est franchi, puisqu’une entreprise canadienne pourra importer de Chine un produit fabriqué dans les pires conditions et le réexpédier en France presque sans droits de douane. En réalité, tout producteur peu scrupuleux peut désormais exporter sans droits de douane vers le marché européen en contournant les illusoires frontières européennes : il lui suffira de passer par un pays intermédiaire, tel le Canada, ayant signé un accord en bloc avec l’UE.
Deuxièmement, le CETA, en un curieux équivalent d’un cavalier législatif, consacre la toute-puissance des multinationales (une réalité que les vagues déclarations de déni des responsables politiques ne sauraient occulter) via le volet arbitrage. Deux considérations préliminaires sur le sujet de l’arbitrage s’imposent : chaque État doit approuver ce volet donc les parlementaires français peuvent encore s’y opposer tout en acceptant le reste du CETA ; par ailleurs, un tel système, l’AMI, a déjà été tenté en 1995 et a mis de nombreux Français dans la rue. L’arbitrage est une procédure efficace en cas de litiges entre deux entreprises, mais nous parlons ici de l’arbitrage entre un État et une multinationale et du déni manifeste de la souveraineté nationale…
Le CETA contient une arme nucléaire, un arbitrage inique qu’il faut dénoncer au profit exclusif d’une communauté particulière dénommée « investisseurs étrangers ». C’est un droit offert sans aucune contrepartie à des multinationales étrangères installées par exemple en France, de saisir un tribunal d’arbitrage supranational, qui a le droit de s’affranchir des lois françaises et européennes, pour condamner notre pays à leur verser des dommages et intérêts si une loi d’intérêt général (sur l’environnement par exemple) a pour effet de diminuer un tant soit peu leurs bénéfices. Comble ubuesque, les investisseurs français eux n’y ont pas droit. C’est un précédent gravissime. Depuis plus de cinq ans, le comité Pauvreté et Politique, en lieu et place du controversé ISDS, propose aux administrations françaises concernées et à la Commission européenne un nouveau système d’arbitrage cohérent et logique défendant aussi bien les intérêts des États que ceux des investisseurs étrangers. Cette approche constituerait un premier frein opposé aux grands acteurs économiques dans leur volonté de contrôler les élus de nos démocraties, à l’instar de certains cas aux États-Unis.
On voit bien avec l’exemple du CETA (mais nous aurions pu parler tout aussi bien du Mercosur qui a encore plus défrayé la chronique en France) que l’Europe a volontairement laissé des trous béants dans une mondialisation débridée et exacerbée. Nul ne se prive de profiter de ces trous noirs de la régulation internationale, et loin d’organiser la mondialisation comme le prétendent leurs laudateurs, des traités comme le CETA se frayent un chemin à travers ces failles pour alimenter le dumping.
Notre gouvernement, notre Parlement ont soutenu sans débat aucun ce traité. Ils en seront redevables devant les prochaines générations.