Economie du Maroc · Le temps des grandes décisions

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

22 août 2019 • Opinion •


Ce n’est pas l’ambition publique qui fait défaut à l’économie du Maroc. Il suffit pour s’en convaincre d’apprécier Tanger Med, ce port (et plate-forme industrielle) récemment étendu, accueillant 8 000 entreprises et porte logistique ouverte sur l’Afrique par le détroit de Gibraltar : rares sont les pays africains qui peuvent s’enorgueillir d’une telle infrastructure.

C’est avant tout la commande publique et le tourisme qui ont alimenté un taux de croissance moyen aux alentours de 3-4% ces dernières années : un taux certes appréciable, mais en deçà des taux africains miraculeux qui conféreraient au Maroc le statut d’une véritable puissance économique émergente. Porte d’entrée vers l’Afrique pour les entreprises occidentales à la remarquable stabilité politique, facilité de recrutement et de talents, dynamisme des banques et de l’export vers le reste du continent, solidité des secteurs touristiques et immobiliers : les atouts de l’économie marocaine sont bien connus ; mais il convient aussi de se demander quelles en sont les faiblesses et surtout comment le Maroc peut accéder au rang de vraie puissance émergente africaine.

En premier lieu, il convient de noter que les succès économiques marocains peuvent être attribués soit à la puissance publique, soit à quelques groupes privés proches du pouvoir. Ces derniers, à l’inverse d’autres pays africains, n’ont pu se reposer sur une rente minière ou énergétique mais demeurent trop concentrés. C’est de l’émergence d’une bourgeoisie d’affaires au service de la modernisation dont le pays a besoin : le prix Nobel d’économie (1971) Simon Kuznets disait que « c’est cette élite qui déclenche en premier la vague de la prospérité qui soulèvera par la suite les autres navires de petites et de moyennes tailles. » Ce rôle de propulseur de la croissance et de la prospérité joué par une bourgeoisie schumpétérienne est un prérequis pour une croissance plus élevée.

Le deuxième point est celui d’une fiscalité efficace et intelligente. Le pourcentage des taxes dans les profits totaux (rapport Doing Business) est de 50 %, là où les émergents africains sont déjà vers 30 %. Un Maroc plus prospère devrait optimiser sa fiscalité, ne serait-ce que pour permettre justement l’émergence de cette nouvelle bourgeoisie d’affaires.

Le dernier point est plus macroéconomique. On remarque une inflation anormalement faible directement corrélée à un taux de croissance du crédit bancaire cantonné entre 2 et 5 % par an (contre 20 % pour certains pays d’Afrique noire) : la masse monétaire circulante est trop contrôlée, le crédit trop restreint, par rapport à ce que seraient les ambitions d’une puissance émergente en forte croissance. La politique économique est assez conservatrice, tournée vers la lutte contre l’inflation, bridant le potentiel de croissance de l’économie marocaine au profit de la stabilité des prix. Cette position est devenue anachronique dans la mesure où l’économie marocaine est loin d’être au plein-emploi de ses ressources. Une politique plus orientée vers la croissance, associée à une classe entrepreneuriale moins timorée, plus diversifiée au-delà des secteurs traditionnels, est la clef pour faire du Maroc le nouveau succès économique africain.