« La question musulmane nécessite du courage politique »

Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More

6 novembre 2019 • Entretien •


L’institut Thomas More publie un rapport et formule « 35 propositions » pour l’islam en France. L’auteur du rapport, Sophie de Peyret, formée notamment à l’Institut de science et de théologie des religions (ISTR), répond aux questions de La Croix, en plaidant pour une politique volontariste et pour l’affirmation de la singularité française.


Quels sont, à vos yeux, les principaux problèmes de l’islam en France aujourd’hui ?

Il y a un malaise évident autour de cette question, et la crise est particulièrement aiguë cet automne. La publication de ce rapport aujourd’hui est toutefois un hasard du calendrier, puisque j’y travaille depuis un an. L’un des principaux problèmes est l’absence de courage politique sur ces questions. La parole de nos dirigeants est soit cacophonique, comme on l’a vu récemment avec la déclaration illisible du ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer (qui dit que le voile n’est « pas souhaitable », mais qu’une loi serait « contre-productive »), soit cette parole est absente : cela fait tout de même deux ans qu’on attend que le président Emmanuel Macron s’attelle à ce dossier !

Si, comme il le rappelle souvent, la France est singulière, alors ne faut-il pas défendre cette singularité, et en finir avec le relativisme et le communautarisme ?

Parmi ces singularités de la France, on pense à la laïcité, qui génère beaucoup de crispations. Comment sortir de ce débat ?

Que l’on soit toujours obligé d’accoler à ce terme un adjectif (laïcité « républicaine », « ouverte », « fermée », « nouvelle », etc.) montre déjà qu’il y a un problème. Jusqu’à l’arrivée de l’islam sur le territoire français, tout le monde comprenait ce que laïcité voulait dire. Mais nous sommes désormais obligés de définir ce terme, le plus clairement et rapidement possible. Et il faudrait que cette définition soit contraignante juridiquement.

La loi de 1905 gagnerait-elle aussi à être clarifiée, selon vous ?

À mon sens, il ne faut surtout pas toucher à cette loi. Le problème est surtout qu’elle n’est pas assez respectée. Son article 2 stipule que la République « ne subventionne aucun culte », et pourtant la mairie de Paris organise chaque année des soirées pour la rupture du jeûne de Ramadan ! Ce qui m’étonne, c’est que de tels manquements à la loi ne suscitent pas plus d’émotion que cela.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) vous semble-t-il à la hauteur des enjeux actuels ?

Cette structure présente selon moi un « péché originel » : elle a été créée en 2003 à la demande de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur. Cette injonction faite à l’islam de s’organiser me semble de toute façon problématique. Par ailleurs, le CFCM n’englobe que quelques grandes fédérations tenues par des hiérarques musulmans qui ne représentent pas grand monde. Il porte uniquement la voix de ceux qui ont des intérêts à défendre, confisquant la parole d’une grande majorité des musulmans. C’est enfin une structure inactive et immobile, qui n’a engagé aucune réforme majeure en quinze ans.

L’État doit en finir avec cette relation de quasi-exclusivité avec le CFCM, pour privilégier les structures locales reconnues et contrôlées.

Parmi vos 35 propositions, certaines sont assez inattendues, comme celle, pour la France, d’accueillir les « apostats » et les convertis menacés à travers le monde.

La France a vocation à défendre les libertés : parmi elles, il y a la liberté religieuse, qui est aussi la liberté de changer de religion ou de critiquer sa religion. Je crois que la France doit défendre tous les versants de cette liberté religieuse, en se mettant aussi bien du côté de la musulmane qui veut porter le voile que du côté de ceux qui critiquent l’islam. Je crois aussi que la France devrait encourager la recherche historico-critique sur cette religion.

Vous proposez, en citant Simone Weil, de « donner aux Français quelque chose à aimer », en commençant par la France. Souhaitez-vous rouvrir le débat sur l’identité nationale, qui avait échoué en 2009 ?

Sans doute faudrait-il trouver un autre terme, car les mots sont piégés… Mais je crois que cette « identité française » constitue le fond du problème, oui. Qu’est-ce qui fait que la France est une nation ? Quel modèle de société voulons-nous ? Si l’on dit que la France est singulière, cela vaut le coup de promouvoir ce qui fait la France : y compris des petits riens aussi impalpables que la galanterie, la haute couture ou même l’insolence.