Comme un parfum de bulle · Les cours de la plupart des sociétés françaises de Tech introduites en bourse se sont effondrés

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

26 novembre 2019 • Entretien •


Un graphique très partagé sur les réseaux sociaux ces derniers-jours montre l’évolution de la valeur boursière des entreprises de biotech et de medtech françaises depuis leur introduction en bourse jusqu’à aujourd’hui. Elle paraît plutôt mauvaise, de l’ordre de -90% pour beaucoup d’entre elles. Est-ce le symbole d’une surévaluation des entreprises de la tech en France ?


En premier lieu, il convient de rappeler la forte volatilité du secteur (on parle d’un beta élevé en analyse boursière pour ces actions, c’est-à-dire d’une forte corrélation amplifiée avec l’ensemble du marché) et son degré de risque : quand on tente de mettre au point un nouveau médicament ou un appareillage médical, si les espoirs sont immenses (ce qui peut faire flamber les cours de bourse notamment en oncologie), le risque d’échec (dans l’efficacité ou les approbations du régulateur comme la FDA américaine) est important. Ainsi, le secteur n’est pas exempt de faillite ou d’échecs. Dans certains cas, le succès médical ou le rachat par une autre entreprise cristallise de beaux parcours boursiers, mais qui sont plus rares. Par ailleurs, et c’est le point que vous rappelez dans votre question, à la survalorisation générale des titres boursiers et financiers à l’heure actuelle du fait des politiques monétaires, s’ajoute une bulle biotech spécifique. Elle n’est pas uniquement propre à la France et le secteur est coutumier de ces bulles, la différence étant cette fois ci un contexte général encore plus favorable aux bulles.

Comment expliquer ce résultat ?

Poussé par les politiques monétaires de quantitative easing, les investisseurs institutionnels sont à la recherche de rendements plus élevés. Ainsi, certains ont pu entrer sur cette classe d’actifs sans en comprendre tous les risques : au moindre échec, ces investisseurs peu aguerris sur le secteur vendent en masse. Ce qui est vraiment dommageable pour l’industrie médicale et de la biotech en France, c’est que si le capital spéculatif est abondant pour celles de ces entreprises qui sont cotées, le capital-risque spécialisé sur le secteur est, lui, peu développé. On retrouve souvent les mêmes noms dans les tours de table, comme Sofinnova. Ce qui pousse ces entreprises soit à se vendre à des Américains, soit à s’introduire très (trop ?) tôt en Bourse et à subir la volatilité de la Bourse dans ce secteur.

En favorisant les licornes, n’est-ce pas l’Etat français qui est en train de créer de surévaluation à la mise en bourse ?

L’Etat, via la BPI, a tenté de pallier le manque de capital-risque médical mais, ce faisant, a contribuer à la hausse des valorisations : il eut mieux valu s’interroger sur les causes structurelles du manque de capital-risque (fiscalité importante, absence de fonds de pension, système de retraites). L’Etat tente de redonner d’une main (celle de la BPI) ce qu’il prend de l’autre. Cette approche est contre-productive, surtout quand les patients attendent de nouvelles thérapies. Il devrait plutôt soutenir la recherche en amont, très fondamentale, qui ne peut être faite que dans les universités, et laisser ensuite des chercheurs-entrepreneurs quitter la sphère publique pour lancer leur start-up. L’Etat devrait aussi lancer des instituts de recherche plus proche de l’industrie médicale, sur le modèle du Salk Institute aux USA à San Diego.

Quand on compare ces données avec celles d’autres entreprises à l’étranger, faut-il s’inquiéter de la faiblesse financière de nos entreprises technologiques ?

Une partie du retard a été rattrapée, mais sur les mauvais secteurs : internet grand public, e-commerce, applications. Sur les secteurs les plus stratégiques (cyber sécurité, robotique, biotech, médical), nous sommes encore en retard sur les Anglo-saxons et la stratégie de l’Etat gagnerait à être visible : il ne peut pas tout faire et la BPI ne doit pas se substituer aux capitaux-risqueurs. Cessons les effets de manche et de communication en la matière et écoutons les besoins des entrepreneurs.