L’avenir incertain de l’éolien terrestre européen

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

12 décembre 2019 • Opinion •


La concrétisation d’une politique énergétique à l’échelle de l’Union européenne a du mal à voir le jour en raison, entre autres, de la diversité des approches et des intérêts des États membres. La feuille de route pour l’énergie (Roadmap 2050) a été présentée en 2011 par la Commission européenne, sa finalité étant la décarbonation de l’économie.

A l’origine, cet objectif était soumis à la condition que d’autres régions du monde prennent également l’initiative d’un tel effort. Depuis lors, l’UE se dit prête, le cas échéant, à s’engager seule dans cette aventure. En fait, elle s’est focalisée sur une réduction drastique des émissions des gaz à effet de serre (GES) à tout prix, sans se préoccuper de considérations économiques et sociales qui sont finalement, nolens volens, le moteur incontournable de ce changement de paradigme. Le secteur électrique a été ciblé en premier lieu alors qu’il ne représente que 22% de la consommation totale d’énergie de l’UE.

Une surenchère effrénée d’objectifs climatiques toujours plus ambitieux et plus coûteux

La nouvelle Commission souhaite être encore plus ambitieuse que la précédente, portant la diminution des émissions de GES à 50-55% au lieu de 40% à l’horizon 2030 par rapport à 1990, négligeant ainsi les difficultés de certains États membres, dont l’Allemagne, d’atteindre ne fût-ce que le niveau des 40% précités. La résistance régionale à cette politique extrêmement contraignante s’est d’ailleurs exprimée lors d’un échange de vues, le 5 décembre, avec le Vice-Président de l’actuelle Commission, Frans Timmermans. Elle a mis ce-dernier en garde contre l’adoption d’objectifs climatiques irréalisables pour 2030. C’est également la position du Président de la Commission environnement au Comité des Régions, Cor Lamers.

Frans Timmermans n’a rien voulu entendre, faisant valoir que l’urgence climatique est LA priorité et que l’UE doit rester le leader de la lutte contre le changement climatique : attitude à la fois prétentieuse et naïve ! Les pays en dehors de l’UE (à part quelques rares exceptions) se soucient peu de exhortations de cette dernière, se préoccupant davantage de leur développement et de leur prospérité que du climat, même si parfois le souci de ce dernier (cosmétique ?) est mentionné dans leurs discours.

Pour convaincre les États membres récalcitrants, la Commission envisage la création d’un Fonds de transition destiné à aider les pays les plus affectés par la transition énergétique, une charge financière de plus qui vient s’ajouter aux lourdes dépenses liées à cette transition. A cet égard, rappelons que la Commission européenne a publié, en mars 2018, un plan d’action pour la finance durable, destiné à réorienter massivement les flux de capitaux dans les décennies à venir vers le financement d’investissements durables et la transition vers une économie bas carbone. Ce plan requiert l’élaboration d’un système de classification (taxonomie) des activités économiques jugées écologiquement durables.

Cette surenchère effrénée d’objectifs climatiques toujours plus ambitieux et plus coûteux a conduit à une pénétration précipitée de sources de production d’énergie électrique renouvelable intermittente dominée par l’éolien terrestre.

Que penser de ce changement de paradigme ?

Le développement de l’éolien terrestre en Allemagne, après plus d’une décennie de politique bas carbone, est éclairante à cet égard. Après une explosion du nombre d’éoliennes installées, la tendance est en train de s’inverser. Ce pays précurseur en Europe de la promotion de l’éolien terrestre (avec le Danemark) pour une production d’électricité bas carbone, fait actuellement face à une crise très sérieuse, comme le craint le journal économique allemand Handelsblatt : «Il y eut d’abord l’espoir suscité par l’Energie Wende et maintenant le marché allemand risque de s’effondrer » (1).

La capacité de nouvelles éoliennes passerait d’une puissance installée totale annuelle de 5 330 MW en 2017 à 1 100 MW en 2019 (2). Avec seulement 507 MW installés entre janvier et septembre 2019, le développement du secteur éolien est au plus bas depuis vingt ans. L’agence pour l’énergie éolienne table sur la mise en service de 1 000 MW maximum en fin d’année 2019, très loin des 2 800 MW alloués par le gouvernement allemand. La fédération de l’énergie éolienne allemande (Bundesverband Windenergie) annonce une perte de milliers d’emplois qui s’ajoute aux 10 000 emplois déjà perdus dans le secteur les années précédentes (3).

L’entreprise Senvion, cotée en Bourse et forte de 4 400 salariés a déposé le bilan fin août 2017. Enercon, un géant de la construction d’éoliennes qui fait partie du top cinq des fabricants d’éoliennes dans le monde avec un chiffre d’affaires de cinq milliards d’euros, déplore une perte de milliers d’emplois. Nordex cherche de nouveaux débouchés à l’étranger après avoir dû licencier des centaines de salariés.

Les causes de cette crise sont multiples. On peut citer, entre autres, la modification de la loi sur les énergies renouvelables (EEG) afin de favoriser la concurrence dans un secteur jusque-là largement subventionné. L’introduction d’appels d’offres, la fin des revenus garantis et les lenteurs administratives ont entraîné une baisse du nombre d’investisseurs. Parallèlement, la croissance du nombre de procès intentés per les riverains a explosé, ralentissant les procédures voire aboutissant à une suppression des permis d’installation. Ce n’est pas étonnant, vu les nuisances induites par les éoliennes et notamment les pollutions sonores et visuelles et la dévaluation des propriétés voisines. Cette opposition ne fait que gonfler avec l’installation d’un nombre plus élevé de turbines. La pression populaire serait encore plus forte si la puissance unitaire des éoliennes était augmentée pour accroître leur rentabilité. De telles éoliennes seraient encore plus hautes et plus massives et donc augmenteraient leurs nuisances visuelles et sonores.

France et Belgique s’apprêtent à commettre les mêmes erreurs que l’Allemagne

Rétablir les subventions pour relancer l’éolien terrestre allemand n’est pas la solution. Cette technologie n’a pas fait ses preuves, au contraire. Car non seulement elle n’a pas contribué au développement d’une industrie durable en Allemagne, mais les émissions de GES ont continué d’augmenter.

Au vu des résultats de la désastreuse Energie Wende allemande, comment la France peut-elle justifier son programme de développement des éoliennes terrestres ? La Nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’électricité centrée sur l’éolien terrestre (4) est-elle fondée, alors que la production électrique française est essentiellement nucléaire et hydraulique, c’est-à-dire non émettrice de GES, et que la Cour des Comptes, dans un rapport de mars 2018, avait dénoncé le coût exorbitant et l’inefficacité des énergies renouvelables intermittentes ? Si la politique actuelle est maintenue, le montant du soutien financier apporté par l’État aux éoliennes sur la période 2011-2018 (72,7 à 90 milliards d’euros) sera supérieur au coût de construction initial de l’ensemble du parc nucléaire français établi en 2012 par la Cour des Comptes (environ 80 milliards, valeur 2019) (5).

L’hystérie climatique n’a pas épargné la Belgique. Malgré l’échec de l’onéreuse politique climatique allemande, aboutissant à une augmentation des GES, le nouvel objectif de production éolienne du gouvernement wallon, dans le cadre de sa contribution au projet du Plan national Énergie-Climat de juillet 2018, est d’augmenter la production éolienne à 4 600 GWh en 2030, soit 3,5 fois plus que celle de 2018 (1 331 GWh) (6). La Fédération des Énergies Renouvelables fait encore plus fort ! Elle recommande une production éolienne terrestre de 8 000 GWh en 2030. Pour atteindre de tels objectifs extravagants, la Région wallonne a tenté de faciliter l’obtention des permis d’environnement et d’installations d’éoliennes et de réduire les contraintes y associées, sans obtenir, jusqu’à présent les résultats escomptés. Les recours, par des collectifs de citoyens, contre l’implantation d’éoliennes pour non-conformité à la législation, ont en revanche été souvent couronnés de succès.

Au lieu de continuer à promouvoir l’éolien terrestre, une technologie fort coûteuse (coûts indirects et matières polluantes et non recyclables provenant du démantèlement en fin de vie), inadéquate et de moins en moins acceptée par la population, le gouvernement wallon serait mieux inspiré, pour éviter le désastre allemand, d’investir dans la recherche et dans des technologies plus prometteuses et donc plus durables et d’y recaser les travailleurs ayant perdu leur emploi.

 

Notes •

(1) « Die deutsche Windbranche steht vor einer schweren Krise », Handelsblatt, 12 August 2018.

(2) Jean-Pierre Schaeken Willemaers, L’avenir su système électrique européen, Paris, éditions Technip, 2019 (en savoir +).

(3) « Die internationale Windbranche schaut besorgt nach Deutschland », Handelsblatt, 25 mai 2018.

(4) Le Président de la République, dans son discours du 27 novembre 2018 sur la stratégie et la méthode pour la transition écologique, avait déclaré que, d’ici à 2030, la production éolienne terrestre triplera (disponible ici).

(5) Rapport de la Commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique, Assemblée nationale, 25 juillet 2019 (disponible ici).

(6) Cécile de Schoutheete , « Pour une croissance de qualité de l’éolien en Wallonie », IEW, 21 février 2019 (disponible ici).