La ruralité face à l’idéologie d’une France exclusivement urbaine

Gérard-François Dumont, professeur de géographie à l’Université Paris IV-Sorbonne, directeur de la revue Population et avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

Printemps-Été 2020 • Opinion •


Article paru dans la revue Ruralis, n°1, printemps-été 2020.


« Rural » est-il un gros mot ? C’est ce que l’on est conduit à penser en examinant la façon dont l’Insee analyse les évolutions territoriales en France. Ainsi, dans son zonage des territoires en aires urbaines des années 2010, le mot « rural » a disparu. Aucun territoire ne serait donc rural. Cela signifie peut-être que l’évolution vers une France exclusivement urbaine est quasiment achevée. Il est donc impératif d’examiner les éléments témoignant d’un tel aboutissement.

Toutefois, l’examen de leur caractère explicatif ne signifie-t-il pas qu’ils sont fondés sur une idéologie d’une France exclusivement urbaine ? Cet examen ne conduit-il pas à conclure que la ruralité demeure non seulement importante en France, mais que ses capacités d’innovation, chaque fois que des acteurs se mobilisent par amour de leur territoire, sont réelles ?

Exode rural ou émigration inégale ?

L’analyse de la ruralité s’est largement nourrie de la formulation suivante : exode rural (1). Or, cette expression, qui a partout fait florès, à commencer dans les livres scolaires et même dans de très nombreux livres universitaires, a un double inconvénient : d’une part, elle est incorrecte et, d’autre part, elle véhicule un sentiment fataliste. En effet, les dictionnaires définissent clairement le terme « exode » comme une fuite de populations quittant un territoire sous la contrainte, pour protéger leurs vies.

C’est ainsi que la France a connu dans son histoire l’exode de populations civiles devant l’avance allemande en mai et juin 1940. De même, les conflits des années 1990 dans l’ex-Yougoslavie ou ceux de Syrie depuis 2011 ont conduit de nombreuses populations à l’exode. Or, même si l’émigration rurale a été un phénomène majeur dans l’évolution de la géographie de la population française depuis le début de l’ère industrielle, et plus encore depuis 1945, cette émigration n’a pas été un exode, par nature brutal.

Les déplacements de population du monde rural vers la ville se sont même opérés dans des conditions sociales relativement tranquilles compte tenu de l’importance des flux de populations générés.

En second lieu, l’expression « exode rural » suggère implicitement une hémorragie démographique inévitable du monde rural. Certes, nombre de territoires ruraux ont connu de l’émigration pour de nombreuses raisons, parfois liées : départ d’actifs ruraux vers des cités où se développent des sites industriels, départ de populations rurales n’ayant guère d’espoir d’emplois agricoles compte tenu de la progression de la productivité du secteur primaire, départ afin d’acquérir des formations ou d’accéder à des types d’activités professionnelles non présents sur les territoires ruraux, attraction pour des emplois tertiaires s’implantant essentiellement dans les villes et dans les grandes villes, politiques de centralisation antinomiques d’un aménagement équilibré du territoire, politiques économiques et fiscales décourageant l’exploitation agricole et minorant la rentabilité de l’agriculture…

Toutefois, l’émigration rurale n’a pas été une fatalité. Son intensité a été variable en fonction de la capacité des territoires ruraux à créer des emplois dans d’autres secteurs pour compenser la diminution de l’emploi dans l’agriculture. Certains territoires, comme la Vendée ou la Mayenne en France, ont limité l’émigration rurale, car ils ont su créer des industries à la campagne qui ont offert des emplois. Ailleurs, l’émigration rurale a été moins intense chaque fois que des entrepreneurs locaux ont su développer des activités. Autre exemple, aujourd’hui, l’émigration rurale peut se trouver contenue lorsque des territoires ruraux savent y développer des infrastructures permettant le télétravail, à l’exemple du Cantal notamment dans le pays de Murat. Recourir à l’expression « exode rural » revient à mal nommer un phénomène et à le penser comme une fatalité, ce qui renvoie à la phrase prêtée à Albert Camus : « Mal nommer les choses, c ‘est ajouter au malheur du monde ».

C’est pourquoi il faut utiliser un concept scientifiquement juste, celui d’émigration rurale, car il permet une véritable analyse des dynamiques démographiques, extrêmement variables, selon les territoires ruraux.

Ce concept permet de constater que l’émigration rurale est désormais souvent contenue, voire inversée. D’une part, plusieurs grandes villes enregistrent un solde migratoire négatif même si, en raison de la jeunesse de leur pyramide des âges, la population de la plupart d’entre elles s’accroît. Par exemple, l’unité urbaine de Paris est répulsive depuis 1975. Son système migratoire est paradoxal puisqu’elle attire nombre d’immigrants, surtout des immigrants internationaux. Mais, en même temps, le nombre des personnes qui la quittent chaque année est encore plus élevé, d’où un solde migratoire négatif d’environ 50 000 personnes par an. Ces personnes partent vers l’étranger, vers d’autres communes urbaines françaises, mais aussi vers des communes rurales.

D’autre part, nombre de territoires ruraux, après avoir connu l’émigration rurale pendant un siècle et demi, comptent désormais un solde migratoire positif. C’est même le cas de départements (2), comme la Creuse ou la Haute-Loire depuis 1975, l’Aveyron depuis 1990 ou le Cantal depuis 1999…, devenus des terres d’immigration. Dans certains territoires ruraux, la population continue de diminuer en raison de l’héritage d’une pyramide des âges vieillie qui engendre plus de décès que de naissances, mais on peut constater une situation de régénération grâce à l’apport de nouvelles populations qui rajeunissent la pyramide des âges.

L’agriculture : perte d’emplois directs, montée d’emplois induits

Le deuxième élément souvent cité, complémentaire du premier, pour justifier la fin de la ruralité tient au raisonnement, largement répandu, qui consiste à envisager l’emploi dans le monde rural comme nécessairement voué à la régression, puisque le nombre des emplois agricoles, généralement mesuré par celui des exploitants agricoles dénombré lors des recensements, donc non compris les salariés agricoles, diminue. L’on en déduit alors que la ville vampirise forcément le monde rural, au nom d’un syllogisme implicite que j’ai énoncé ainsi :

  • Prémisse majeure : l’espace rural est agricole.
  • Prémisse mineure : l’agriculture ne crée plus d’emplois.
  • Conclusion : le monde rural n’est pas créatif d’emplois (3).

Or ce syllogisme inspire implicitement des politiques publiques qui privilégient le monde urbain qui serait le seul capable de satisfaire la demande d’emploi.

Lois et politiques budgétaires favorisent les villes, à l’exemple en France de la dotation forfaitaire globale de fonctionnement par habitant qui est le double pour les résidents d’une grande ville que pour ceux d’une petite commune rurale. Et, lorsque la France souhaite limiter les effets négatifs de la centralisation urbaine, la politique mise en place en 1963 concerne les métropoles d’équilibre. Plus tard, dans les années 2010, ce sont les territoires les plus peuplés, à qui l’on donne la dénomination de métropoles, qui sont privilégiés, financièrement et via la concentration des emplois publics, par l’État (4).

Il ne faudrait donc mesurer l’importance de la ruralité que par le nombre des exploitants agricoles. Or, l’activité agricole du XXIe siècle implique un nombre considérablement accru d’emplois induits dans les autres secteurs économiques – secondaire et tertiaire – par rapport à celle d’hier. En effet, la gestion agricole fait appel à nombre de fonctions, en amont et en aval du secteur primaire proprement dit. L’entreprise agricole a besoin, en amont, de fournisseurs et réparateurs de machines, de sociétés bancaires et financières, d’outils informatiques, d’experts-comptables, de spécialistes des semences… Elle a besoin, en aval, de la production agricole, de services compétents pour le conditionnement, pour la transformation de plus en plus sophistiquée des produits – les industries agroalimentaires – et pour leur commercialisation.

Ainsi, l’activité agricole, dont le nombre d’emplois directs a effectivement considérablement diminué, a une importance beaucoup plus grande que le nombre d’agriculteurs stricto sensu, car elle induit d’autres emplois industriels et de service, dont le nombre est un multiple de sept ou huit du nombre d’exploitants agricoles. Et rien ne s’oppose à la localisation de ces emplois dans l’espace rural, même si certains d’entre eux, compte tenu de leurs besoins en connexions, doivent s’installer dans une grande ville disposant d’infrastructures plus denses de transports et de communication.

En outre, la ruralité ajoute des externalités positives pour les habitants des villes, en fournissant non seulement des produits alimentaires, mais aussi de l’eau, de l’énergie, ou des aménités pour les loisirs ou les vacances.

Une urbanisation réelle, mais surévaluée

Cependant, un troisième élément, les outils statistiques utilisés pour mesurer l’évolution de la géographie du peuplement donnent l’impression d’une fin de la ruralité. Depuis le recensement de 1954, l’Insee utilise le concept d’unité urbaine, qui repose sur la continuité du bâti et se fonde sur deux critères principaux : sont d’une part définies comme urbaines les communes ou les ensembles de communes présentant une zone de bâti continu qui compte au moins 2 000 habitants (ce même si beaucoup de personnes résidant dans des bourgs de 2 500 ou 3 500 habitants se considèrent plutôt comme des ruraux que comme des urbains).

D’autre part, sur le critère de « continuité du bâti », une « zone bâtie » est définie comme « un ensemble de maisons dont aucune n’est distante de la plus proche de plus de 200 mètres et qui comprend au moins 50 personnes ». Mais les unités urbaines ainsi définies ont une densité moyenne de 114 habitants au km2, ce qui est relativement faible, proche de la densité moyenne de la France métropolitaine. Selon les critères utilisés par l’Insee, et selon les dernières données relatives à 2010, 77% de la population résident dans des communes dites urbaines (5) et 23% dans des communes dites rurales.

Les dernières données affichent toutefois une stagnation au tournant des années 2010, le pourcentage de 77,5% ayant plafonné car le taux de croissance démographique moyen des communes rurales est devenu nettement supérieur à celui des communes urbaines, notamment en raison de leur attractivité.

Cette stagnation affichée du taux d’urbanisation de la France ne masque-t- elle pas une diminution ? En effet, pour fixer le périmètre des territoires urbains, l’Insee a posé en 2010 une définition encore plus extensive de la règle des 200 mètres en dessous de laquelle le cadre bâti est jugé continu. Certains espaces publics (cimetières, stades, aérodromes, parcs de stationnement, etc.), terrains industriels ou commerciaux (usines, zones d’activités, centres commerciaux, etc.) sont traités comme des bâtis avec la nouvelle règle des 200 mètres pour relier des zones de construction habitées, à la différence des découpages précédents où ces espaces étaient seulement annulés dans le calcul des distances entre bâtis. Cette évolution de la règle des 200 mètres engendre l’augmentation du périmètre de certaines unités urbaines, en l’absence de toute modification structurelle du territoire.

L’Insee utilise également le concept d’aire urbaine, censé mettre en exergue les liens économiques pouvant exister entre les communes dites urbaines et les territoires environnants. La notion d’aire urbaine se fonde initialement, au début des années 1990, sur l’existence d’un « pôle urbain », défini comme une unité urbaine comptant au moins 5 000 emplois. Une aire urbaine associe aux communes en continuité morphologique formant une unité urbaine et offrant un nombre d’emplois minimal (au moins 5 000 emplois) d’autres communes en raison des interrelations économiques que celles-ci sont supposées entretenir avec l’unité urbaine.

L’aire urbaine constitue donc un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, formé par une unité urbaine et par les communes ou agglomérations périphériques dont au moins 40% de la population résidente ayant un emploi travaillent dans le pôle ou au sein des communes que celui-ci est censé polariser. Selon ce concept d’aire urbaine, au recensement de 1999, 82% de la population de France métropolitaine est urbaine et 18% résident dans l’espace à dominante rurale. Mais, si l’on portait à 50% le seuil d’actifs d’une commune allant travailler, le résultat serait autre. Les conventions fondant ces classifications du zonage en aire urbaine, qui aboutissent à surestimer l’influence des villes et des métropoles sur le reste du territoire, peuvent donc être discutées (6).

Au début des années 2010, l’Insee a substitué à cette distinction entre espace à dominante urbaine et espace à dominante rurale un nouveau zonage en aire urbaine (7), selon lequel l’espace à dominante rurale, avec ses « pôles ruraux », disparaît, remplacé par la notion de « communes isolées hors influence des pôles », qui ne représentent plus que 5% de la population. Selon l’Insee, 95% de la population seraient donc désormais sous l’influence des villes. Or ce raisonnement est erroné car les territoires sont désormais davantage dans des logiques réticulaires que dans des relations centre-périphérie. Même l’unité urbaine de Paris est loin de s’inscrire exclusivement dans cette relation centre-périphéries (8). En effet, 40% des actifs d’Île-de-France travaillent dans leur commune d’habitation ou dans une commune limitrophe. Cette proportion monte à 60% si le rayon est de deux communes.

En outre, en 2014, Eurostat a défini une nouvelle grille de catégorisation de l’espace dite « degré d’urbanisation » appliquée à l’ensemble des pays de l’Union européenne (9). Selon cette classification, en France, 35,3% de la population résident dans 609 communes densément peuplées (soit 1% des communes françaises) ; 34,8% résident dans des communes « peu denses », qui correspondent aux espaces ruraux et représentent 90% des communes françaises ; 29,9% habitent dans 3 000 communes de densité intermédiaire (8,2% des communes). La vision qui résulte de cette classification est donc très différente de celle découlant du zonage en aire urbaine, selon laquelle 95% de la population seraient sous l’influence des pôles urbains et 5% seulement résideraient dans des communes situées « hors de l’influence des pôles ».

Ainsi, alors que le mot rural a disparu de l’étude des territoires de l’Insee via le zonage en aires urbaines, la ruralité existe et représente une part significative de la population de la France, soit plus de 23 millions d’habitants. Mais cette réalité est souvent masquée car reste privilégié cet outil statistique qu’est le zonage en aire urbaine qui se fonde et induit l’idéologie d’une France exclusivement urbaine, elle-même fondée sur la théorie centre-périphérie largement désuète et la méconnaissance des dynamiques du développement local.

Aucune fatalité pour les ruralités

En effet, il n’y a aucune corrélation entre l’attractivité des territoires et leur taille démographique ou spatiale. En France, les dynamiques de l’emploi sont fort différenciées selon les métropoles et non nécessairement positives (10), même si certaines se trouvent en quelque sorte dopées par la nouvelle délimitation des régions mise en œuvre le 1er janvier 2016.

Certes, il est vrai que l’économie urbaine a mis en évidence les économies d’agglomération dont bénéficient les agglomérations urbaines, qu’il s’agisse du fait d’offrir un large marché d’emplois ou de consommateurs, de meilleures infrastructures de transports, ou des synergies possibles entre les entreprises localisées dans le même territoire urbain. Mais l’économie urbaine enseigne aussi l’existence de déséconomies d’agglomération : coûts élevés du foncier et de l’immobilier, fatigue des actifs due aux temps passé dans les transports et minoration de la productivité que ceci engendre, importance des pollutions qui se traduit par davantage de morbidité, etc.

Avoir peu d’habitants ou une faible superficie n’est par un handicap dirimant lorsqu’un territoire sait être entreprenant comme le montrent nombre d’exemples français ou étrangers. Il n’y a de fatalité pour aucun territoire, y compris dans le monde rural. La petite taille peut même être valorisée comme un avantage, à l’exemple de l’État américain du Delaware qui s’affirme « small, but beautiful ».

Effectivement, nombre de territoires ruraux sont dynamiques parce qu’ils ont compris que la logique réticulaire leur permet un développement propre pour laquelle la ville la plus proche, généralement une capitale régionale ou départementale, n’est éventuellement qu’un moyen parmi d’autres de satisfaction de besoins pour certaines fonctions qu’elle peut offrir.

Comme l’attestent les réussites territoriales de ces dernières décennies, il est plus important pour un territoire de se créer des réseaux pour faire valoir son attractivité que de mettre en œuvre un lien exclusif avec le territoire proche le plus peuplé de sa région.

Ainsi, des ruralités se sont déployées avec d’incontestables résultats en termes d’attractivité. Les deux exemples les plus connus sont le Futuroscope, fondé sur des champs de maïs, et dont les représentants de la ville la plus proche, Poitiers, n’imaginaient que l’échec et le Puy-du-Fou, lieu enclavé loin des réseaux TGV ou aérien, qui attire désormais plus de deux millions de touristes chaque année. Dans ce domaine des loisirs, il faut aussi citer, à Carhaix-Plouguer (Finistère) le festival des vieilles charrues, avec plusieurs centaines de milliers de personnes chaque été dans cette Bretagne centrale enclavée loin du littoral et apparemment vouée à l’oubli. En Haute-Loire, toujours dans le domaine touristique, le petit village au nom si peu attractif de Saint-Bonnet-le-Froid a réalisé un rebond inimaginable de sa population et de ses emplois grâce à l’inventivité de la famille Marcon, tandis que, dans les Hautes-Pyrénées, la vallée du Louron, qui dépérissait, a connu une véritable renaissance.

Ailleurs, chaque fois qu’il déploie une volonté d’entrepreneuriat (11) et à condition de ne pas croire qu’il y aurait un modèle général (12), le monde rural sait, outre l’agriculture, offrir des emplois. Parfois, il abrite même le siège social, la direction générale et les établissements d’entreprises parvenues, par la qualité de leurs produits et de leur commercialisation, à devenir des grandes firmes internationales, comme Bénéteau, champion mondial de la navigation de plaisance, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou Fleury-Michon, grand acteur de productions agroalimentaires, à Pouzauges en Vendée.

Dans d’autres ruralités, des entreprises à large vocation géographique réussissent : à partir de Felletin, bourg particulièrement enclavé dans le sud-est de la Creuse, les tapisseries Pinton vendent dans le monde entier ; à Saint-Bonnet-de-Rochefort, petit bourg de l’Allier, la zone d’activité dénommée « Parc naturopôle nutrition santé » est un succès ; dans le petit village de Les Cars, en Haute-Vienne, les chaussettes Broussaud sont parvenues à développer de l’emploi notamment en ayant su convaincre de leur qualité des personnes fort connues comme le chanteur Stromae ; à La Souterraine, petite ville de 5 500 habitants dans la Creuse, les établissements Picoty dirigent avec une centaine de personnes sur place, les activités de la marque Avia qui emploie 1 200 personnes et développent dans cette même ville rurale un datacenter depuis septembre 2019. Bien sûr, toutes ces réussites ne sont jamais acquises : les pérenniser suppose de s’adapter et d’innover en permanence.

Ces exemples, et bien d’autres, sont un démenti permanent à l’idéologie (13) d’une France exclusivement urbaine, même si celle-ci reste grandement favorisée par l’État (14) et si la qualité de la gouvernance territoriale a toute son importance. Cela ne veut pas dire que l’avenir des ruralités soit assuré. En effet, et en dépit de quelques mesures correctives, cette idéologie continue d’imprimer des lois et des décisions financières de l’État guère favorables à la ruralité tant que ceux qui dirigent la France n’auront pas changé de logiciel.

Car un pays doit valoriser tous ses territoires. Croire, comme le Parlement français semble le penser, qu’il suffit de décerner le statut de « métropole » à des territoires (15) et de redistribuer quelques compétences entre les collectivités territoriales, tout en opérant une recentralisation (16), pour les rendre dynamiques, est illusoire.

Tout territoire, qu’il soit urbain ou rural, représente et dispose d’un capital géographique, historique, culturel, combinant des éléments réels et des éléments symboliques. Ce capital comporte des fragilités, voire des handicaps, mais aussi des atouts. L’enterrer serait une erreur, ce qui signifie qu’il ne faut pas fermer des communes comme on ferme des entreprises. Car ce capital, où qu’il soit, peut toujours et partout être valorisé.

 

Notes •

(1) Par exemple Jean Pitié, L’Exode rural, Paris, PUF, 1979.

(2) Gérard-François Dumont et Tuerxun Yiliminuer, « La recomposition très diversifiée des territoires : les « quinze France », Population & Avenir, n°724, septembre-octobre 2015.

(3) Gérard-François Dumont, «Pour une politique d’équilibre du territoire», La Revue des Deux Mondes, mai 1993.

(4) Gwénaël Doré, « France : géographie inégalitaire des services publics et aménagement du territoire », Population & Avenir, n°745, novembre-décembre 2019.

(5) Dont certaines sont très peu peuplées car les communes y sont intégrées si la moitié de leur population fait partie de la zone bâtie d’au moins 2 000 habitants.

(6) Gérard-François Dumont, « Pour analyser la ruralité, balayer les paradigmes dominants », Cahiers de la fonction publique, n°356, juin 2015.

(7) Insee Première, n°1374, 2011.

(8) Gérard-François Dumont , « Territoires : le modèle « centre-périphérie » désuet ? », Outre-Terre, n°21, 2017.

(9) Jean-François Léger, « Espaces ruraux et espaces urbains : deux mondes différents », Population & Avenir, n°741, janvier-février 2019.

(10) Gilles Poupard, « Développement local et emploi productif : un monopole des métropoles ? », Population & Avenir, n°725, novembre-décembre 2015.

(11) Gérard-François Dumont, « Les ressorts du développement local. La dynamique des territoires en France », Futuribles, n°427, novembre-décembre 2018.

(12) Vincent Pacini et Marc Fosseux, « Développement des territoires : y a-t-il un modèle idéal ? », Population & Avenir, n°741, janvier-février 2019 ; Gérard-François Dumont, Les territoires français. Diagnostic et gouvernance, Paris, Armand Colin, 2018.

(13) Symbolisé par l’intitulé de la loi du 27 janvier 2014 dénommée « modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles » (MAPTAM).

(14) Gérard-François Dumont, « Les métropoles devront-elles subir un contrôle anti-dopage ? », Population & Avenir, n°745, novembre-décembre 2019.

(15) Statut de métropole créé sous forme d’établissement public de coopération intercommunale par la loi du 16 décembre 2010, puis élargie par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM).

(16) Gérard-François Dumont, « Géopolitique des territoires français : décentralisation versus recentralisation », Diploweb.com, 15 septembre 2018.