Comment aider les TPE à traverser cette crise ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More, et Hervé Coulaud, président de la FTPE Centre-Val-de-Loire

24 mars 2020 • Opinion •


La réponse du gouvernement aux conséquences économiques de la pandémie saura-t-elle s’adresser aux petits entrepreneurs autant qu’aux grands groupes ?, s’interrogent notre chercheur Sébastien Laye et Hervé Coulaud. Il faudrait selon eux s’inspirer des exemples allemands et américains.


Si la crise sanitaire, nous l’espérons tous, ne sera qu’une affaire de semaines, la récession (attendue pour 2020 même sans cette crise épidémiologique) économique sera avec nous pour de longs mois, sans qu’un redressement rapide dès le début du troisième trimestre ne soit envisageable.

Oui, certains grands groupes sont d’ores et déjà déstabilisés et l’État semble prêt à les aider directement, voire à en nationaliser certains. Cela ne sera pas suffisant pour porter à bout de bras l’économie française. Cette politique en direction du CAC 40, pour lequel l’État français a toujours eu les yeux de Chimène, ne doit pas faire oublier les très petites et moyennes entreprises. Ce sont elles qui constituent le tissu productif français et tout doit être fait pour qu’elles puissent surmonter cette crise. Si on laisse ces entreprises mourir, le taux de chômage explosera une fois la crise sanitaire derrière nous.

Pour limiter les dégâts, notamment des faillites en cascade d’entreprises trop fragiles pour encaisser un arrêt total de leur activité pendant des semaines, le gouvernement a prévu des aides à hauteur de 45 milliards d’euros. L’essentiel, soit 32 milliards d’euros, sera des reports ou des annulations de charges sociales et fiscales. Par ailleurs, les dispositions de chômage partiel pour les salariés contraints de cesser de travailler coûteront 8,5 milliards d’euros à l’Etat sur deux mois mais ces dispositions vont aider surtout les grandes entreprises qui ont déjà mis leurs salariés en chômage technique. Cela sauvera temporairement nombre d’entre eux, et c’est tant mieux, de la précarité mais sans garantie qu’une fois la crise passée, ces mêmes groupes ne fassent pas du rattrapage financier en licenciant massivement.

Aux États Unis, l’administration Trump et la Banque centrale américaine ont redoublé d’efforts, pour éviter que la première économie du monde ne soit emportée par la pandémie du coronavirus. Des aides massives ont été annoncées pour porter un secours financier immédiat aux petites entreprises et aux ménages les plus touchés.

Le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, travaille avec le Sénat et la Chambre des représentants sur un programme d’aides audacieux et très important de quelque 850 milliards de dollars. Après avoir tardé à réagir, l’hôte de la Maison Blanche s’est vanté que ce plan serait inédit. « Je ne crois pas avoir vu quelque chose de similaire auparavant », a commenté Donald Trump.

Steven Mnuchin a souligné l’importance d’injecter sans délai des liquidités pour aider non seulement les ménages mais encore les petites entreprises les plus fragilisées par la crise. En offrant la possibilité de garantir des prêts, la Banque centrale américaine va contribuer à donner des facilités de crédits aux entreprises et aux ménages. Parmi ces mesures concrètes, la Fed propose de soutenir les prêts automobiles ou immobiliers et d’accorder des prêts aux petites entreprises. L’objectif est d’empêcher des difficultés de remboursements des prêts qui accéléreraient les dommages économiques causés par le coronavirus. Par ailleurs, l’État américain brise un tabou en mettant en œuvre ce que la théorie économique avait annoncé sous le nom d’« helicopter money » en envoyant un chèque sans condition à tous les ménages américains.

Revenons à la France. Le plan de soutien annoncé par le Ministre de l’Économie à l’attention des entreprises (45 milliards d’aides directes et 300 milliards destinés à garantir les prêts souscrits) est bien inférieur à ce que font les Allemands et les Américains et reste muet sur la suspension d’un des impôts les plus problématiques, la TVA, dont les entreprises sont les collecteurs. Ce plan pose immédiatement certaines questions à l’aune du premier retour des entrepreneurs sur le terrain. En premier lieu, il acte des reports de charges là où les entreprises constatent non pas un simple report d’activité, mais bien des annulations et des destructions. Les repas qui n’ont pas été pris dans des restaurants, les conférences annulées, tout cela représente une perte sèche de chiffres d’affaires : reporter les charges ne fera qu’ajourner le problème des coûts fixes au trimestre suivant. Le second dispositif, celui du chômage partiel, ne marche déjà pas dans les faits : la mise en place est difficile psychologiquement, certaines entreprises étant dans le déni et les salariés n’acceptant pas facilement la baisse de salaire ; le plafond à 4,5 SMIC va laisser un reste à charge considérable pour les entreprises avec beaucoup de personnel qualifié et de cadres : ces entreprises vont être sous pression pour continuer à verser ces salaires en attendant des remboursements partiels et tardifs ; enfin la logistique ne suit pas, les agents des finances publiques étant eux-mêmes en télétravail, traquant ceux qui profiteraient d’effets d’aubaine avec un dispositif trop complexe à appliquer. Le double langage tenu par le gouvernement sur ces mesures – dont l’application sur le terrain est chaotique – nous promet une sortie de crise obérée par un « retard à l’allumage » et un stock de dettes qui pèsera sur la croissance future.

Un autre pan important du plan d’action en urgence du gouvernement est la mise en place du fonds de solidarité abondé par l’État, les régions et toute grande entreprise qui le souhaiterait. Ce fond va assurer le versement d’un montant forfaitaire de 1 500 euros sur simple déclaration du chef d’entreprise, jusqu’à la fin de la crise. Or ceci concerne les entreprises de moins de un million d’euros de chiffres d’affaires qui ont été pénalisées par une fermeture ou celles qui ont eu une baisse de chiffres d’affaires d’au moins 70% du chiffre d’affaires entre mars 2019 et mars 2020. Ce seuil de déclenchement est beaucoup trop élevé pour les TPE.

Dès le début de la crise la Fédération des Très Petites Entreprises (FTPE) a demandé au gouvernement de prendre des mesures urgentes pour assurer la sauvegarde de nos entreprises. La première était le report du paiement des charges sociales sur plusieurs années sans que l’instruction du dossier soit subordonnée à des critères d’instruction kafkaïens. La seconde concernait le paiement du chômage technique, non pas par les entreprises qui seraient ensuite remboursées par l’État, mais directement par celui-ci. La troisième avait trait à la suspension du paiement des charges de fonctionnement dont les créanciers sont généralement des entreprises étatiques. La quatrième portait sur la suspension et report sur simple demande, des remboursements des prêts contractés avant la crise et pour toute la durée de la crise. Cette mesure ne devra pas pénaliser l’entreprise à plus long terme, en entraînant par exemple une modification de la notation de la capacité de remboursement de la société. La cinquième, concerne les mandataires sociaux, car aucune aide n’est envisagée pour les accompagner lors de cette crise. Leur besoin est de payer d’abord leurs salaires et les charges fixes non négociables. Pour cela, ils peuvent être obligés de contracter des prêts auprès de leur banque dont ils devront être caution. C’est pourquoi la BPI doit prendre en charge la caution des TPE pour des emprunts liés au fonctionnement de l’entreprise. À l’instar du report des charges ou des financements inscrits sur l’année antérieure, nous suggérons de mettre en place le financement remboursable sur quatre ans du salaire des dirigeants. Ce financement pourrait se faire sur la base du chômage technique correspondant à leur niveau de rémunération. La sixième concerne les banques : il faut inciter les banques à jouer le jeu en accordant des lignes de crédit afin de financer le fonds de roulement des entreprises durant la crise. Cette demande auprès la BCE, accordée pour l’Allemagne et d’autres pays est urgente et indispensable pour assurer la pérennité de nos entreprises. Cet emprunt pourrait être remboursé par les entreprises sur quatre ans. La septième propose pour les salariés de ces petites entreprises aux salaires souvent modestes, afin de réduire l’écart entre le salaire et le chômage partiel, de suspendre le prélèvement de l’impôt sur le revenu et d’étaler les paiements de la période de confinement sur un an.

L’exemple de l’Allemagne doit nous servir de guide, car la chancelière a su assurer les acteurs économiques du soutien déterminé du gouvernement pour qu’ils maintiennent leur activité. Outre le renforcement des indemnisations de chômage partiel voté dès le début de la crise par le Bundestag, ce bouclier prévoit des facilités fiscales, notamment des reports d’impôts à hauteur de plusieurs milliards d’euros, mais aussi et surtout un programme illimité de crédits via la KfW pour assurer la liquidité des entreprises. Le budget allemand garantit actuellement à la banque un cadre financier de 460 milliards d’euros, mais ce montant pourrait être augmenté de 93 milliards d’euros, ce qui donnerait à la banque plus de 500 milliards d’euros de puissance de feu.

Notre approche en France doit être opportune, ciblée, temporaire, et massive, en s’inspirant des exemples allemands et américains. Toutes ces mesures s’appuient sur les expériences de la crise financière de 2008 mais elles doivent être adaptées aux circonstances particulières de la crise actuelle. Au-delà des grandes entreprises, préserver le tissu de TPE est une nécessité pour poser les jalons du redressement de notre économie au second semestre.