Des coronabonds émis d’ici deux mois ? Il y a mieux à faire !

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

7 avril 2020 • Chronique •


Les coronabonds, cette dette européenne pour financer un effort sanitaire, sont une perte de temps. D’autres solutions doivent être envisagées. Créons, par exemple, une forme d’obligation synthétique, commune aux États, recevant des recettes fiscales propres, qui aurait servi à racheter une partie de la dette existante des Etats afin de la ramener à des niveaux plus gérables.


Il est désormais acquis que la période du confinement fera perdre entre trois et cinq points de PIB aux pays européens en moyenne, en fonction de sa durée et du rythme de redémarrage graduel des économies au second semestre. Dès lors, il est légitime de se poser la question de la relance ; à cet égard, le gouvernement français se montre très actif sur la question des coronabonds, des obligations communes aux pays de l’Union européenne dont le dessein serait de financer des investissements sanitaires.

Pour nous, cette stratégie est clairement une perte de temps et manque sa cible en termes économiques au profit des rêves européistes d’une certaine élite française. En effet, chaque procédure commune au niveau des institutions européennes requiert du temps et d’âpres discussions : cela est tout à fait normal, car l’Europe est un lieu de compromis qui n’a jamais été conçu avec des institutions de temps de crise. Elle n’est donc pas l’échelon adapté pour financer des investissements sanitaires (hôpitaux, lits, ventilateurs, respirateurs, masques, gels) dont nous avons besoin maintenant : quelle serait l’utilité de coronabonds émis dans le meilleur des cas d’ici deux mois ?

Par ailleurs, la seule institution indépendante non soumise à la dictature du compromis et de l’unanimité, la BCE, après quelques ratés initiaux, a finalement pris son parti de soutenir de manière infinie les Etats en achetant massivement leurs dettes publiques. Le signal fut clair : endettez-vous pour faire face à la crise, nous serons toujours là, ce qui revient in fine, malgré les erreurs de création de l’euro, à rétablir une forme de monétisation des dettes publiques et de lien direct entre la Banque centrale (ou plutôt les banques centrales car ce sont toujours les banques centrales qui achètent techniquement ces dettes sous la férule de la BCE) et les trésors publics. Sans le dire, nous y sommes presque, il ne reste plus qu’à officiellement amender les traités. En amendant (officiellement temporairement) les critères de Maastricht et en jugulant tout risque de hausse des taux, l’Europe a livré un message fort aux États : à vous de faire ce qu’il faut en matière sanitaire et demain en termes de relance, sans vous préoccuper des niveaux de dettes et de déficits (l’autre alternative étant la dépression et la déflation généralisée…). Curieusement, les autorités françaises s’évertuent à obtenir un nouvel outil monétaire, probablement pour afficher une victoire politique, alors que les États nations, plus les mécanismes existants (BEI, MES), ont tout pour contrer cette crise.

Si nous voulions un jour, peut-être dans le cas du grand plan Marshall dont l’Europe aura besoin dans les années 2020 pour se relever, imaginer des modes de financement européens, il y aurait mieux à faire : si les eurobonds (une dette publique commune nouvelle à l’échelon européen s’ajoutant aux dettes nationales) ne seront jamais acceptés (il faudrait pour cela un État européen), nous avions proposé en juin 2016 une forme d’obligation synthétique, commune aux États, recevant des recettes fiscales propres, qui aurait servi à racheter une partie de la dette existante des Etats afin de la ramener à des niveaux plus gérables. Par ailleurs, plus prometteur, la BCE pourrait d’ici deux ou trois ans acheter des « project » bonds, des obligations émises hors budget par les États nations, dans le cadre du financement de programmes d’infrastructures ou d’efficacité énergétique. Une manière d’orienter enfin l’argent de la BCE vers l’économie réelle et la création d’emplois. A défaut de grands rêves européens, travaillons d’ores et déjà sur des options réalistes !