Retour de l’inflation ? C’est surtout la déflation que l’on risque !

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

8 mai 2020 • Chronique •


L’économiste Bastiat est resté à la postérité par sa célèbre formule : en économie, il y a ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Ce qu’on voit, ce sont les tensions sur les prix alimentaires. Ce qu’on ne voit pas, c’est la menace déflationniste. La question de l’inflation, arlésienne des débats publics et de la colère populaire, refait surface alors que nos citoyens constatent une augmentation des prix alimentaires, provoquée sur le court terme par la dislocation de l’offre et des chaînes d’approvisionnement (pour faire simple, plus de tomates d’Espagne peu chères… et de mauvaise qualité). Cette question du pouvoir d’achat – ou plutôt du pouvoir d’acheter tant l’INSEE s’est perdue dans de mauvaises définitions du premier – avait déjà alimenté la crise des « gilets jaunes ».

Il y a aussi la question, au déconfinement, des coûts sanitaires induits par cette crise : par exemple, les équipements en masques et gels, les procédures de distanciation sociale, tout cela aurait un coût pour les entreprises par exemple. La préoccupation est réelle sur le court terme. Mais elle fait fi de la malheureuse tendance déflationniste de nos économies, exacerbé par cette crise nouvelle. On se rappellera d’abord que dans la dynamique de l’inflation, les salaires jouent un rôle important : il n’y pas d’inflation durable sans hausse des salaires. Or ces derniers, en stagnation même durant les dernières années de croissance en Europe, ne sont pas prêts d’augmenter en période postCovid.

Si certains entrepreneurs lançant de nouvelles entreprises pourraient s’en réjouir – le coût d’un développeur informatique par exemple ne sera plus le même –, aucun responsable politique ne peut s’enorgueillir d’une inflation nulle, qui signifie la stagnation des salaires et le début du chômage. Une période déflationniste est marquée par une hausse du chômage, comme ce fut le cas durant la période 2009-2011. 2020 et 2021 (du moins le début de cette année-là) pourraient être des miroirs de ces deux années avec une inflation non pas jugulée mais terrassée par le marasme économique.

D’autant plus, que même sur le court terme, et en dépit de ces tensions sur les prix alimentaires, la question de l’énergie a détruit toute forme d’inflation réelle : les prix bas du pétrole maintiennent à flot le monde industriel tout autant que les bas taux d’intérêt, et dans le panier moyen utilisé par les équivalents de l’INSEE, compense toute dérive des prix alimentaires. Ce qui caractérisera le monde post-confinement d’ici un mois, c’est bien une destruction de la demande : la peur qui tétanise le travailleur ou le consommateur et l’empêche de travailler ou de consommer est équivalente à une destruction de la demande.

En face, les fournisseurs de biens et de services auront du mal à arguer du coût des mesures de sécurité. Il faudra soit détruire la production ou le bien immobilisé (on sait que cela ne se produit pas en cas de biens fixes : immobilier, avions, bateaux, usines, etc.), soit s’ajuster par les prix : la course entre les baisses des prix d’un côté, mais malheureusement de l’autre les baisses de salaires et le chômage, ne fera que commencer cet été.

Cette disparition de l’inflation et ce risque déflationniste (baisse du prix des actifs qui en général décime toute activité d’investissement sur le court terme) ne devrait pas nous surprendre, car depuis cinq ans que la banque centrale européenne mène une vraie politique expansionniste, elle n’a jamais réussi à créer de l’inflation, alors même que c’est son objectif officiel : elle est censée stimuler l’économie jusqu’à une certaine cible d’inflation, environ 2%. Et elle n’y est jamais arrivée jusqu’à alors : il y a peu de chances qu’en plein Covid, les choses soient différentes…

Quand on lit les enquêtes de production Markit ou qu’on regarde les marchés d’obligations, les anticipations basses d’inflation attestent de l’anticipation d’une forte récession : les entreprises attendent une hausse du chômage en juin à la fin du chômage partiel, d’où une stagnation/baisse des salaires et une baisse de la demande, qui amène avec elle dans l’abysse le PIB et le niveau d’inflation.

Nous ne sommes pas dans les années 1970 où l’inflation surgissait de l’hyper-croissance et de la hausse des salaires des années 1960 : chômage élevé depuis des années, destruction de la demande avec le Covid, stagnation séculaire des salaires, forts taux d’endettement. Le spectre déflationniste est avec nous, et même la hausse de l’immobilier par exemple lui est dû avec des taux bas qui expliquent la quasi-totalité des prix sur ce marché.