Jusqu’à quand la France et l’Union européenne vont-elles se laisser écraser par la Chine ?

Laurent Amelot, chercheur associé à l’Institut Thomas More

20 juillet 2020 • Opinion •


La Chine communiste se moque bien des timides réprimandes adressées par la France au sujet de la répression à Hong Kong : il faut que la diplomatie hexagonale muscle le ton.


En adoptant, le 30 juin 2020, une loi controversée sur la sauvegarde de la sécurité nationale à Hong Kong, promulguée et entrée en vigueur le jour même, Pékin a jeté le voile : le principe « un pays, deux systèmes » est définitivement mort et la déclaration conjointe sino-britannique sur Hong Kong de 1984 littéralement bafouée. En effet, le droit interne hongkongais intègre désormais le corpus juridique de la Chine populaire via l’annexe III de sa loi fondamentale, à laquelle cette loi liberticide est rattachée. Le message est clair : la mainmise de la Chine communiste sur les territoires qu’elle contrôle doit être totale. Il n’augure rien de bon pour Macao, mais surtout pour Taïwan.

Soyons assurés que les protestations, les menaces de sanctions ou les sanctions effectives de Londres, de Washington, de Canberra, voire d’Ottawa, n’empêcheront pas Pékin de poursuivre la construction d’une véritable chape de plomb au-dessus de Hong Kong dès l’instant que le poumon économique et financier de l’ancienne colonie britannique n’est pas visé. Toutefois, prendre une telle décision représente un véritable défi politique et économique, en particulier pour les États-Unis et leurs entreprises, dans le contexte actuel.

Et l’Union européenne ? Maillon faible de l’Occident, elle temporise. Et la France ? Elle déçoit. Son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, évoquant des sanctions à l’occasion d’une audition devant la commission des Affaires étrangères du Sénat le 8 juillet dernier, a été sèchement rappelé à l’ordre le lendemain par le porte-parole de la diplomatie chinois, Zhao Lijian : Pékin ne saurait tolérée d’ingérence dans ses affaires intérieures, Hong Kong (et le Xinjiang) aujourd’hui, Macao et surtout Taïwan demain ? Cette apostrophe diplomatique, sans réaction de la part de la France, est révélatrice de l’image projetée par notre pays auprès des autorités chinoises : un État faible, incapable d’adopter des positions fermes, qu’il est possible de molester à loisir.

Cet épisode hongkongais s’inscrit dans un contexte particulier pour la Chine et pour le monde, celui d’un instant parmi les plus dangereux pour une Chine communiste, suffisamment forte pour se sentir confiante et éveiller les inquiétudes de ses rivaux, mais pas encore assez imposante pour assurer effectivement sa nouvelle position face aux résistances des puissances occidentales, celle de première puissance mondiale ou, à défaut, de puissance centrale sur la scène internationale.

Dès lors, un double sentiment prévaut dans la Chine de Xi Jinping : celui d’un destin programmé, ambitieux et revanchard (le « rêve chinois » et la régénérescence de la nation chinoise) et une grande fébrilité, illustrée par le refus virulent de toute critique. Combinés, ces deux sentiments sont susceptibles de conduire à des niveaux élevés de tolérance au risque, mais aussi à une perception d’urgence aggravée, voire à des prophéties auto-réalisatrices de confrontation internationale, auxquelles il convient de prendre garde afin de ne pas tomber dans le piège de Thucydide.

Que faire alors que la Chine réprime à Hong Kong, au Xinjiang ou au Tibet, qu’elle intimide quotidiennement Taïwan et manœuvre pour étendre sa souveraineté des mers de Chine aux plateaux de l’Himalaya, qu’elle exploite les failles du système international, divise les États occidentaux et mobilise les sentiments de frustration des pays en développement afin de refaçonner le monde à son image et de promouvoir son modèle autoritaire ?

Il est impératif que la France et l’Union européenne rehaussent leurs discours et leurs actions afin de se situer au même niveau que leurs alliés anglo-saxons de l’hémisphère occidental. Paris et Bruxelles doivent également se rappeler que si la Chine de Xi Jinping est un partenaire stratégique, elle est aussi et surtout un rival stratégique face auquel nous devons défendre notre modèle de société et nos intérêts stratégiques, sinon vitaux. Cette réalité doit constituer le leitmotiv d’une politique chinoise de l’Union européenne réévaluée, fondée sur la défense des valeurs occidentales et non plus l’illusion d’un vaste marché chinois, ouvert, qui n’a jamais vraiment existé. Par ailleurs, si la France et l’Union européenne veulent véritablement restaurer leur autonomie stratégique, mise à mal par l’urgence sanitaire du Covid-19, elles ne pourront faire l’économie de s’extraire de leur dépendance à la Chine. Une réindustrialisation progressive de nos territoires et de notre arrière-cour s’avère nécessaire, tout comme la conclusion de partenariats globaux avec des pays partageant nos valeurs, tel que Taïwan. Il est temps également d’être clair sur le dossier de la 5G et d’imiter le Royaume-Uni en excluant toutes les sociétés chinoises des appels d’offre et cours et à venir.

A l’approche des élections législatives à Hong Kong et présidentielles aux États-Unis, attendons-nous à ce que Pékin adopte une posture nettement plus agressive dans sa périphérie immédiate au travers de manœuvres géopolitiques hautement crisogènes et sensiblement plus conciliante envers l’Europe, l’Afrique et l’Asie sur le plan économique. Cette double manœuvre participe de la manière dont la Chine communiste organise son ascension sur la scène internationale.

D’ailleurs, sa réaction, pour l’heure verbale, à l’organisation par l’opposition pro-démocratique d’une primaire officieuse pour désigner ses candidats pour le scrutin de septembre, il y a dix jours, est révélatrice et nous impose de soutenir clairement et fermement cette dernière, dont le courage et la volonté de contrecarrer par le jeu démocratique les ambitions dictatoriales de Pékin méritent le respect. La France et l’Union européenne, l’Occident, ne doivent pas être dupes. Ils se doivent de réagir rapidement, s’ils ne veulent pas que la sino-mondialisation devienne la norme.