3 février 2021 • Chronique •
L’économie française a reculé de 8,6% en 2020, contre -3,5% pour celle des États-Unis. Des pays avec des fondamentaux si divergents ne pouvaient pas traverser la crise du Covid-19 de la même manière, souligne Sébastien Laye dans sa chronique.
Le verdict pour 2020 est arrivé en termes de croissance : si le recul est un peu moins important que prévu, le PIB de la France s’est tout de même effondré de 8,6% en 2020, avec une décroissance au dernier trimestre, là où les Américains, n’affichant pas la même rechute de fin d’année, ne perdent que 3,5% sur toute l’année, avec une croissance annualisée de 4% au dernier trimestre (donc la poursuite même plus timorée du rebond depuis l’été). Comment pouvons-nous expliquer ces divergences ?
En premier lieu, il faut comparer la solidité des deux économies avant la survenue de la crise. En janvier 2020, l’économie américaine de Trump ne montrait guère de signe de faiblesse, avec un rythme insolent de croissance à 2-3% et un chômage à 4%. La France d’Emmanuel Macron s’enfonçait déjà dans le marasme, avec une croissance au dernier trimestre 2019 de -0,1% et une récession qui avançait à grands pas, Covid ou pas. Quant au chômage, malgré le cycle d’expansion précédent, il restait obstinément au-dessus de 8%. Des pays avec des fondamentaux si divergents, depuis de nombreuses années, ne pouvaient assurément pas traverser la crise du Covid de la même manière : leur résilience intrinsèque était forcément de magnitude diverse.
Le second point est la gestion sanitaire : les restrictions et confinements ont été moins stricts aux États-Unis qu’en France. Après une première période au printemps assez similaire mais courte et qui n’a pas été nationale outre-Atlantique (seules les grandes villes étaient concernées), les mesures sanitaires au quotidien furent beaucoup moins lourdes qu’en France. Le second confinement par exemple, n’a jamais eu lieu et ce sont plus des mesures ponctuelles qui furent de rigueur : les restaurants new-yorkais par exemple ont accueilli des clients à leur terrasse dès juin et auront l’autorisation dans les prochains jours de les recevoir à l’intérieur.
On pourrait arguer d’une inconscience médicale, mais les faits sont cruels : rapportés au nombre d’habitants, les Américains n’ont pas eu plus de décès que la France (malgré une population à risque, notamment d’obèses, plus grande que chez nous). Enfin, le pays se mobilise depuis début décembre au niveau logistique et médical, avec une intense campagne de vaccination, qui a relancé l’optimisme en fin d’année sur une résolution de la crise qui paraît possible dès mai, là où la France paraît s’effondrer. Il faut se souvenir que tout mois de semi-confinement (comme à l’automne) coûte à peu près 1% de PIB…
Le troisième point concerne les mesures économiques : la Fed en particulier fut rapide à agir, et au lieu de demander aux entrepreneurs en détresse de remplir des dossiers au mois d’avril avec des justificatifs comptables, les autorités américaines ont fait le choix de l’helicopter money, en envoyant des chèques directement à tous les ménages. Ce soutien colossal, qui se poursuit avec un nouveau plan Biden, a empêché l’effondrement du PIB.
La France et l’Europe ne sont pas en reste en la matière mais les interventions ont traîné en longueur et, sur le terrain, elles ne sont pas toujours efficaces, surtout pour les entrepreneurs. La France paraît avoir fait un choix différent, celui du chômage partiel. Les Américains ont laissé filer le chômage momentanément jusqu’à 15%, mais il est déjà redescendu à 6,7%, là où les Français pourraient connaître une lente mais sûre progression du chômage au cours des douze prochains mois, au-delà de 10%.
Enfin le dernier point est la nature même de ces deux économies, différentes dans leur ADN : l’économie française est encore très dépendante des services. L’industrie n’y représente plus que 11% du PIB : les services à la personne, le tourisme, la restauration, l’hôtellerie, sont les piliers de notre économie. Nous sommes plus proches de l’économie espagnole que de l’allemande. Or, ce sont les activités les plus affectées par la crise du Covid. Aux États-Unis, une mégapole comme New-York, reconvertie en grand centre touristique il y a une dizaine d’années, souffre du même phénomène que Paris.
Mais de manière générale, la puissance économique américaine repose sur la technologie et la finance (activités largement immatérielles, sans contact humain, non affectées par le Covid) et, certes dans une moindre mesure mais avec un vrai renouveau depuis quelques années, l’industrie : or faire tourner les usines pendant le Covid, notamment loin des grandes métropoles, ne fut pas un problème. La France a donc souffert d’un secteur manufacturier moins important. Il faut signaler que la France a limité les dégâts en 2020 grâce à une industrie qui a continué tant bien que mal à fonctionner, celle de la construction et de l’immobilier, représentant 10% de son PIB.
Reste désormais la perspective 2021, qui sera largement déterminée aussi par le succès des campagnes de vaccination actuelles. Si l’optimisme est de mise aux États-Unis, qui devraient logiquement avoir effacé les séquelles de la crise assez rapidement, la France pourrait connaître une année 2021 plus compliquée que prévu, comme annoncée récemment par Bercy.