Éloge des gardes-frontières européens

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

19 février 2021 • Opinion •


Selon la commissaire suédoise aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, l’immigration est un phénomène inéluctable et un bienfait pour les économies européennes. Une vision « sans-frontiériste » qui fait le jeu de… la Turquie.


Il est un dossier qui agite en ce moment les couloirs feutrés de Bruxelles – et dont les médias commencent à se faire l’écho – qui devrait attirer l’attention des citoyens des nations qui composent l’UE : c’est la mise en cause de Frontex, l’agence des garde-frontières et garde-côtes européenne. Elle est en effet la cible, depuis octobre dernier, d’accusations répétées dans la presse européenne (principalement allemande) et de paroles publiques sévères de la part d’Ylva Johansson, commissaire suédoise aux Affaires intérieures.

La liste des accusations est longue. Voici les principales : l’agence est accusée d’avoir participé à ou cautionné des opérations de « pushbacks » (refoulements de migrants) en Méditerranée, d’avoir tenté de dissimuler ces actes, d’être dans la main du secteur de la sécurité, de traîner les pieds à l’accueil de quarante « observateurs des droits fondamentaux » en son sein, etc. Factuellement, il convient de rappeler que Frontex a déjà été innocentée de huit des treize opérations de « pushbacks » qui lui sont reprochées (les cinq autres font l’objet d’enquêtes complémentaires). Quant aux rencontres avec les entreprises du secteur de la sécurité, elles sont consubstantielles à son mandat.

Comment expliquer pareil procès ? D’abord par le fait que nous assistons au retour, au sein de la Commission, d’une vision « sans-frontiériste » incarnée par Ylva Johansson. Ainsi a-t-elle déclaré ces derniers mois que « l’immigration fait partie de ce qui rend notre continent prospère » et que « les phénomènes migratoires ont fait et feront toujours partie de nos sociétés ». Selon elle, l’immigration est un phénomène inéluctable auquel il convient de s’adapter, et un bienfait pour les économies européennes.

Cette manière de voir ressemble à s’y méprendre à celle de l’ONU dans son fameux rapport « Migration de remplacement : une solution au déclin et au vieillissement de la population ? » de l’an 2000. Ce rapport, qui a tant fait parler de lui, célébrait du dogme de la « mondialisation heureuse », indiscutable à l’époque. Le problème est que, vingt après, cette vision est en faillite. Elle, qui voyait la personne humaine comme un agent économique interchangeable, ne résiste pas au spectacle de nos sociétés fragmentées par le communautarisme, le racialisme et le séparatisme. Car l’immigration n’est pas une variable de la politique économique et sociale. C’est une question existentielle en ce qu’elle touche à l’identité et à l’avenir des peuples et des cultures. Ce que ne veut manifestement pas voir Ylva Johansson.

Mais ce n’est pas tout. Cet angélisme, si éloigné de ce que nous dit la majorité des Européens sur l’immigration, sert les intérêts d’un pays qui ne nous veut pas de bien : la Turquie. Rappelons d’abord que l’accusation de « pushbacks » portée par Der Spiegel en octobre dernier, qui a mis le feu aux poudres, est basée sur des vidéos fournies par les garde-côtes turcs. Or on sait, depuis Timisoara au moins, qu’on peut faire dire ce qu’on veut aux images. On sait aussi avec quelle constance Recep Tayyip Erdoğan s’est donné les moyens de pouvoir poser le pistolet migratoire sur la tempe des Européens.

Lors de sa récente visite à Bruxelles le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu est venu dire que le fameux accord du 18 mars 2016 entre son pays et l’UE « devrait être révisé dans tous ses éléments », dont l’aspect financier. Et il a conditionné à ces nouvelles négociations le renvoi, selon les termes du dit-accord, de 1 450 migrants de la Grèce vers la Turquie, qui attend depuis des semaines.

Voilà ce qui se joue dans l’entreprise de déstabilisation de Frontex.