Sahara Occidental · Quelle position pour les États-Unis et les Européens ?

Jérôme Pigné, chercheur associé à l’Institut Thomas More, président du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s) et Yosra Aribi, analyste pour le 2r3S

19 février 2021 • Opinion •


Donald Trump a annoncé la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental le 10 décembre 2020. Cette décision prise en fin de mandat pose nécessairement la question du positionnement de son successeur Joe Biden, ainsi que d’acteurs clés de la scène internationale telle que l’Union européenne et la France. Pour Rabat, qui jouit d’une image de meilleur allié de l’Occident dans le monde arabe, la décision de Donald Trump doit créer une dynamique de résolution d’un conflit qui n’a que trop duré.

L’élection de Joe Biden laisse présager un retour au multilatéralisme, tâche dans laquelle il sera soutenu par deux voix qui portent dans la région :  Linda Thomas-Greefliled, représentante des États-Unis à l’ONU et Anthony Blinken, le nouveau secrétaire d’État de la Maison-Blanche. Pour l’heure, aucune de ces personnalités centrales n’a remis en cause la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidentale qui a été corroborée par l’annonce de l’ouverture d’un consulat américain dans la ville de Dakhla, le 10 décembre 2020.

Il semble donc peu probable que la nouvelle administration ne revienne sur cette décision, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, un tel revirement n’a jusqu’ici jamais été vu dans l’histoire politique des États-Unis. Deuxièmement, la décision américaine s’inscrit dans un contexte de normalisation des relations avec les États arabes et Israël (Accord d’Abraham). Ce traité de paix, largement soutenu par les États-Unis, a été signé entre Israël, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Soudan avant de l’être avec le Maroc. L’accord ne signifie pas pour autant que le royaume souhaite changer de position vis-à-vis de la résolution du conflit israélo-palestinien qu’il envisage toujours par la solution à deux États. Il s’agit davantage de rétablir des relations diplomatiques, économiques et sécuritaires qui ont, dans les faits, toujours été présentes bien que discrètes.

Cela s’explique notamment par la communauté juive marocaine présente dans les deux pays et qui est estimée à près huit cent mille personnes en Israël. Cet accord mené à l’intérieur d’un cadre initié par Washington ravive d’autant plus les relations historiques entre les États-Unis et le Maroc. Troisième point, la Maison-Blanche a pour projet de s’impliquer davantage sur la scène méditerranéenne, par différents investissements vers les marchés du Sud. Dans ce contexte, le Maroc constitue une plateforme et un allié stratégique essentiel. Par ailleurs, les liens entre les États-Unis, le Maroc et l’Europe sont solides. La chercheuse Khadija Mohsen-Finan rappelle que « sa coopération est jugée précieuse, puisqu’il surveille le détroit de Gibraltar, autorise le survol de son territoire en cas de guerre, et joue un rôle important dans la gestion des flux migratoires, en empêchant l’immigration africaine de passer en Europe ».

A l’aune de ces éléments, le dossier du Sahara occidental est un véritable sujet d’intérêt pour l’Europe qui voue une attention cruciale à la question migratoire, ainsi qu’à la problématique du terrorisme au Maghreb et au Sahel. Depuis le Sommet de La Valette (2015) et la mise en place d’un fond spécial pour traiter la problématique migratoire (Africa Trust Fund ou Fond Fiduciaire en français), Bruxelles déploie des moyens humains, techniques et financiers considérables pour appréhender, avec ses partenaires du sud, les flux migratoires. En Afrique de l’Ouest et au Sahel, plusieurs projets (européens) de coopération sont développés avec l’appui et l’expertise du Maroc. A quoi s’ajoute l’implication croissante de la diplomatie marocaine au Sahel (formation des imams, appui économique et financier). Dans ce contexte, Bruxelles et Paris composent avec ce partenaire stratégique, de retour, par ailleurs, depuis 2017 au sein des instances de l’Union africaine (le Maroc bénéficie également d’un statut de partenaire stratégique auprès de l’OTAN depuis 2016).

Sur ce dossier, la position de la France est sans équivoque et se veut conforme avec celle des Nations unies et du Conseil de Sécurité. Paris défend l’application du cessez-le-feu de 1991 et une solution politique par négociation sur le statut d’autonomie proposé par le Maroc en 2007. Certains élus français vont plus loin et appellent à ce que la France « emboite le pas » de Washington sur le dossier saharaoui, en plaidant la cause du Maroc considéré comme un allié de taille dans la lutte contre le terrorisme islamiste. La tendance semble donc favorable au Maroc, d’autant plus que les relations avec l’Algérie sont historiquement complexes et, c’est le moins que l’on puisse dire, souvent tumultueuses.