Côte d’Ivoire · Un pays entre vulnérabilités et besoin de réconciliation

Charles Millon, ancien ministre de la Défense, co-fondateur et administrateur de l’Institut Thomas More

Mars 2021 • Note d’actualité 74 •


Dans un contexte sécuritaire des plus fragiles en Afrique et face aux velléités françaises, plus ou moins affichées, de se désengager de la zone subsahélienne, les élections législatives du 6 mars prochain en Côte d’Ivoire s’annoncent sous haute tension. Le pouvoir en place doit oser affronter l’opposition, unie pour la première fois, le faire à la loyale et prouver au peuple qu’il est encore souverain. A la veille d’élections cruciales, cette note souligne les fragilités du pays et montre la nécessité d’un scrutin au déroulement exemplaire, au risque de voir cette grande puissance d’Afrique de l’Ouest s’embraser à nouveau. Avec des conséquences qu’on ne mesure pas.


Longtemps les observateurs ont soutenu que le djihadisme et la menace islamiste se limitaient à l’Afrique du Nord et au Sahel, les pays tropicaux se croyant protégés par la barrière de la forêt. Or, force est de constater que c’était une erreur, que l’Islam d’abord, l’islamisme ensuite, le djihadisme enfin ont passé cette barrière et maintenant concernent l’Afrique tropicale et par là même tout le continent.

Alors que le pouvoir algérien avait réussi à l’éliminer après « la décennie de sang », elle est réapparue avec la chute de Mouammar Kadhafi en Libye, dont les puissances occidentales demeurent coupables. La menace djihadiste a pu se répandre aisément dans la zone sahélo-sahélienne dès lors que le seul régime fort de la zone était tombé et que les armements et les financements pouvaient transiter dans le Sahel en toute impunité et se répartir entre l’ensemble des groupes islamistes et terroristes.

Une menace terroriste qui s’étend toujours  plus vers le sud

Au nord Mali, où il a implanté ses premières bases, le terrorisme islamique s’est greffé sur des groupes aux revendications autonomistes anciennes, généralement Touareg mais aussi Peuls, et surtout il s’est métastasé. De la Mauritanie au Tchad et du Mali au nord Cameroun, il prend des formes diverses qui se nomme AQMI (Al Quaida au Maghreb Islamique), État islamique au grand Sahara, Boko Haram ou Daech… Et qu’il soit strictement religieux ou lié au grand banditisme avec des trafics de toute sorte : armes, femmes et jeunes filles, drogues, etc.

Il est préoccupant de constater que le trafic de drogues en provenance d’Amérique latine, qui jusque-là arrivait en Afrique par Bissau et remontait par le Mali avant d’aller vers le nord de l’Europe et le Moyen Orient, cherche à emprunter un nouvel itinéraire en arrivant dans le golfe de Guinée : c’est ainsi qu’il y a dix jours plus d’une tonne de cocaïne en provenance du Paraguay ont été interceptées en Côte d’Ivoire.

Quand on sait que trafic de drogue et terrorisme s’alimentent l’un l’autre, tout cela est alarmant et surtout après avoir entendu AQMI et Daech affirmer que leur prochain objectif était d’atteindre l’océan et en particulier les ports du golfe de Guinée : Cotonou au Bénin et San Pedro en Côte d’Ivoire.

Un défi lancé à tous les pays du continent

Aujourd’hui, une zone grande comme l’Europe et qui s’étend sur le Mali, le Niger, le Burkina Faso est écumé par les groupes djihadistes (Figure 1). Si ces derniers mois, l’armée française et celles des pays africains du G5 Sahel ont multiplié les offensives, en particulier dans la zone dite des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso), si de bons résultats dans la lutte contre le terrorisme ont été enregistrés avec la mort de l’émir d’AQMI, le bilan est toutefois mitigé. L’attentat du 9 août 2020 à Niamey a jeté le doute et chacun s’interroge sur la capacité du Niger à contrer ce terrorisme.

Lors du sommet de N’Djamena des 15 et 16 février dernier, réunissant les chefs d’État du G5 Sahel et leurs partenaires, au premier rang desquels figure la France, Emmanuel Macron a reconnu qu’il ne s’agissait pas de traquer tous les groupes armés de la région, sans quoi « ce serait une guerre infinie », mais de cibler les têtes djihadistes.

Figure 1 Une menace terroriste qui s’étend

Source The Economist, juillet 2020

Le fait que la France ait évoqué un redimensionnement de son engagement laisse entendre en termes diplomatiques, qu’elle envisage un retrait de la région à court ou moyen terme… qui obligera les pays concernés par le terrorisme islamique à mobiliser leur population tout entière contre l’ensemble de la menace djihadiste. Car celle-ci a toujours profité pour s’infiltrer des divisions politiques, des désordres économiques et des tensions sociales, comme on a pu le constater au Mali ou au Burkina Faso. Le défi est donc lancé à tous les pays du continent et notamment à la Côte d’Ivoire, cible toute désignée : une grande frontière commune avec le Burkina, un pays déjà largement gangréné par le terrorisme et deux ports riches et puissants, Abidjan et San Pedro (Figure 2).

Côte d’Ivoire : un pays au bord de la rupture

La Côte d’Ivoire doit d’urgence engager la réconciliation de tous ses habitants pour retrouver la paix civile et la capacité de mobilisation afin de faire face à la menace djihadiste qui se profile de plus en plus sûrement. Or, voilà plus de vingt ans que la Côte d’Ivoire est déstabilisée, tant sur le plan politique que social. En deux décennies, le pays a subi deux coups d’État et vécu une quasi-guerre civile.

Figure 2 Une menace terroriste qui s’étend

Source Adobe Stock, sous licence

Le bel ordonnancement que le premier président Félix Houphouët-Boigny avait réussi à mettre en place et à maintenir a été mis à bas après sa mort. Le pays qui était prospère en étant devenu notamment le premier producteur mondial de cacao, voit aujourd’hui la misère augmenter : près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, le pays souffre d’une immigration non contrôlée et des tensions se maintiennent entre le sud chrétien et le nord musulman. Déjà des milices font régner dans certaines régions un climat de terreur.

Il est donc urgent de garantir la paix civile en favorisant la réconciliation entre tous les Ivoiriens.

Malheureusement, les élections présidentielles du mois d’octobre dernier ont montré combien la démocratie ivoirienne était fragile et captée par des forces aux intérêts autres que nationaux. En se présentant pour un troisième mandat, au mépris de la constitution, Alassane Ouattara a instillé le doute sur la démocratie et le respect des droits de chaque citoyen.

Élections législatives du 6 mars : un rendez-vous capital pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique de l’Ouest

Muée peut-être par le principe de réalité, une nouveauté historique est apparue avec l’alliance entre les deux grands partis d’opposition (le PDCI présidé par Henri Konan Bédié et l’EDS, le parti de Laurent Gbagbo) : ils ont institué une plateforme commune pour présenter un front uni de l’opposition au pouvoir en place avec des candidats uniques dans la majorité des circonscriptions, et offrir ainsi une alternance crédible, permettant aux Ivoiriens de choisir librement et sereinement entre deux politiques.

Cette alliance pose comme préalable la réconciliation nationale, la libération de tous les prisonniers politiques, la veille rigoureuse sur la transparence et la sécurité du scrutin législatif du 6 mars prochain. C’est ainsi que la Côte d’Ivoire pourra rejoindre les démocraties « adultes » d’Afrique telles que le Niger où le Président Issoufou a refusé de briguer un troisième mandat et a ainsi permis l’élection de son dauphin, Mohamed Bezoum.

Mais maintenant que les deux anciens présidents de la République, au travers des deux principales formations politiques d’opposition, ont décidé de présenter des candidats uniques dans la majorité des circonscriptions et de participer soudés aux échéances démocratiques, il est impératif que le scrutin du 6 mars se déroule dans la sécurité et la transparence. Il revient donc à Alassane Ouattara et à la communauté internationale de veiller à la bonne tenue des élections et de s’opposer à d’éventuelles fraudes.

Il est fondamental que des observateurs internationaux soient invités à veiller de près à la transparence du scrutin. Si, comme on le dit, le président Macron recevait Alassane Ouattara cette semaine à Paris, cette demande devrait prendre une forme impérative.

Les élections législatives du 6 mars sont capitales pour la Côte d’Ivoire, bien sûr, mais au-delà pour toute l’Afrique de l’Ouest. Le bon déroulement du scrutin redonnerait force et espoir à une population taraudée par la montée de la pauvreté et inquiète des violences et de l’insécurité grandissantes. Et sans l’adhésion des peuples, la bataille contre l’hydre djihadiste restera infructueuse.

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