De l’interdiction de vendre des véhicules neufs personnels à essence ou au diesel

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

16 mars 2021 • Opinion •


Huit États membres de l’UE ont signé un document à destination de la Commission européenne pressant cette dernière de fixer un calendrier précis d’interdiction progressive de ventes de voitures neuves à usage personnel fonctionnant à l’essence ou au diesel. Cette pseudo progressivité est en réalité un souhait de bannissement rapide de tous véhicules à combustion interne et leur remplacement par des voitures électriques ou à pile à combustible.


Qu’en est-il de ces technologies dites durables aux performances incertaines ? Sont-elles en position de se substituer totalement et rapidement à celles qui ont fait leur preuve depuis de très nombreuses décennies ?

Commençons notre analyse par une considération économique. Il est notoire que le prix des véhicules électriques ou à hydrogène qui sont censées remplacer les véhicules à combustion interne précitées, est prohibitif – deux à trois fois plus élevé, voire davantage (1). La même constatation s’applique aux batteries et à l’hydrogène proprement dit, tous deux au cœur des technologies « durables » proposées. Nous verrons, ci-après, qu’elles ne sont pas aussi « vertes » que le prétendent leurs ardents défenseurs.

Il nous est bien entendu loisible d’imaginer que l’« ingéniosité » des ingénieurs parvienne rapidement à diminuer drastiquement ces coûts, à augmenter l’autonomie trop faible des voitures électriques et à réduire l’impact des basses températures sur la performance des batteries. Mais même dans ce cas, tout n’est pas résolu pour autant ! Deux difficultés majeures subsisteraient si le parc de véhicules personnels devenait très largement, voire totalement vert : la disponibilité d’infrastructures adéquates, d’une part, et les quantités suffisantes d’énergie électrique requises pour recharger les batteries des véhicules électriques et d’hydrogène pour ravitailler les voitures à pile à combustible (pour autant que cette technologie devienne suffisamment compétitive pour pénétrer le marché), d’autre part. Une analyse quelque peu plus approfondie est nécessaire pour mieux cerner l’amplitude du problème.

Le problème des stations de recharge électrique

Commençons par les stations de recharge électrique. Elles sont très peu nombreuses et mal distribuées sur le territoire européen, même en Allemagne pourtant à la pointe de la mobilité « verte ». Les réseaux de distribution sont à ce point lacunaires que les constructeurs, voire les entreprises qui investissent dans une flotte de voitures électriques de société, sont contraints de financer eux-mêmes les bornes de recharge pour vendre leurs voitures ou permettre à leurs employés de les utiliser, alors qu’il s’agit d’une responsabilité des pouvoirs publics. C’est une approche typique des politiques vertes : commencer par subventionner ce qui est conforme à leurs objectifs (ici, les voitures dites propres) pour éliminer plus facilement ce qui n’en fait pas partie (les voitures à essence et diesel) sans se préoccuper des conséquences de leurs décisions.

En outre, il faut prévoir les infrastructures requises pour livrer l’électricité là où elle est nécessaire. Sont concernées tant les bornes publiques parfois éloignées des réseaux de distribution existants que les bornes situées dans des garages, des parkings de centres commerciaux ou d’entreprises, pas nécessairement connectées de manière adéquate pour l’usage. Est-il bien raisonnable de précipiter le développement de la mobilité verte telle que conçue actuellement ?

Le problème de la production électrique

Quant à la production d’électricité, amputée en Belgique d’une partie de ses centrales nucléaires dès 2022 et de la totalité en 2025 (précisément au moment où elles seraient les plus nécessaires), elle ne pourra pas répondre à la demande électrique résultant de la pénétration accélérée des véhicules électriques sans de nouvelles centrales à gaz d’une capacité totale nettement supérieure à celle qui est prévue pour compenser la fermeture du nucléaire, d’autant plus que la capacité annoncée pour cette compensation est déjà très insuffisante. Un bel exemple d’incohérence : l’interdiction de voitures émettrices de gaz à effet de serre (GES) conduit à l’augmentation importante de génération d’électricité thermique émettrice de ces gaz abhorrés.

À titre d’exemple, au Royaume-Uni, en l’absence de combustible fossile et sans une forme de stockage d’énergie à très grande échelle, les énergies renouvelables devraient produire de l’ordre de 250% de la demande de pointe en hiver pour satisfaire la consommation de transport durable et de chaleur avec installation généralisée de pompes à chaleur, alors que le solaire et l’éolien généraient, en 2020, environ 25% des besoins électrique au milieu de l’été (2) !

Notons, en passant, qu’il y a peu de chance que la capacité électrique supplémentaire requise soit disponible à temps vu le nombre de milliers de mégawatts (MW) requis. Ils sont d’autant plus élevés que le nombre de bornes à recharge rapide, de 50 à 100 kilowatts (kW) selon la vitesse de recharge, est plus important. Il en résulterait que la pénétration des véhicules électriques requérant des aides financières et fiscales massives, serait fortement ralentie vu le déficit d’électricité nécessaire à la recharge des batteries.

C’est ce que confirme Akio Toyoda, le président de Toyota, en disant que si les véhicules électriques sont adoptés trop rapidement, le Japon ne disposera pas de l’énergie nécessaire pour les fréquentes recharges. C’est ce à quoi doit s’attendre le président Biden s’il met immédiatement à exécution sa volonté de remplacer la flotte de voitures gouvernementales par des véhicules électriques, c’est-à-dire 643 000 véhicules.

Outre les problèmes d’infrastructures et d’approvisionnement d’énergie électrique, la disponibilité des minerais nécessaires à la fabrication des batteries est également problématique.

Le problème des minerais nécessaires à la fabrication des batteries

Une seule batterie lithium ion de 1 000 livres contient, entre autres, environ 25 pounds de lithium, 30 de cobalt, 60 de nickel, 110 de graphite et 90 de cuivre. La production globale actuelle de ces minéraux est concentrée dans un nombre limité de pays : le cobalt en République démocratique du Congo (60% de la production mondiale), le lithium en Australie et au Chili (respectivement 60% et 19%), le manganèse, en Afrique du Sud et en Australie (respectivement 30% et 17%) et le graphite naturel en Chine (68%).

La production de ces minerais clés requiert environ 90 000 pounds de minerais et le déplacement d’une moyenne de 500 000 pounds de terre. La fabrication d’une seule batterie consomme une énergie équivalente à 100 barils de pétrole. En outre, des terres rares tels que le néodyme, sont utilisées dans la fabrication des rotors des moteurs électriques (3).

Étant donné le besoin de quantités énormes de métaux dont certains sont rares, comment peut-on envisager une mobilité entièrement électrique ? Ainsi, si le Royaume-Uni remplaçait la totalité de sa flotte de véhicules par des véhicules électriques et en supposant l’utilisation de batteries les plus frugales de nouvelle génération, les trois quarts de la production mondiale de carbonate de lithium, la totalité de la production de néodyme et plus de la moitié de celle de cuivre seraient nécessaires (4).

En outre, l’extraction et le traitement des minerais contenant les métaux nécessaires au bon fonctionnement des batteries posent de graves questions éthiques. C’est le cas, par exemple, du cobalt : selon un rapport récent des Nations-Unies de nombreuses mines de cobalt, en République du Congo, emploient de très jeunes enfants sans équipements adéquats pour des tâches extrêmement dangereuses. De même pour le lithium : l’exploitation des très grands gisements situés dans le nord du Chili, une des régions les plus désertiques du monde (désert d’Atacama), consomme de très grandes quantités d’eau au détriment des activités fermières locales (culture de quinoa et élevage de lamas).

Enfin, il est bon de rappeler que la moitié des émissions de GES durant le cycle de vie d’un véhicule électrique provient de l’énergie consommée pour l’extraction et le traitement des minerais dont question ci-dessus. Avant son utilisation, un véhicule électrique neuf est déjà responsable d’une émission de 30 000 pounds de GES, au lieu de 14 000 pour un véhicule conventionnel (5).

Le problème de l’hydrogène

Un autre type de véhicule considéré comme « propre » est celui qui utilise une pile à combustible générant de l’électricité à partir d’hydrogène, à condition toutefois que ce dernier soit « vert », c’est-à-dire que l’électrolyseur, servant à sa production, soit alimenté en électricité renouvelable. Cette technologie n’en est qu’à ses débuts. Elle souffre de défauts similaires à ceux des voitures électriques : des prix prohibitifs pour la grande majorité des citoyens, une disponibilité incertaine, voire illusoire, d’hydrogène en quantités suffisantes à des prix compétitifs, un déficit temporel de stations de remplissage en nombre suffisant sur tout le territoire et l’utilisation de métaux rares.

L’hydrogène présente des risques spécifiques : une propension à s’échapper à travers des parois étanches à l’eau et aux gaz, facilitée par sa basse viscosité et son faible poids moléculaire ; un danger d’explosion et d’incendie dû à son extrême inflammabilité ; la fragilisation des métaux et des alliages par altération de leurs propriétés mécaniques ; des réactions explosives en présence de quelques molécules dans des conditions spécifiques (lumière, chaleur, énergie dégagée par des turbulences).

Ces propriétés font de l’hydrogène une des substances les plus dangereuses à manipuler. Dans un environnement industriel, cela ne pose pas de problème majeur, du fait le professionnalisme des opérateurs et les normes de sûreté et de sécurité spécifiques mises en place. Mais la situation est fort différente lorsqu’il s’agit de véhicules à hydrogène et de stations-service : il n’y a pas de réglementations aussi strictes, de protocoles aussi rigoureux pas plus que de formations professionnelles. Peut-on négliger de prendre en considération cette réalité avant de se lancer dans une production massive de voitures à hydrogène ?

Il n’en reste pas moins que de nombreux constructeurs européens, américains et asiatiques se sont lancés dans le développement de ce type de voiture. Plusieurs voitures à pile à combustible sont déjà arrivées au stade de la commercialisation, dont la Toyota Mirai à pile à combustible (154 chevaux) et la sud-coréenne Nexo de Hyundai. Toutes deux ont une grande autonomie et sont à recharge rapide à la différence des véhicules électriques.

Le déploiement de cette technologie requiert des aides financières publiques (donc à charge des contribuables) très importantes, voire excessives, pour convaincre les automobilistes de se convertir à la mobilité « durable », entre autres : les primes à l’achat et à la casse, les bonus écologiques et les réductions de la TVA. Vu qu’on est au début d’un processus, il est vraisemblable que cette contribution publique durera de nombreuses années.

Ces dépenses considérables aboutiront-elles à une technologie compétitive et performante et permettront-elles une production de masse ? La mobilité à partir d’hydrogène sera-t-elle rentable ? L’industrie de la voiture électrique se développera-t-elle comme l’espèrent leurs promoteurs ? Quid de la disponibilité des matériaux et de l’énergie en cas de production massive ? Dans quelle mesure le marché européen dépendra-t-il de fournisseurs asiatiques, avec quels risques ? Les deux systèmes de propulsion peuvent-ils coexister ? L’un ne va-t-il pas déplacer l’autre ? Beaucoup de questions (discutées dans cet article), autant d’incertitudes.

Dès lors, est-il bien raisonnable de précipiter le développement de la mobilité verte telle que conçue actuellement ?

Notes •

(1) A titre d’exemple, le prix de la Toyota Mirai (voiture à hydrogène de 154 ch) est de 79 900 euros. Elle n’a été acquise que par quelque 800 automobilistes en Europe et 11 000 dans le monde. Si les prix restaient très élevés, seuls ceux pouvant s’offrir cette technologie, c’est-à-dire les plus riches, bénéficieraient des subventions et autres avantages associés à de tels achats.

(2) Michael Kelly, Electrifying the UK, and the want of engineering, The Global Warming Policy Foundation, mai 2020, disponible ici.

(3) Mark Mills, Mines, Minerals, and « Green » energy: A Reality Check, Manhatten Institute, juillet 2020, disponible ici.

(4) Michael Kelly, Electrifying the UK, and the want of engineering, op. cit.

(5) Troy R. Hawkins, Bhawna Singh, Guillaume Majeau‐Bettez, Anders Hammer Strømman, « Comparative Environmental Life Cycle Assessment of Conventional and Electric Vehicles », Journal of Industrial Ecology, Volume 17, Issue 1, février 2013, disponible ici.