La pandémie a contribué à favoriser un capitalisme de plateformes

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

4 mai 2021 • Opinion •


Alors qu’Amazon a annoncé le triplement de ses bénéfices nets au premier trimestre 2021, Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More, analyse les raisons de ce succès et s’inquiète du risque que représente le développement de ce nouveau capitalisme.


On a dit des GAFAM qu’ils étaient les grands gagnants d’une économie confinée, réduite aux échanges électroniques et virtuels, aux réseaux sociaux, aux vidéoconférences ou encore aux achats commerciaux. De ces géants numériques, Amazon était déjà l’un des plus conquérants avant le Covid, et sans nul doute la pandémie a accéléré son développement, certains clients abandonnant les achats dans des boutiques au profit de sa plateforme en ligne. Or la pandémie reflue, notamment sur le marché cœur d’Amazon, aux États-Unis, et on aurait pu ainsi (à l’instar des derniers résultats de Netflix) constater un fléchissement du géant du e-commerce.

Force est de constater que, bien au contraire, le mastodonte de Seattle sort renforcé dans une période post-covid où de nouvelles habitudes de consommation, stimulées par la crise sanitaire, ont pris définitivement ancrage. Ainsi, les derniers profits d’Amazon attestent de plusieurs phénomènes.

En premier lieu, la poursuite d’une croissance de ses ventes, à près de 44%, non seulement dans son cœur de marché d’e-commerce, mais aussi dans les services cloud (+64%) ou encore la publicité (+77%). À l’exception de sa plateforme de streaming, toutes ses activités ont dépassé les records du premier trimestre 2020. Certes, on peut estimer que ce taux atterrira plus rationnellement à 15% l’an prochain mais Amazon est dans un duo d’années qui l’ont vu d’abord solidifier sa place de leader du e-commerce (12% de part de marché mondial, ce qui laisse une bonne marge de progression à l’entreprise, en sus de la croissance du secteur à proprement parler, en particulier au détriment du commerce physique traditionnel), puis capter de nouveaux clients avec de nouveaux usages dus à la pandémie.

Nous savons désormais qu’un client qui a découvert le e-commerce avec la pandémie ne va pas revenir en arrière et abandonnera progressivement les boutiques physiques. Le second point important à noter est l’arrivée d’un certain âge de la maturité pour Amazon. Longtemps, l’entreprise a tout sacrifié, y compris ses marges, pour la croissance à tout prix : ce premier trimestre 2021 est marqué par une croissance de 44% des revenus mais un triplement des profits et, donc, une attention nouvelle aux coûts. Cette performance est d’autant plus salutaire que l’entreprise a continué à embaucher et a recruté 500 000 collaborateurs au cours des douze derniers mois, devenant ainsi l’un des premiers employeurs au monde.

On aurait tort d’attribuer ces chiffres mirifiques à la seule pandémie. Amazon a d’abord essentiellement balayé toute concurrence d’ampleur dans le e-commerce, que ce soit au niveau de son activité de vente directe que pour sa plateforme de vente pour tiers (Ebay et Alibaba sont les seuls concurrents d’envergure ici). Mais Amazon n’a presque plus besoin de gagner des parts de marché, il lui suffit de suivre la croissance endogène naturelle du secteur. Et les relais de croissance sont nombreux après des années d’investissement à perte : les services web et cloud pour les entreprises (un marché où l’entreprise soutient la concurrence avec Microsoft et Google) mais surtout la publicité, qui est un relais assez naturel de son activité e-commerce, avec des synergies clients et la facilité de placement sur ses sites, parmi les plus visités. La pandémie aura été un accélérateur, un catalyseur de tendances préexistantes, qui donnent la prime à un capitalisme de plateformes.

C’est peut-être d’ailleurs le mot le plus adéquat pour désigner le capitalisme d’après la pandémie et le différencier d’anciens capitalismes dits « industriel » ou « financier ». A dire le vrai, malgré les embauches conséquentes, au regard de la destruction de valeur dans des secteurs plus traditionnels (commerces, boutiques, grande distribution), il n’est pas sûr que ce capitalisme-là soit générateur de stabilité : c’est plus d’un capitalisme participatif, avec création de valeur pour beaucoup d’acteurs par capillarité, que de ce capitalisme où le vainqueur remporte la mise (modèle « winner takes all », comme disent les économistes), dont nous aurions crucialement besoin en sortie de pandémie.