Le régime d’insolvabilité des entreprises doit être revu

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

7 mai 2021 • Opinion •


Sébastien Laye plaide dans Le Monde pour une réforme en profondeur du régime des faillites et des reprises d’entreprises avant la vague de défaillances qui s’annonce à la suite des mesures de lutte contre le Covid-19.


Après un recul du produit intérieur brut (PIB) de près de 8,3 % en France en 2020 (contre une moyenne de 6 % en zone euro et 3,6 % aux Etats Unis), le rattrapage économique de la crise du Covid-19 prendra de nombreux mois, probablement plus d’un an, pour revenir au niveau d’avant. Soutenues artificiellement pendant la crise sanitaire, de nombreuses petites entreprises sont menacées par la faillite, voire la liquidation pure.

La société d’assurances Euler Hermès estime à 45 000 les faillites en 2021 quand l’activité des tribunaux de commerce reprendra véritablement, et encore à 62 000 en 2022, menaçant ainsi 250 000 emplois sur une bonne partie de la décennie. Alors que nous rentrons dans un nouveau cycle délétère de faillites, il faut poser la question de la performance de notre système actuel de gestion des entreprises en difficulté. Est-il susceptible d’éviter des liquidations et des destructions d’emplois ? Faut-il maintenir en vie les « entreprises zombies » ou au contraire les restructurer ?

Le constat actuel est plutôt accablant et ne laisse rien augurer de bon pour l’après-crise si les pouvoirs publics ne se saisissent pas du sujet. La Banque mondiale classe le « régime d’insolvabilité » français (l’ensemble du droit permettant de restructurer et sauver les entreprises en difficulté) au 26e rang mondial, derrière la plupart de nos voisins européens. Une mission confiée par le gouvernement à l’expert financier René Ricol recommande une remise à plat complet du système, comme l’indique son rapport final remis le 22 avril.

Mieux inclure les créanciers

Notre pays est en particulier peu favorable aux créanciers, qui ne prêtent aux entreprises que s’ils ont des garanties de récupérer leur mise initiale. Ils ont peu de pouvoir de proposition face aux actionnaires, et les procédures de prévention des difficultés ont tendance à les exclure. Cela posera un problème face au fardeau des prêts garantis par l’Etat (PGE) : l’Etat peut annuler des dettes, mais les créanciers ainsi lessivés ne prêteront plus lors du prochain cycle de croissance.

Nous devrions mettre en place un système équivalent au fameux « Chapitre 11 » américain du code du commerce américain qui permet de restructurer rapidement une entreprise en difficulté, par exemple par conversion de la dette en fonds propres, et d’assurer ainsi le maintien de l’activité. Trop souvent nos entreprises partent en liquidation ou en redressement judiciaire, alors que nous pourrions développer et étendre les outils de prévention des difficultés, mieux inclure les créanciers dans les plans de restructuration, leur donner de vrais pouvoirs d’initiative, au lieu de laisser les seuls actionnaires s’enfermer bien souvent dans le déni des réalités.

Notre système actuel est aussi critiqué par tous ceux qui tentent de racheter des entreprises en défaillance. En France, le sort de l’entreprise qui va mal est décidé au tribunal de commerce par un juge, le « juge consulaire ». Ce dernier désigne un administrateur judiciaire, qui doit épauler le dirigeant de l’entreprise et un mandataire judiciaire qui représente les intérêts des créanciers. Ce dispositif est critiqué de toute part : manque de transparence des tribunaux de commerce, accusation de connivence, opacité des procédures… Il est plus que temps, tout en continuant de s’appuyer sur la justice consulaire, de revoir les modalités de rémunération des mandataires et administrateurs, d’assurer la pleine concurrence dans ces métiers, et surtout d’élargir le champ des repreneurs possibles : aujourd’hui, si on ne connaît pas le tribunal de commerce local et les administrateurs judiciaires, on n’a guère de chances de pouvoir racheter des entreprises en difficulté.

Etendre la garantie des salaires

Enfin, une réforme du système devrait mieux protéger les salariés : notre fierté nationale est aujourd’hui le système de garantie des salaires. L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) avance les salaires et se rembourse ensuite quand les actifs de la société sont vendus. Elle est prioritaire lors de ces ventes.

Mais ce système est aujourd’hui menacé par un projet du gouvernement. Une ordonnance présentée par le gouvernement en février 2021 dans le cadre de la transposition d’une directive européenne prévoit de rétrograder l’AGS dans l’ordre des versements. L’AGS serait payée après les autres, notamment les administrateurs judiciaires… Voilà un bien mauvais timing pour une telle ordonnance alors que la crise sanitaire va multiplier les faillites. Il faudrait au contraire étendre la garantie des salaires aux procédures collectives, et surtout permettre aux indépendants d’en bénéficier. Alors même qu’on a, à juste titre, encouragé l’entrepreneuriat en France, cette population sera en effet la plus démunie face aux faillites du Covid-19.