Macron, Napoléon et l’« étrange mélancolie » française

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, membre du groupe de travail Famille de l’Institut Thomas More

13 mai 2021 • Opinion •


« Commémorer » l’épopée napoléonienne sans la « célébrer » : que reflète cette prudence sémantique ? Est-ce la crainte de quelque exubérance vaniteuse ? Confrontée aux dures attaques des « études décoloniales », s’incline et s’accuse plutôt que de soutenir le débat, alors qu’elle pourrait souligner leur anachronisme, leur partialité, etc. Mais la repentance l’emporte sur la réflexion.

L’analogie est frappante avec ce que, dans le vocabulaire psy, on appelle la « psychose mélancolique » : ployant sous des auto-reproches, le patient sombre dans une grave dépression. Dans son essai Deuil et mélancolie (1915), Freud explique qu’il s’agit là d’un deuil pathologique : une voix intérieure accusatrice (le « surmoi »), sourde à tout argument rationnel, lui fait grief de n’avoir pas été le bon enfant attendu, le livrant au désespoir.

La France sombre-t-elle dans une « étrange mélancolie » ? Il y a un siècle, elle diffusait ses découvertes et sa culture depuis son empire planétaire. Est-elle aujourd’hui gagnée par un doute de demeurer une puissance parmi les grandes nations ? De Gaulle incita à tourner la page de l’empire, lui qui, prenant appui sur lui dans la tourmente, ensuite géra l’émancipation des colonies. Mais entonnant au pays rasséréné la « romance de sa grandeur », il lui permit de se tourner vers l’avenir, le conduisant vers une politique audacieuse et indépendante : un deuil surmonté.

C’est la voie dont ses successeurs se sont détournés, dépossédant le peuple français de sa culture en l’envahissant des principes « sociétaux » de la manière américaine ; ainsi Emmanuel Macron préconisant de rendre « diverse » la culture française (6 février 2017), autrement dit soumise au principe « diversitaire » importé des États-Unis où « la diversité » est l’essence historique du lien social. Or, la culture française s’est édifiée sur un socle unitaire, enrichie de greffons de provenances variées, selon un fructueux processus d’intégration, tout aussi accueillant aux apports divers mais différent.

Emmanuel Macron, en « surmoi » dépréciateur, dicte au pays « la romance de son indignité », taxant la colonisation de « crime contre l’humanité » (février 2017), plaidant de « déconstruire » l’histoire (avril 2021). Est-il en colère contre les « Gaulois réfractaires » (août 2018), qui répugnent à l’américanophilie qu’il prétend leur imposer ?

Ce qui est écarté par la seule « commémoration » napoléonienne, plutôt que sa « célébration », c’est la fierté d’être Français. Or, de même que parents et enfants ne font une famille que depuis une fierté partagée de la constituer ensemble, de même un peuple ne forme une nation que depuis une fierté qui scelle le lien commun. Refuser de proclamer cette fierté, donc de « célébrer » une page d’histoire, c’est bafouer le lien national.

Fierté n’est pas vanité : la fierté est le ciment du lien, elle n’exclut personne, elle crée la communauté, accueillante à quiconque la partage. Le remède à la mélancolie du pays, c’est l’enracinement dans la culture française.