Emmanuel Macron veut faire une autre réforme des retraites que celle prévue initialement · Oui, mais laquelle ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

5 juin 2021 • Entretien •


La réforme des retraites, en suspens depuis le début de la crise sanitaire, ne pourra pas « être reprise en l’état », a prévenu Emmanuel Macron. Sans donner de précisions sur les contours d’un éventuel nouveau projet de réforme.


Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne pensait pas que la réforme des retraites puisse être « reprise en l’état », évoquant des « inquiétudes » autour du texte. Est-ce une façon d’avouer que ce texte est plus guidé par l’opinion que par la rationalité ?

Il s’agit surtout d’avouer (enfin) que sa promesse de 2017, certes vague, d’un big-bang des retraites avec la mise en place d’un système de retraites par points, était irréaliste et inenvisageable. Simple slogan de campagne (deux lignes dans son programme), il a été repris par Edouard Philippe, quand fut porté sur les fonts baptismaux cette réforme, comme un prétexte pour aligner les différentes caisses, et puiser chez les vertueux pour tenter de rétablir l’équilibre financier de l’ensemble. Justification morale (tout le monde devrait être logé à la même enseigne) ou budgétaire (en allant ponctionner l’argent là où il s’en trouve encore comme, par exemple, dans la caisse des avocats), il n’en demeure pas moins que jamais une réforme systémique des retraites n’a été présentée sous le quinquennat Macron.

L’opposition syndicale au texte ne provenait bien sûr pas de ce point, mais des économies faites par la traditionnelle méthode du rabot. On s’est enivré de grands slogans pour une micro-réforme purement comptable, qui n’a jamais eu la moindre chance de sauver nos retraites sur le moyen ou le long terme. Aujourd’hui, après l’interruption de cette réforme due au Covid, le véritable obstacle est plus politique : à un an de la présidentielle, il paraît audacieux de relancer la réforme; mais en même temps, s’il ne fait rien, c’est en fini de l’image du Macron réformateur. Vous avez donc raison, nous sommes ici loin de toute rationalité économique.

Si Emmanuel Macron décide d’une réforme au rabais, ne risque-t-on pas de perdre l’intérêt intrinsèque du projet de base ? Vers quoi se dirige le président ?

Je crains de mettre en jeu un peu de ma crédibilité en vous affirmant que nous ne perdons pas grand-chose vu ce que je viens de dire sur la coquille vide du texte initial… et que, de toute façon, Macron va pratiquer son oxymore habituel. D’un côté, la grande et bien vague réforme par points sera abandonnée ou repoussée à un second mandat. De l’autre, afin de pouvoir continuer à se présenter comme un « président réformateur » et donner des gages aux milieux d’affaires le soutenant toujours, il va peut-être modifier certains paramètres du système : alignement de certaines caisses et peut-être un léger recul de l’âge de départ à la retraite pour certains. Le système des retraites ne sera pas sauvé mais le président de la République pourra dire qu’il a « tout tenté »… comme les dix gouvernements avant celui-ci qui se sont prétendument attaqués au sujet.

Vu l’état actuel de l’économie, quelle réforme des retraites serait la meilleure et la plus viable ?

Un système de retraites par points serait irréaliste et sans intérêt. Les réformes traditionnelles des retraites menées en France, plutôt par la droite, sont dites « paramétriques » : on touche certaines variables, comme l’âge de départ à la retraite, ou on demande aux Français de cotiser plus. Ces approches sont en train de crouler sous les déséquilibres financiers du régime et la volonté d’autonomie des plus jeunes et des indépendants, qui ne se sentent plus liés par le système de retraite par répartition. Il faut rappeler que ces déséquilibres financiers n’existent pas que du fait de la démographie, mais surtout à cause du chômage car nous n’avons pas assez de cotisants par rapport aux retraités. Avec un chômage stabilisé autour de 6%, la question des retraites ne se poserait pas.

En attendant, et pour sauver le système mais aussi la conception du travail pour les jeunes, il faut développer la capitalisation à côté de notre socle de répartition : nous venons par exemple de passer à côté d’un fabuleux cycle de création de valeur dans les start-ups et la Bourse qui auraient pu renflouer nos caisses de retraite. Les indépendants, en particulier, doivent avoir le choix et pouvoir décider de moins cotiser dans le système de retraite par répartition pour investir leur épargne dans une partie de retraite par capitalisation. L’Etat doit se désengager de la gestion des systèmes de retraite des non-fonctionnaires.