Impôt mondial · Il faut reconnecter l’économie dématérialisée aux systèmes fiscaux nationaux

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

8 juin 2021 • Opinion •


La création d’un impôt mondial sur les grandes multinationales a été annoncée à l’issue du sommet rassemblant les ministres des finances du G7. Sébastien Laye décrypte les enjeux d’une mesure visant à lutter contre les paradis fiscaux et à taxer les géants du numérique.


Les ministres des finances des pays du G7 ont annoncé la mise en place d’un taux d’imposition mondial sur les grandes multinationales. Beaucoup saluent une décision « historique », partagez-vous cet avis ?

Si on se place du point de vue de l’objectif de lutte contre les paradis fiscaux, il s’agit d’un moment historique. On ne le doit pas malheureusement aux efforts de la France, à la coordination au sein du G7 (chacun est allé de sa petite taxe numérique ou sur les transactions financières ces dernières années, sans grande efficacité), mais à la seule surpuissance américaine qui dès l’arrivée au pouvoir de Biden a mis en exergue sa propre réforme. Paradoxalement elle suit celle de Trump qui avait déjà encouragé les entreprises américaines à rapatrier certains profits internationaux contre une taxe unique et relativement indolore (ce qui a ramené 1 000 milliards de profits d’entreprises aux USA). Biden parachève cette relocalisation fiscale même s’il demeure un écart entre cet impôt théorique minimum (15%) et le taux américain, qui va remonter vers 25-30% d’après ses projets.

Cette réforme s’attaque surtout aux géants du numérique qui enregistrent des boîtes fiscales dans des paradis fiscaux : il s’agit de rapprocher le lieu des profits de leur imposition, en rendant moins efficace le dumping fiscal. L’accélération de ce sujet en quelques mois est inédite en matière de réforme fiscale internationale, mais elle émane de la numérisation et de la dématérialisation de nos économies durant le Covid.

Ce taux d’imposition a pour l’instant été fixé à 15%. Est-ce susceptible de freiner la course aux baisses d’impôt et de permettre une lutte efficace contre les paradis fiscaux ?

Certains, comme Oxfam, déplorent un taux trop bas. Je salue au contraire cette décision de bon sens, car un État a le droit, pour asseoir sa compétitivité, attirer des investissements, d’avoir un taux relativement faible, comme l’Irlande le fait par exemple. Entre ce taux à 15% et les 32% (tout compris) français, il y a une marge de manœuvre pour divers modèles. Par ailleurs, il ne faut pas surestimer le rôle de l’impôt sur les sociétés dans nos recettes fiscales françaises, par exemple : à 35 milliards d’euros, l’impôt sur les sociétés représente beaucoup moins que la TVA, la CSG, ou l’impôt sur le revenu. Et en même temps, le seuil de 15% est assez élevé pour détruire le concept de paradis fiscal. Il s’agit juste de reconnecter une économie dématérialisée à des systèmes fiscaux encore trop ancrés dans l’activité physique.

Les ministres des finances du G7 ont aussi expliqué dans leur communiqué vouloir une meilleure répartition des droits à taxer dans le monde. Concrètement, que signifierait une telle mesure ?

Cette mesure concerne les entreprises numériques, qui localisent par exemple leurs profits en Angleterre aux îles Vierges. Il s’agit de mieux lier le lieu de l’activité économique avec un système fiscal national. Il aurait été inefficace pour les Américains de dire par exemple que les profits d’un Google enregistrés aux Pays-Bas pour une activité en France devraient être taxés par les États-Unis parce que l’entreprise est américaine historiquement. La répartition des droits à taxer n’est pas encore parachevée, mais l’idée est bien, quel que soit le lieu de domiciliation, de rattacher les profits au territoire où ils sont réalisés, et ce faisant au système fiscal de ce pays du chiffre d’affaires.

Alors qu’un sommet du G20 se tient en juillet, pensez-vous que les pays du G7 parviendront à faire adopter cette mesure à d’autres pays, et notamment à la Chine ?

La Chine ne pratique pas de dumping fiscal, en bonne héritière du PC chinois, et n’a donc aucun intérêt à s’y opposer. D’autres États pourraient être plus récalcitrants mais l’engagement fort des États-Unis sur le sujet pèsera lourd. Il s’agit de toute manière d’un cycle de négociation fiscale qui ne fait que s’ouvrir à l’échelle mondiale, et durera plusieurs années.