Face à la menace chinoise, les pays du G7 doivent repenser leur stratégie géopolitique

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

10 juin 2021 • Opinion •


Les pays membres du G7 se réuniront en Angleterre du 11 au 13 juin. Ce sommet doit être l’occasion de redéfinir la stratégie géopolitique de l’Occident à l’aune de la montée en puissance de la Chine, explique Jean-Sylvestre Mongrenier.


Le prochain sommet du G7 se tiendra du 11 au 13 juin, à Carbis Bay, dans le Sud-Ouest de l’Angleterre. Pour le Royaume-Uni, le défi porte sur la traduction concrète  du projet de « Global Britain », celui-là même qui a inspiré le Brexit. En vérité, les enjeux dépassent les seuls objectifs politiques du pays-hôte. Ce G7 doit permettre à l’Occident de renouveler son système d’alliances.

Fondé au milieu des années 1970, sur la base d’une initiative française, le G7 regroupe les grands pays développés à économie de marché de l’Atlantique Nord – les Etats-Unis, le Canada, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie -, ainsi que le Japon, puissance d’Asie-Pacifique. Dans l’après-guerre, ce dernier est devenu un membre honoraire de l’Occident.

Quand le Conseil de sécurité des Nations unies était bloqué par la rivalité Est-Ouest, et l’Assemblée générale dominée par une coalition de pays du tiers-monde hostiles au monde occidental, l’enjeu était de disposer d’un lieu au sein duquel il serait possible de mener une diplomatie de club, centrée sur les questions monétaires, financières et économiques.

Après la Guerre froide, ce « club » à l’atmosphère feutrée s’est laissé gagner par les mœurs de la société du spectacle et du show-business politique, ce qui a pu nuire à son action. Par ailleurs, le pari de la transformation de la Russie post-soviétique en une démocratie libérale, celle-ci rejoignant les puissances occidentales au sein d’un « G7+1 », a été perdu. Après que le Kremlin a rattaché manu militari la Crimée, début 2014, le « club » est revenu à sa composition antérieure.

Loin d’être obsolescent, le G7 se révèle d’autant plus indispensable à la coordination des politiques occidentales que les équilibres de puissance et de richesse se déplacent vers l’Orient. Le déploiement de puissance de la Chine populaire à l’échelon mondial et les convergences croissantes entre puissances révisionnistes ont pour but explicite de liquider la séculaire hégémonie de l’Occident dont les Etats-Unis ne sont jamais que les héritiers géopolitiques.

En ces années décisives, il importe de comprendre la nécessité pour l’Occident d’élargir ses alliances, notamment dans la zone Indo-Pacifique où, le projet chinois de « nouvelles routes de la soie » menace la liberté de navigation et la sécurité de grandes routes maritimes, vitales pour la prospérité de l’Europe. Déjà, l’appropriation partielle de la mer de Chine du Sud (la « Méditerranée asiatique »), donne corps à cette menace. Aussi doit-on se féliciter que le gouvernement britannique ait eu le bon goût de convier l’Australie, la Corée du Sud et l’Inde à Carbis Bay.

Il est certes loisible de discuter sur l’intérêt ou non de transformer ce « club » aux règles éprouvées en un D10 (D pour « démocraties ») ; un « G7+ », à géométrie variable, peut sembler préférable. Corrélativement, un autre débat porte sur la possibilité, pour la France et le Royaume-Uni, de rejoindre le Quad Indo-Pacifique, ce « format » associant les Etats-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde. Une certitude s’impose : il faut contenir les ambitions de Pékin, et donc jeter l’ancre dans l’Indo-Pacifique.

Au vrai, la France est à demeure dans ce vaste ensemble spatial. Avec ses territoires outre-mer et les neuf-dixièmes de son domaine maritime (le deuxième au monde), elle est bel et bien une puissance de l’Indo-Pacifique. Ce fait géopolitique se traduit par un resserrement des coopérations militaires, industrielles et technologiques avec les pays membres du Quad.

Dans la zone Indo-Pacifique, les choix diplomatico-stratégiques opérés par New-Delhi seront décisifs. Trop longtemps, l’« oubli de l’Inde », sur le plan philosophique, a eu son corollaire géopolitique, ce pays apparaissant comme un mastodonte démographique oscillant entre neutralisme et philosoviétisme, accaparé en définitive par ses problèmes internes. Plus que jamais, l’Inde doit faire face aux ambitions de la Chine populaire, alliée au Pakistan, sur ses frontières himalayennes, en Asie du Sud et dans l’océan Indien.

Il est donc bon que les capitales occidentales renforcent leurs liens avec New-Delhi, tant sur le plan bilatéral que multilatéral. Sur ce point, la question d’un « partenariat global » entre l’OTAN et l’Inde devrait être discutée lors du sommet atlantique qui suivra (Bruxelles, 14 juin 2021). Outre le développement des coopérations militaro-industrielles et des exercices militaires, un tel partenariat renforcerait le flanc ouest de l’Inde et les approches maritimes du Moyen-Orient.

De fait, l’importance des enjeux en Asie du Sud et de l’Est ne saurait être le prétexte à se détourner de ceux du Moyen-Orient. Cette région s’intercale entre l’Atlantique et son prolongement méditerranéen d’une part, la zone Indo-Pacifique de l’autre. Hautement stratégique, ce carrefour terrestre et maritime est le théâtre de fortes rivalités géopolitiques.

Déjà allié à la Russie, l’Iran se rapproche de la Chine populaire. Conclu en juillet 2020, un pacte de coopération stratégique prévoit, en contrepartie d’un accès préférentiel au pétrole et au gaz iranien, d’importants investissements chinois dans l’énergie, les infrastructures, les télécommunications et la cybersécurité. Un volet est consacré au renseignement militaire. L’aide conjointe de Pékin et de Moscou pourrait bientôt limiter l’efficacité de la guerre de l’ombre menée contre le programme nucléaire iranien.

Sauf à accepter l’idée d’un déclin inéluctable, les Etats-Unis et leurs alliés européens seraient donc bien avisés de soutenir l’axe entre Israël et les Etats arabes signataires des accords d’Abraham (2020), une condition essentielle pour stabiliser le Moyen-Orient. Bien entendu, cela n’irait pas sans contreparties quant au niveau des relations que ces pays entretiennent avec Pékin. En somme, la lutte pour une région Indo-Pacifique libre et ouverte se joue également au cœur du Moyen-Orient. Ne l’oublions pas.