Le SNU n’est pas une réponse à la hauteur des défis auxquels la jeunesse française est confrontée

Marlène Giol, chercheur associé à l’Institut Thomas More

21 juin 2021 • Entretien •


Ce lundi 21 juin, le Service national universel (SNU), promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, démarre pour 18 000 jeunes volontaires. Jugeant le dispositif insuffisant, l’Institut Thomas More propose un parcours pour répondre aux défis de la jeunesse. Entretien avec Marlène Giol, qui vient de publier le rapport « Le Parcours France en commun : un nouveau souffle pour l’engagement de la jeunesse ».


Ce lundi 21 juin, le Service national universel (SNU), promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, démarre pour 18 000 jeunes volontaires. Jugez-vous cette initiative suffisante pour répondre aux enjeux qui concernent la jeunesse ?

Force est de constater que le SNU n’apporte pas une réponse à la hauteur des défis auxquels la jeunesse française est confrontée. Le dispositif a fait l’objet de nombreux effets d’annonce pour la promotion de la phase pilote en 2019 mais, dans sa version concrétisée, il apparaît au final comme un projet mal défini dans ses objectifs, superficiel dans ses contenus et qui ne se donne pas les moyens de ses ambitions. Fondamentalement, le SNU souffre de trois limites majeures. Pour commencer, son contenu même est très insuffisant, notamment du fait du peu de temps qui est donné à sa réalisation : 15 jours en hébergement collectif hors du département de résidence, dédiés à des activités pratiques, et 84 heures consacrées à une mission au service de l’intérêt général. Comment répondre efficacement aux objectifs affichés dans un délai aussi court? Il est légitime de s’interroger sur la qualité des activités organisées, tenant plus de sessions de découverte que de réelles formations. En somme, un « stage accéléré » de citoyenneté qui n’est pas en mesure de laisser une réelle empreinte dans la vie des jeunes Français…

Or, l’enracinement ne peut se faire que dans la durée et la participation active à la vie de la communauté. À cet égard, l’une des principales maladresses du SNU est de reléguer au second plan la phase qui apparaît comme la plus intéressante : l’engagement de longue durée pour les jeunes de moins de 25 ans. En effet, elle n’est proposée qu’à titre facultatif, qui plus est à de jeunes adultes qui seront pour la plupart pris dans la spirale des études ou de la vie active. Laisser cette étape à la marge du SNU dénature complètement le projet car c’est là que se situe le cœur de l’action à mener. Au contraire, pour dynamiser l’engagement, il est indispensable d’encourager et d’accompagner l’investissement personnel à travers un système global et non à la carte.

D’autre part, le SNU se positionne comme une « expérience de dépaysement ». Ce faisant, il passe à côté de l’objectif central qu’il faudrait pourtant poursuivre : l’enracinement du jeune dans son environnement et la reconnexion avec le monde qui l’entoure. L’apprentissage de sa citoyenneté et le développement de son esprit d’engagement doivent se faire sur son lieu de vie et au contact des acteurs de son quotidien. Il est illusoire de penser que sortir un jeune quinze jours de son cadre habituel permettra de changer quoi que ce soit aux problèmes qu’il rencontre. Il faut agir sur son milieu de vie, le rendre attractif et donner au jeune l’opportunité d’y jouer un rôle actif. Enfin, et surtout, le SNU reste un projet conçu, piloté et mis en œuvre par l’État… et seulement l’État. Il cristallise ainsi une vision profondément centralisatrice de l’action publique. Or, il faut absolument sortir de ce système de pensée. Le tissu associatif français est particulièrement riche et divers (on compte actuellement près de 1,5 million d’associations en activité, avec une moyenne de 70 000 associations créées chaque année) et, si les jeunes se détournent du monde institutionnel, ils témoignent en revanche d’un réel intérêt pour l’engagement associatif : rappelons que 40% des 18-30 ans se déclarent bénévoles dans une association. Ne pas faire appel à cette richesse, c’est ne pas voir les leviers qui préexistent dans notre société, c’est ne pas comprendre ce qui se joue actuellement dans la jeunesse française… En misant sur le SNU pour refonder le lien social, le gouvernement fait définitivement fausse route.

Avec l’Institut Thomas More, vous avez conçu le « Parcours France en commun » dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022. D’abord, quels constats dressez-vous ?

L’idée du Parcours France en commun est née de la volonté de poser le bon diagnostic sur les fragilités économiques et sociales de la jeunesse française. Et le constat est sans appel : si la pandémie de Covid-19 a particulièrement impacté les jeunes, elle a surtout révélé une situation qui existe depuis de trop nombreuses années…

En effet, la jeune génération fait face à des difficultés extrêmes. Tous les voyants sont au rouge : une vulnérabilité économique marquée par un chômage important et un taux de pauvreté élevé, des problèmes de formation et d’intégration sur le marché de l’emploi, un état de santé physique et psychologique inquiétant, un isolement social croissant, etc. À cela s’ajoute un retrait progressif et multiforme de la vie civique, qui s’observe notamment dans les taux de participation électorale (parmi les 18-29 ans, moins d’un électeur sur cinq a voté de manière systématique en 2017). Avec en face une école qui ne parvient plus à assumer son rôle, aux prises avec la baisse constante du niveau des élèves et la montée préoccupante de la violence en milieu scolaire; sans oublier la question de la radicalisation à l’école sur laquelle Jean-Michel Blanquer vient d’annoncer des mesures suite à un récent rapport remis par Jean-Pierre Obin. Par conséquent, la fracture entre la jeune génération et le reste de la société s’accentue chaque jour davantage, au point de craindre une rupture pérenne aux conséquences sociales sans précédent. Pourtant, il existe chez les jeunes une réelle volonté de contribuer à la vie sociale. S’ils se désintéressent de la vie civique, ils privilégient des formes d’action de proximité, notamment dans le monde associatif, de façon régulière ou ponctuelle, mais aussi à travers un engagement informel, par des initiatives spontanées qui se développent pour aider la communauté. Il est impératif de prendre conscience de cette soif d’engagement, un engagement qui se réinvente à mesure que la jeunesse se réapproprie les modalités d’expression citoyenne, qu’elle les redéfinit selon son mode de vie et ses aspirations. Il faut encourager cette dynamique en créant des opportunités d’engagement adaptées qui accompagneront la jeune génération dans son envie de mener des actions concrètes en faveur de la collectivité. C’est dans cet objectif que nous avons conçu le Parcours France en commun.

Quelles sont les mesures que vous proposez ?

À l’Institut Thomas More, nous proposons le Parcours France en commun, un nouvel outil de développement et d’enracinement de l’esprit d’engagement. Il puise dans les ressources qui existent au cœur même de la société française et s’appuie sur la puissante volonté d’action qui subsiste chez les jeunes. Concrètement, le Parcours France en commun sera matérialisé par un livret personnel remis à chaque jeune à son entrée en classe de sixième, au cours d’une cérémonie, et qui le suivra jusqu’à ses dix-huit ans. Ce document balisera son parcours civique tout au long de ces années, parcours qui se déclinera en sept modules :

  • le module « EMC », offrant des cours d’enseignement moral et civique renforcés, de la sixième à la terminale, pour sensibiliser les jeunes à la citoyenneté et à la vie de la nation;
  • le module « Citoyenneté en famille », associant activement les parents et donnant lieu à des réunions, à des journées d’échanges (dites « Rencontres de la citoyenneté ») et à la participation aux cérémonies nationales;
  • le module « Secourisme », assurant la formation « Prévention et secours civiques de niveau 1 » (PSC1) pour rendre chaque jeune capable de porter secours à autrui et savoir réagir à l’urgence ;
  • enfin, quatre modules pratiques correspondant à des temps d’engagement associatif dans les domaines « Environnement », « Culture et Patrimoine », « Solidarité » et « Sport ».

Le Parcours France en commun répond à un triple objectif : obligatoire et personnalisable, il garantit un socle commun à l’ensemble de la classe d’âge tout en favorisant la responsabilité et l’autonomie ; il agit en profondeur grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui environnent le jeune (famille, école, commune, associations, etc.) ; et il fait le choix du temps long, sur plusieurs années, de l’entrée au collège jusqu’à la majorité, afin de laisser une empreinte réelle dans la vie de chaque jeune Français.

Par ailleurs, ce dispositif représente l’occasion d’aller dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs et d’une décentralisation salvatrice du système. De ce point de vue, la mise en œuvre du Parcours sera confiée aux régions. Notre projet incarne un système global d’ouverture aux valeurs de la nation, accompagnant chaque jeune tout au long de son évolution et structurant son apprentissage de la citoyenneté et du bien commun. Il offre à chacun le temps et les moyens de s’investir au plus près de son cadre de vie, avec le soutien des acteurs locaux. C’est à ces seules conditions qu’il sera possible de voir se développer et s’enraciner un véritable esprit d’engagement, garant du sentiment d’appartenance à une « communauté de destin ».