Transsexualité · Cette autre thérapie de conversion tout aussi dangereuse que celle que l’on vient d’interdire

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste et chercheur associé à l’Institut Thomas More

8 octobre 2021 • Entretien •


La circulaire Blanquer concernant l’inclusion des enfants transgenres a suscité une vaste polémique. Christian Flavigny revient en détails sur ce qu’on appelle la « dysphorie de genre », le leurre qu’elle constitue et dans lequel on enferme des enfants qui exprime un malaise auquel on sait répondre de tout autre manière. Il s’inquiète de voir le ministre de l’Éducation nationale relayer un discours médical illusoire, lui-même bâti sur une vision militante.


Pour rappel, quel est le phénomène de dysphorie de genre ? Comment se manifeste-t-il notamment chez les enfants ?

La dysphorie de genre est un terme inadéquat d’une traduction du terme anglais « gender disphoria ». Il y a toujours ce goût chez les Américains des termes grecs, leur donnant l’impression d’être des scientifiques. Ce terme désigne dans la compréhension américaine le fait qu’il y ait des enfants ou des adolescents qui disent se sentir être de l’autre sexe que leur sexe corporel. Ce que la compréhension américaine, qui est une compréhension psychologiquement très rudimentaire et très réductrice, ne sait pas expliquer et reprend du coup l’explication des militants qui explique que la nature s’est trompée et qu’il faut donc que la médecine corrige là où la nature a failli.

Le terme n’est donc pas adéquat. Il est la traduction littérale d’un terme qui correspond à la compréhension américaine. Il s’agit d’un trouble de l’identité sexuelle, d’une difficulté pour l’enfant de s’approprier son sexe corporel pour en faire sa réalité propre et pour mettre en adéquation son sexe corporel et son vécu personnel. La question de l’identité sexuelle pour un enfant est de se ressentir être d’évidence un garçon s’il a un sexe de garçon ou une fille si elle est sexuée comme une fille. L’enfant part d’un certain constat corporel. Il est aussi très sensible à ce qu’il ressent de l’attente de ses parents à l’égard de l’enfant qu’il est. Il peut y avoir une difficulté à mettre en accord le sexe corporel avec les attentes de ses parents. Il peut avoir l’impression qu’il serait plus sûrement aimé s’il était d’un autre sexe et cela créé tout un tas de difficultés qui s’expriment à l’enfance et à l’adolescence. Elles peuvent aboutir à l’impression qu’il y a quelque chose qui permettrait d’être plus aimé s’il était de l’autre sexe. Cela peut aboutir à un vrai désarroi et être très troublant pour les enfants. Cela est lié à cette impossibilité de mettre en adéquation le sexe corporel et ce qu’il ressent de l’attente de ses parents en tant que leur enfant, qu’il soit garçon ou qu’il soit fille. L’évidence « je suis un garçon », « je suis une fille », se construit subjectivement. Cette appropriation passe par le fait que cela corresponde suffisamment avec ce que l’enfant ressent de l’attente de ses parents pour pouvoir être aimé au mieux. Ce n’est donc pas une évidence objective.

A partir de là, la culture française a les moyens de critiquer cette approche américaine, qui est succincte et rudimentaire et qui n’a pas cette compréhension et qui du coup bascule dans le discours militant qui consiste à dire il y a une erreur, il faut que la médecine corrige cette erreur et nous attendons de la société qu’elle corrige cette erreur. C’est un leurre.  Il s’agit d’une réponse factice. C’est un discours qui s’est développé dans la société anglo-saxonne depuis une vingtaine, une trentaine d’années dans l’illusion d’une réparation vis-à-vis d’un préjudice de départ.

Deux médecins transgenres Dr Marci Bowers, et Erica Anderson, membres du conseil d’administration de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) ont alerté récemment sur des comportements téméraires concernant la prise en charge de la dysphorie de genre chez les enfants ? Les pratiques sont-elles allées trop loin ?

La médecine américaine n’est pas allée trop loin, elle s’est complètement fourvoyée dans l’idée de réparation d’une sorte de bug dans la nature qui aurait mis une âme de fille dans un corps de garçon ou vice et versa. C’est la thèse militante. Je ne critique pas la thèse militante. Les militants cherchent une solution à quelque chose qu’ils ressentent, ce n’est pas simple. Mais je critique totalement les professionnels qui se mettent à adhérer à cette thèse. Je ne critique pas trop les professionnels américains bien qu’on ait essayé par tous les moyens de leur expliquer les choses mais ils sont comme cela, c’est leur culture.

Je critique totalement le fait que l’on importe ces pratiques dans la culture française qui a parfaitement les moyens de tenir bon face à cette médicalisation tout à fait factice et qui est un leurre complet, qui théorise une soi-disant transition vers l’autre rive, de l’autre sexe, qui serait une solution qui apaiserait les tourments de l’âme, ce qui est parfaitement faux. On sait que la question dramatique qui se pose dans ces désarrois qui est la question du suicide, on sait très bien qu’elle n’est pas résolue par les transitions médico-chirurgicales.

La médecine américaine s’est fourvoyée parce qu’elle n’a pas les outils de compréhension de la situation. La culture française a ses moyens notamment sur la genèse de la façon dont l’enfant se perçoit comme garçon ou se perçoit comme fille. C’est à ce niveau-là qu’il faut travailler, dans l’interaction avec ce que l’enfant ressent de l’attente de ses parents et ce que les parents ressentent avoir exprimé à l’enfant. Je précise qu’il ne s’agit pas, en disant cela, de penser que ce sont les parents qui sont responsables des troubles de leur enfant. Les parents donnent ce qu’ils peuvent à leur enfant. Et l’enfant reçoit ce qu’il peut de ses parents. Mais parfois, il y a de l’incompréhension qui se crée.

Nous sommes là pour dénouer ces incompréhensions et ces liens qui bifurquent d’une manière qui tourne dans une certaine impasse et où l’enfant se piège en allant dire dans un message d’alerte « je me sens être de l’autre sexe », ce qui correspond à un vécu profond, à une vraie difficulté de l’enfant, mais ce qui ne veut pas dire qu’il est et qu’il doit être considéré de l’autre sexe. Il faut entendre qu’il y a un vrai désarroi de cet enfant. C’est un phénomène qui a toujours existé. Les filles « garçons manqués » ou des garçons trop timides et qui sont dans le fond de la classe et qui jouent sur la cour de récréation avec les filles, on connaît. On sait que cela correspond parfois à un certain désarroi. Cela ne veut pas dire qu’il y aurait eu une erreur qui ferait qu’en fait ils seraient de l’autre sexe.

C’est ce passage là sur lequel je suis parfaitement critique. Et je ne suis pas le seul d’ailleurs tout à fait puisqu’il y a une tribune publiée dans L’Express (« Changement de sexe chez les enfants : Nous ne pouvons plus nous taire face à une grave dérive ») signée par un grand nombre de spécialistes pour dénoncer et critiquer cette démarche à l’égard d’enfants et d’adolescents. Je pense qu’il faut comprendre qu’il y a un vrai désarroi de ces enfants qui viennent dire « je me sens de l’autre sexe ». Il faut entendre ce désarroi mais non pas le prendre au pied de la lettre en disant « si tu es de l’autre sexe, allons-y et changeons ton sexe ».

Les médecins ont expliqué dans Substack avoir proposé au New York Times une tribune sur le sujet qu’il a refusé. Assistons-nous à un nouvel exemple de la culture woke, de la théorie du genre à travers ces méthodes ? Faut-il y voir une sorte de dogme ?

Que le New York Times refuse de prendre en compte cette impasse et cette aberration n’est pas très surprenant. C’est un des éléments de la culture woke. On veut entendre la plainte de minorités qui est peut être justifiée sur certains plans mais on veut l’entendre comme ayant la vérité de la solution à apporter. Pour la question transgenre, les jeunes qui veulent faire entendre leur malaise vont interpeller les adultes. Cela concerne un certain nombre de filles aujourd’hui. Pour être certaines que l’on va entendre qu’elles sont mal dans leur peau, c’est de dire pour elles qu’elles sont finalement un garçon et qu’elles souhaitent engager une transition. Il y a l’effet de mode qu’il faut prendre en compte et critiquer. Le fait qu’il y ait des filles qui aspirent à être des garçons est une chose mais cela ne veut pas dire qu’il faille prendre au pied de la lettre le vœu d’être garçon. Il faut comprendre pourquoi elles sont dans cette inspiration qui est souvent une difficulté personnelle, un malaise qu’il faut prendre au sérieux mais sans aller jusqu’à la décision de faire passer l’enfant sur l’autre rive, ce qu’on appelle la transidentité.

Vous avez publié Aider les enfants « transgenres ». Contre l’américanisation des soins (Pierre Téqui éditeur). Comment aider les enfants et adolescents qui en ont besoin sans tomber dans des dérives ?

Il faut prendre au sérieux le malaise des enfants et être à l’écoute, dans une écoute de compréhension de leur malaise. Ils n’arrivent pas à s’approprier leur sexe. Il faut bien le rappeler. Le discours du transgenre est de dire que le sexe est assigné par le social. C’est faux. Le sexe est l’effet de la nature et du hasard. L’enfant doit pouvoir, pour se constituer, s’approprier ce que la nature, par les faits du hasard, lui a donné, être d’un sexe ou d’un autre. Il doit en faire quelque chose qui devienne son identité propre. Cette appropriation va être très marquée par le fait de sentir que cela correspond suffisamment aux vœux de ses parents d’avoir un garçon ou d’avoir une fille. Quand l’enfant sent qu’il y a un vrai désaccord entre ce sexe corporel et cette attente, à ce moment-là il y a quelque chose qui est en difficulté. Il faut mettre cela au travail dans l’enfance en travaillant avec les parents, en les associant. Les parents, par leur compréhension, vont permettre de soulager ce vœu et ce malaise de l’enfant. Au moment de l’adolescence, il faut aussi associer les parents parfois d’une manière un peu plus distante.

Il faut remarquer que ce sont les filles qui sont les plus concernées, qui demandent à devenir des garçons, c’est moins le cas dans l’autre sens. Il faut tenir compte de ces données significatives. De tout temps, les filles ont rêvé d’être des garçons. Il y a l’illusion d’une liberté et qu’il n’y a pas besoin de la même protection. Le féminin a besoin d’une protection dont le masculin n’a pas besoin. C’est le rêve évidemment des filles. Quand cela aboutit comme c’est très souvent le cas actuellement à ces demandes d’être transformée en garçon, il faut au contraire entendre qu’il y a le besoin de la fille d’être protégée pour pouvoir accueillir en elle un féminin qui sinon est difficile à accueillir si elle ne sent pas la protection nécessaire. Tout cela est à reprendre dans la relation de sa fille à sa propre mère. C’est souvent par rapport à cela que la fille peut intérioriser le féminin qui lui a été dévolu par le sexe corporel, qui n’est pas une assignation mais qui est l’effet du hasard de la nature.

La circulaire Blanquer publiée dans le Bulletin officiel du 30 septembre présente aux personnels de l’Éducation nationale un certain nombre de lignes directrices pour penser leurs rôles et responsabilités dans l’accompagnement des élèves transgenres ou en exploration de leur identité de genre. La circulaire Blanquer sur l’accueil des élèves transgenres constitue-t-elle une véritable avancée ? Quels sont ses angles morts ? Quelle est l’idéologie qui se cacherait derrière ?

Il faut contester radicalement les prises de position de Jean-Michel Blanquer sur le sujet. Il faut contester, et je l’ai fait depuis une quinzaine d’années, toutes les directives de l’Education nationale sur ces sujets. Ces directives sont absolument aberrantes.  Là on embarque les jeunes dans une espèce de catégorisation dans laquelle ils se réfugient plutôt que de les aider à comprendre ce qu’il se passe et à se montrer accueillant à ce qu’il se passe. Je suis très critique à l’égard de Jean-Michel Blanquer par rapport à cela. Il y a deux ans à Nantes, il était intervenu dans un cas particulier. Un enseignant avait changé de sexe pendant les vacances. Il avait été demandé à ce que les enfants changent la façon de le dénommer. Il y avait eu une protestation des parents d’élèves. Jean-Michel Blanquer était intervenu en expliquant que c’était de la transphobie. C’est tout à fait choquant de la part du ministre. Ce n’est pas du tout le sujet. L’Education nationale pourrait faire en sorte qu’il y ait une mutation. Il faut que les enfants ne soient pas saisis dans cette problématique du changement de sexe qui est quelque chose de perturbateur pour eux qui sont en train de s’approprier leur propre sexe avec toutes sortes de difficulté. Là, on essaye de banaliser une situation. Les parents d’élèves étaient tout à fait fondés à demander que l’on respecte les enfants et qu’on leur épargne d’une certaine manière cette espèce d’exhibition du changement de sexe.

Jean-Michel Blanquer dans sa directive actuelle continue sur ce fil que je conteste totalement. Là on prétend respecter les enfants alors qu’en fait on les enferme dans leurs problématiques plutôt que de les aider. On démissionne de notre rôle d’adulte. L’idée est d’aider les enfants, mais les aider à réfléchir à ce qui se passe pour eux, à accueillir ce qui se passe pour eux, à approfondir ce qui se passe pour eux et non pas à les embarquer dans quelque chose qui peut prendre une direction parfaitement dramatique parce qu’on les enferme dans quelque chose dont ils ne peuvent plus se sortir à la fois mentalement et a fortiori médicalement et corporellement si jamais il y a des décisions médicales avec des traitements qui s’en suivent. Il faut totalement contester la circulaire de Jean-Michel Blanquer.