Rapport Blanchard · « Doit-on choisir les noms de rues au seul motif de l’origine des personnalités ? »

Julien Volper, chercheur associé à l’Institut Thomas More

29 octobre 2021 • Entretien •


À la demande d’Emmanuel Macron, une équipe de chercheur dirigée par Pascal Blanchard a proposé 318 noms de personnalités issues de la diversité pour baptiser des rues. Julien Volper, qui vient de publier la note « Un communautarisme qui ne dit pas son nom ? », dénonce dans un entretien au FigaroVox la méthode et l’idéologie qui sous-tend ce rapport.


Vous publiez une note pour dénoncer le rapport « Portraits de France » dirigé par Pascal Blanchard, commandé par le président de la République. De quoi s’agit-il ?

Ce rapport a été officiellement remis en mars 2021 au ministre de la Cohésion des territoires et des collectivités territoriales, Jacqueline Gouraud, ainsi qu’à Nadia Hai, ministre chargée de la Ville. Ce travail, qui s’intitule « Portraits de France » a été commandé par l’Élysée auprès d’une équipe de chercheurs réunis autour de l’historien et entrepreneur Pascal Blanchard.

L’idée était de fournir un catalogue de 318 noms de personnalités historiques, plus ou moins connues, issues de la diversité. L’objectif principal de ce rapport a été énoncé par Emmanuel Macron au site Brut : il déplorait qu’une partie de notre histoire ne soit pas représentée et affirmait qu’une partie de notre jeunesse cherchait des héros qui lui ressemblent. Le postulat de départ est donc que la France n’exprime pas assez sa diversité dans le domaine odonymique, c’est-à-dire les noms de rues, de places, d’établissement.

Il s’est adressé à Pascal Blanchard et son équipe pour fournir une liste destinée majoritairement aux maires des communes de France pour qu’ils puissent s’inspirer des noms pour leur politique odonymique.

La première chose à pointer du doigt, qui est très flagrante, c’est le « je veux » macronien. Nous sommes dans un souhait présidentiel. Il n’y a pas eu une demande des maires de France qui auraient affirmé la nécessité d’une liste pour les guider dans le changement des noms de rue. C’est le président lui-même qui a décrété que les noms de rue n’étaient pas assez diversifiés et que le travail odonymique fait en France depuis des décennies ne reflétait pas une « partie de la jeunesse française ». Il a donc jugé pertinent d’avoir un manuel visant à éduquer nos élus.

Que reprochez-vous à ce rapport ?

Plusieurs choses. D’abord, j’ai du mal à saisir l’idée de départ : trouver à notre jeunesse des héros qui leur ressemblent. Mais sur quels critères s’établit cette ressemblance ? En lisant le rapport, on comprend que la notion de ressemblance se fait avant tout sur la question de l’origine des personnes. Une personne est honorée ou choisie parce qu’elle est d’origine italienne, sénégalaise ou vietnamienne. Une personne comme Émile Zola, personnage éminemment célèbre pour son œuvre littéraire, et reconnu en tant qu’écrivain français, est choisi parce qu’il a des origines italiennes.

Le rapport décrète donc que ceux qui vous ressemblent sont ceux qui viennent – ou dont les parents voire les grands-parents viennent – du même endroit que vous. Or, il est possible de côtoyer des personnes de la même origine que soi et ne pas se considérer comme proche d’eux. La proximité ne provient pas du sang, mais des valeurs et des idéaux.

Ensuite, ce rapport nous dit que l’histoire de France commence à partir de 1790. Même si nous pouvons tous nous accorder pour dire que 1790 est une date charnière, c’est une vision tronquée de notre histoire. L’histoire de France ne commence pas avec la Révolution française !

Enfin, précisons à nouveau que ces maires n’ont rien demandé. La première chose aurait donc été de se renseigner au niveau de l’ensemble des communes de France pour voir exactement quel était le panel de noms et déterminer s’il y avait réellement un problème de diversité. Or, sur l’ensemble des 318 noms choisis pour « Portraits de France », quasiment 60 % ont déjà été sélectionnés par des maires préalablement au rapport. Comme je le dis dans ma note, il y a déjà des rues et des bâtiments au nom de Frantz Fanon, de Mohammed Dib, ou de Walter Benjamin. La diversité en France, quand on regarde dans le détail, existe bel et bien.

Vous notez que les femmes ne sont représentées qu’à 21% dans ce rapport…

Quand le rapport est sorti, il y a eu quelques critiques sur ce point qui ont atteint les médias. Leur nombre s’élève à 21 %, ce qui fait 67 personnes.Dans le rapport, dès le début, ce problème est assumé : les femmes ont eu un accès tardif aux carrières professionnelles, nous disent-ils. J’ai essayé de montrer dans ma note que ce n’est pas le cas. Je pense notamment aux photographes Tina Modotti ou Lee Miller, qui ne sont pas incluses. Cela démontre que dans ce rapport, la diversité est avant tout conçue comme celle du sang.

Diriez-vous que ce rapport porte une vision communautaire ?

À mon sens, oui ! « Trouver des héros qui vous ressemblent » était l’objectif du rapport. Il est sain d’apprendre à s’aimer soi-même, mais il est aussi important d’aimer l’autre. Prenons le cas de femmes franco-françaises comme Olympe de Gouges ou Louise de Keralio-Robert, deux femmes importantes de la révolution. Ce sont des militantes qui ont combattu l’esclavage de façon viscérale. En quoi ces personnes ne peuvent pas être sélectionnées et mises en avant ? En quoi ne peuvent-elles pas être des modèles ? Parce qu’elles sont blanches et françaises ? Cela aboutit à des situations cocasses : les chercheurs sont allés jusqu’à trouver des origines très lointaines à des femmes pour les placer. Édith Piaf est citée parce que sa grand-mère maternelle est italo-kabyle.

La France devient un ensemble de petites communautés, où chacune doit pouvoir se reconnaître dans les noms de rue. Je trouve cela dangereux.

Pourtant, je n’aurais pas été contre le fait de prendre des personnes qui n’ont pas forcément vécu en France mais qui ont eu un lien important avec notre pays. Dans la note, je cite un auteur chinois, un romancier qui s’appelle Lu Xun dont je recommande d’ailleurs le très beau Journal d’un fou. Lu Xun n’a pas vécu en France mais il a été le premier traducteur de Jules Vernes en langue chinoise. Ce n’est pas rien. Dans la ville de naissance de Jules Vernes, avoir une rue Lu Xun pourrait être parlant. Certes, il n’a pas vécu ici, mais il a fait connaître la France à des milliers de kilomètres de notre territoire, par le biais d’un grand écrivain populaire.

Vous écrivez que l’Algérie y est surreprésentée, contrairement à un continent entier comme l’Asie… N’est-ce pas normal que l’on représente davantage des personnalités d’Algérie plutôt que d’Asie puisque nous y sommes davantage liés, par notre histoire récente ?

Les personnes algériennes, d’origine algérienne ou qui ont un lien avec l’Algérie, représentent une cinquantaine de personnes. C’est énorme, cela représente 17% de l’ensemble des noms du rapport, et 69% des personnalités du Maghreb.

Je pense que cela relève d’une vision macronienne. De fait, l’Algérie a eu un rôle important à jouer dans le présent quinquennat présidentiel. Entre autres choses, c’est dans ce pays qu’il a parlé de colonisation comme crime contre l’humanité, il a commandé un rapport à l’historien Benjamin Stora, et effectué l’hommage aux victimes de 1961. Cette prédominance de l’Algérie dans le rapport est, à mon sens, le reflet de la politique mémorielle du Président de la République.

De quelle façon y sont représentés les territoires français ?

À la fin du rapport, ils proposent un index régional dans lequel nous pouvons apprécier la représentation de chaque région. Il nous permet de remarquer quelques anomalies.

Il faut savoir que pour chaque personnalité, le rapport précise le pays et la date de naissance. Or, les DROM ont une particularité puisqu’ils sont mentionnés, au même titre qu’un pays. Ils précisent « France », et entre parenthèses « Guyane », « Réunion », etc. À ma connaissance, il s’agit pourtant de départements français. Pourquoi lorsque quelqu’un vient, par exemple, de Savoie (un département créé après ceux d’Alger ou de Constantine), le nom du département n’est pas mis entre parenthèses ?

Prenons le cas du résistant corse Jules Mondoloni, cité parce que corse ! L’île de beauté est donc considérée comme une zone de diversité, comme si c’était un pays étranger. Roland Garros, né à la Réunion ou Charles Lanrezac, né en Guadeloupe, ont des parents qui viennent de Toulouse et de Lorient. Si on décide de les inclure, cela veut dire que des personnes qui sont nées dans un territoire français mais dont les origines sont également françaises, sont éligibles à cette liste. Or, la seule façon d’expliquer cela est d’affirmer que la Guadeloupe ou la Réunion sont des terres étrangères. Ce raisonnement me paraît curieux.

Vous vous arrêtez particulièrement sur l’exemple de la Bourgogne-Franche-Comté…

Pour la Bourgogne-Franche-Comté, il y a onze personnalités seulement, dont une partie a déjà des noms de rue. Certaines, comme Jorge Semprun, sont oubliées. Il suffit pourtant de lire ses Exercices de survie pour comprendre la pertinence de la placer dans cette région.

Un exemple est frappant, celui de Philippe Grenier. Natif de la ville de Pontarlier, il est donc placé logiquement dans la région Bourgogne Franche-Comté. Il est connu pour avoir fait un séjour en Algérie. Or, les « Portraits de France » ne choisissent pas de Français étant allé travailler à l’étranger. Pourquoi donc cette exception ? Il s’avère que Philippe Grenier est le premier député français converti à l’islam. Il y aurait donc deux types de diversité à chanter : une diversité de sang et une diversité de conversion.

Quel exemple veut-on donner ? Un exemple pour les musulmans français ? Mais il y a d’autres personnes pour cela et qui sont déjà honorés dans les rues. Je pense notamment à André du Ryer, le premier traducteur du Coran en langue française, réalisée en 1647. Il a subi la censure à l’époque. C’est beaucoup plus parlant qu’un simple converti. Mais dans la logique de « Portraits de France », André du Ryer est français et chrétien, il n’a donc aucune diversité. Sans compter qu’il vécut avant 1790…

Par ailleurs, la présence de Philippe Grenier dans cette liste témoigne aussi de la profonde méconnaissance des chercheurs dans le domaine de l’odonymie. Pontarlier a déjà fait le travail ! Il y a une rue, un collège et la mosquée de la ville qui ont le nom de Philippe Grenier. Pour une ville de 17.000 habitants, il est bien représenté.