Attribution du nom du père jugée discriminatoire par la CEDH · « L’enfant est privé du cadre symbolique de sa filiation »

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste et chercheur associé à l’Institut Thomas More

2 novembre 2021 • Opinion •


Les juges de la CEDH ont décidé que l’attribution automatique à l’enfant du nom de famille du père avant celui de la mère, en cas de désaccord entre les parents, était discriminatoire. Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste et auteur de Le débat confisqué : PMA, GPA, bioéthique, «genre», #metoo (éd. Salvator, 2019), considère que cette tradition revêt un sens anthropologique et symbolique qu’il ne faut pas ignorer.


Un arrêt récent de la Cour Européenne des Droits de l’Homme est l’occasion de revenir sur l’attribution à l’enfant des noms de famille de ses père et mère. Jadis l’enfant portait comme seul nom celui de son père : le patronyme. Était-ce pour autant le témoignage d’une domination masculine ? En rien : mais les registres, paternel et maternel, étaient clairement différenciés. Le registre maternel n’avait pas besoin d’affichage ; il suffisait à la mère le témoignage d’avoir accouché de l’enfant pour devenir sa mère ; la mère était « certissima » selon le précepte «la mère est celle qui accouche».

Surtout, le registre du maternel avait une présence centrale dans la vie des familles : les mères étaient le symbole de la transmission de la vie, elles le portaient avec détermination et courage, sachant les épreuves auxquelles il les confronterait, les souffrances de l’accouchement voire le risque obsédant de la mort en couches qui engageait la maternité en un véritable sacrifice au profit de la venue de l’enfant : les femmes l’assumaient avec fierté. Sans compter leur rôle de mère pour l’enfant : la mère sa première interlocutrice, celle qui noue avec lui le premier dialogue où, lui permettant de s’entendre au travers de ce qu’elle lui restitue de ce qu’elle comprend de ses balbutiements, elle l’éveille à lui-même : fonction maternelle que seule une femme, par ses qualités d’intuition, est capable de tenir. Les femmes portèrent un authentique don maternel qui leur valait une reconnaissance éperdue, celle des hommes rendus pères et celle des enfants, celle aussi des sociétés de ces époques pour lesquelles la natalité était un enjeu de survie : hommage aux femmes !

Les hommes cependant voulaient contribuer à leur manière : leur rôle était de protéger la famille. Le patronyme conféré à l’enfant était revendication de paternité compensant la fameuse incertitude paternelle ; c’était la raison du mariage faisant père «celui que les noces désignent», garantissant la paix des familles et établissant la double filiation, paternelle et maternelle de l’enfant. C’est aussi la raison du patriarcat : la transmission du patronyme au sein de la lignée masculine en était le symbole. Le masculin s’affermit dans le combat meurtrier, le fameux meurtre du père, meurtre symbolique qui noue le lien de transmission entre les générations des hommes ; les hommes, par cette propension guerrière, donnaient leur patronyme comme l’étendard d’une protection de la famille contre la mort, serait-elle fictive par la succession des générations portant la mémoire de la famille, surmontant l’enjeu de la finitude personnelle de chacun.

Tel était le creuset portant la venue de l’enfant dans ces époques ; les registres de père et de mère bien distingués, la venue de l’enfant était située au cœur du destin anthropologique de toute vie humaine : la procréation était fruit de l’union des sexes, le pouvoir procréateur partagé compensant l’incomplétude de chacun des sexes et surmontant la finitude personnelle par la transmission aux générations suivantes.

Les progrès techniques ont au XXe siècle bouleversé le rapport des femmes à la procréation : elle est désormais sécurisée et maîtrisée (les contraceptifs) et gérée in vitro : la fécondation n’est plus dépendante d’une relation entre les sexes. Le partage des tâches familiales et sociales en a été modifié, offrant aux femmes une indépendance à l’égard d’une tutelle masculine. Mais cela a surtout dissipé l’aura maternelle : la femme d’aujourd’hui souhaite l’enfant avec autant de cœur, mais à dates choisies pour ménager sa carrière professionnelle, si ce n’est en ayant fait décongeler ses ovocytes. La procréation a perdu sa portée symbolique et devient une gestion de la venue de l’enfant.

Il s’ensuit la demande de visibilité des femmes dans le champ social ; elle a abouti en France à substituer au patronyme les noms de famille (2002) des père et mère. Dans cette logique de désymbolisation de la procréation, le nom de famille ne fait plus que désigner ; elle nomme les intéressés, sans référence à l’enfantement : ainsi peut-on désigner deux mères en France (2021). La valeur symbolique, qui avec le patronyme transmettait à l’enfant le principe même de la paternité, a disparu. La question posée devient alors : désigner les deux parents, oui, mais dans quel ordre ?

La logique américaine des Droits de l’Homme intervient dans ce contexte ; toute différence anthropologique n’étant pas lue dans la complémentarité des termes, car cela choquerait ceux qui ne le ressentent pas ainsi, est du coup soupçonnée de receler une hiérarchisation, donc une discrimination. C’est pourquoi il n’y a plus homme et femme mais une indifférenciation des sexes, jusqu’à une «transition» validée de l’un à l’autre. C’est pourquoi il n’y a plus des parents et des enfants, parce que les parents pourraient brimer leurs enfants en leur « assignant » un « genre » qui ne correspondrait pas à leur ressenti : ils ne sont plus qu’« accompagnateurs » des desiderata de l’enfant.

La CEDH, gardienne vigilante du principe importé du droit américain de «non-discrimination», est dans sa logique en se penchant sur la situation faite aux femmes dont le nom n’interviendrait qu’en second. Elle aurait pu souligner que la France a résolu cette question en choisissant, en cas de désaccord des parents, de respecter l’ordre alphabétique ; ce qui montre bien que quand des procédures juridiques sont déconnectées de leur sens anthropologique, on en vient à une gestion privée de tout sens, juste pour éviter les procès.

L’enfant est désormais privé par les procédures juridiques du cadre symbolique fondant en cohérence sa venue au monde comme fruit de la différence des sexes et successeur de la lignée familiale, et par là continuateur de l’aventure humaine. La CEDH est la gestionnaire appliquée de cette désymbolisation qui privilégie les réclamations des adultes à « l’intérêt supérieur de l’enfant » que pourtant elle invoque.