Baisse du chômage · Ce que cache le rebond de l’emploi en France

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

2 novembre 2021 • Opinion •


Le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A a fortement baissé au troisième trimestre. Bien que la reprise soit réelle, ces chiffres masquent toutefois un artifice statistique qui ne rend pas compte des réelles dynamiques du marché du travail, estime Sébastien Laye.


Alors que le tsunami de faillites et de chômage que d’aucuns prédisaient en France à l’occasion du Covid n’a jamais eu lieu – ou plutôt de manière très transitoire pour le chômage, et non capturée par l’appareil statistique –, force est de constater que la dernière note de l’INSEE sur l’emploi en France a suscité la polémique. Cette note met en exergue un fort rebond de l’emploi qui a eu lieu au milieu de l’année 2021, l’emploi salarié ayant ainsi dépassé son niveau d’avant crise cet été et nous amenant vers un chômage aux alentours de 7,6% en fin d’année.

Après les 300 000 destructions nettes d’emplois en 2020 (qui ne se sont jamais soldées par une augmentation du taux officiel de chômage, puisqu’une grande partie des salariés sont passés en chômage partiel, hors catégorie A, la seule sur laquelle les pouvoirs publics communiquent), 500 000 créations nettes d’emplois en 2021 auraient succédé à une période de crise amortie par les dispositifs d’aide.

Force est de reconnaître que la lecture de ces statistiques, depuis dix-huit mois, donne le vertige tant le réel est mal capturé par l’appareil statistique, les dissonances entre Pôle emploi et l’INSEE, le verbiage communiquant de Bercy et les déclarations parfois contradictoires des chefs d’entreprise sur le terrain. Pour mieux déchiffrer ces statistiques, et l’amélioration en cours, nous devons décomposer les facteurs explicatifs de l’emploi et du chômage.

Commençons donc par le sous-jacent essentiel de l’emploi, à savoir la croissance. Après le recul de 8,3% en 2020 (parmi les plus mauvaises performances en Europe), la France connaît logiquement un fort rebond, qu’on nous annonce à 6% en 2021. Les effets d’un tel rebond, aussi soudain que l’impact négatif de la fermeture de nos économies, sont uniquement liés à la dynamique des mesures sanitaires. Les agents économiques rattrapent logiquement tous les achats, les projets et les investissements qui auraient dû être faits en 2020. Sur le front de l’emploi, la même chose se produit avec des embauches décalées dans le temps. Ce phénomène de rattrapage est visible pour toutes les économies occidentales, et il a été spectaculaire aux USA. Mais il faut raffiner cette analyse.

Premièrement, si le PIB français devait désormais retrouver son niveau d’avant crise d’ici quelques semaines (et non plus au printemps 2022 comme prévu il y a encore quelques mois), cette analyse fait fi de la tendance de croissance 2020-2021. En effet, il ne s’agit pas simplement de revenir au niveau de PIB de janvier 2020. Si la crise sanitaire n’avait pas eu lieu, notre économie aurait dû croître en 2020 et 2021 : certes, de peu en 2020, car notre économie ralentissait fortement fin 2019, mais tout de même, a minima il faut envisager une croissance perdue de 1% par an sur ces deux années. Il y a donc encore, après le rattrapage du niveau de PIB en janvier 2020, au moins 50 ou 60 milliards de PIB à récupérer pour pouvoir dire que le PIB est revenu à son niveau normal. Et nous maintenons que ce ne sera pas le cas avant mai-juin 2022.

Par ailleurs, la France est décalée dans le cycle économique par rapport aux États-Unis et à l’Allemagne : nous avons confiné plus longtemps et la réouverture définitive est plus récente. Et on constate que ces pays, après la période de pain blanc assez facile du rattrapage, commencent à s’essouffler en termes d’activité économique. Nul ne sait si cela est durable, mais ce qui est certain c’est qu’il est très facile d’avoir des taux de croissance spectaculaires sur la première année de réouverture, mais que la suite est plus compliquée. Enfin, l’inflation galopante vient compliquer ce scénario : à 2,6%, nous sommes loin des niveaux américains mais cela veut dire que cet hiver, logiquement, nous serons aux prises avec le même sujet. Une période de stagflation ne sera en aucun cas favorable à l’emploi en France.

Le deuxième élément à prendre en compte est celui de la définition du chômage et du fameux halo de chômage. La baisse des chômeurs concerne toujours et encore celle des chômeurs en catégorie A : cette catégorie qui d’ailleurs n’a pas bougé à la faveur du chômage partiel durant toute la période du Covid. Pendant ce temps, les catégories B et C ont explosé : il s’agit de gens qui travaillent quelques heures par semaine, désiraient travailler plus, ou sont en formation intermédiaire.

Deux éléments viennent gonfler ces rangs : d’abord, les dernières réformes du gouvernement, en matière de formation et pour les mois à venir de l’assurance chômage. Nous avons eu tendance à faire circuler les chômeurs de catégories A vers ces autres catégories, via la formation… et demain, vers des formes d’emplois un peu plus précaires (en deçà en nombre d’heures notamment de ce que ces individus souhaiteraient travailler) en raison du durcissement du régime d’indemnisation. Les gouvernements français sont en passe de faire disparaître un peu par magie le problème du chômage statistique en France : tous en formation ou en petit boulot intermédiaire, nous ne serions plus jamais de «vrais» chômeurs.

Pendant ce temps, le chômage de long terme, qui concerne 2,9 millions de gens en France, ne baisse pas lui et ce fameux halo du chômage augmente, même avec la reprise. Il faut espérer qu’à un certain point, la reprise sera tellement forte qu’elle absorbera aussi ces chômeurs de longue durée. En attendant, on parle beaucoup des emplois non pourvus (inadéquation de la formation, refus des individus), un stock qui aurait augmenté de 50% : mais à 300 000 emplois, ce chiffre demeure ridicule par rapport aux 6 millions de chômeurs voir plus à nouveau si on devait intégrer toutes les catégories. Les goulets d’étranglement en sortie du Covid existent certes, mais c’est un phénomène transitoire. Il existe des solutions politiques à cette inadéquation, au niveau des territoires, comme celle mise en place par Xavier Bertrand avec Hauts de France Mobilités, pour éviter que la question de la mobilité ne soit un frein à la reprise d’emploi.

Enfin, on notera un troisième élément qui renforce de manière symbiotique le second, et qui là aussi, avec un décalage dans le temps, nous vient des États-Unis : il s’agit du phénomène de la « Grande Démission ». Une partie de la force de travail ne souhaite pas revenir au monde pré-Covid, abandonne ses positions de salariés mais aussi sa recherche d’emploi, pour se contenter d’un nouvel équilibre entre vie au foyer, formation et activité réduite mais ayant du sens pour ces personnes (en auto-entrepreneuriat ou en travaillant quelques heures) : voilà une typologie d’individus qui typiquement parfois quitte la catégorie A pour se retrouver dans les statistiques de la création d’entreprise, ou parmi les chômeurs de catégorie B. Le kaléidoscope qu’est devenu notre monde du travail n’est plus représenté par des statistiques officielles qui ne disent qu’imparfaitement ce qu’il est.

Les progrès de notre économie sont réels et logiques après l’effondrement de 2020, mais en l’absence de pilotes intelligents de cette économie au cours des prochaines années, au-delà du mistigri des statistiques, il n’est pas sûr que la prospérité soit automatiquement et inéluctablement au coin de la rue, notamment pour nos 8 millions de sous-employés.